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Toutes vos réflexions sont judicieuses et raisonnables, j'en conçois toute l'importance, aussi suis-je bien déterminée à prévenir autant qu'il sera possible tous les genres d'inconvéniens que j'ai à craindre; d'abord je dirai que cette fille est une Demoiselle de ma province que je n'ai chez moi qu'en attendant qu'elle ait trouvé un logement dans un couvent, et pour y mettre plus de vérité, je vais tout à l'heure m'assurer de la première chambre vacante dans l'intérieur de St. Joseph, je la lui ferai occuper dans de certaines occasions, lorsque j'irai à la campagne. Ainsi, Madame, si nous ne nous convenions pas, notre séparation ne fera point un événement; je ne pourrois prendre le parti de la mettre tout-à-fait dans un couvent sans une augmentation de dépense qui me seroit un peu à charge, et que je suis forcée d'éviter. L'article le plus important est l'état de cette fille, il est inquiétant, je l'avoue, mais c'est encore une raison de plus pour me déterminer à l'avoir auprès de moi, plutôt qu'à la mettre dans un couvent, parce que dans le couvent je ne pourrois pas savoir ce qu'elle feroit comme je le saurai quand elle sera auprès de moi, où, sous prétexte de bienséance et de considération pour elle, je ne la laisserai jamais sortir qu'ayec

des personnes de confiance, ou bien accompagnée de quelqu'un de mes gens. Je ne suis pas assez sotte pour me flatter qu'aucune raison d'amitié, de reconnoissance, ou de crainte pût l'empêcher de réclamer son état si elle y trou voit de la possibilité, mais comme il n'y en a aucune, et qu'elle a beaucoup d'esprit, j'ai tout lieu de croire qu'elle ne fera aucune tentative, le désespoir seul pourroit l'y porter; au lieu que menant une vie douce et heureuse, elle s'en contentera. Enfin, si je me trompois dans ces conjectures, je serai du moins à portée de savoir ses démarches, et d'en instruire ceux qui y sont intéressés. Je suis persuadée que c'est leur avantage que cette fille soit auprès de moi, c'est l'avis de tous les gens sensés à qui j'en ai parlé, de M. le Cardinal de Tencin, de M. de Macon, du Président, etc. Les oppositions de mon frère, et de ma belle-sœur ne peuvent être fondées que sur le ressentiments qu'ils ont de ce que cette fille a voulu les quitter, et ils me sauront gré par la suite de ce qui leur déplaît dans le moment présent. Je reçus ces jours passés une lettre de M. le Cardinal de Tencin, qui m'offroit de faire partir cette fille après Pâques, et de la confier au Procureur et à la Procureuse général de Lyon qui venoient à

Paris par la diligence. Je viens de lui écrire tout à l'heure que j'acceptois ses offres, j'attendois pour cela votre réponse.

Je finis, Madame, en vous répétant que je suis comblée de vos bontés, que je vous en demande la continuation, et que de toutes les marques que vous voudrez bien m'en donner, celle à laquelle je serai le plus sensible, seront vos conseils, dont vous jugerez que je suis digne par la promptitude avec laquelle je m'y sou

mettrai.

Je vous suis, Madame, bien respectueusement et inviolablement attachée.

Madame du Deffand à Mademoiselle de

Lespinasse.

13 Février, 1754.

Je suis forte aise, ma Reine, que vous soyez contente de mes lettres, et du parti que vous avez pris de faire expliquer nettement M. d'Albon; je ne suis point de votre avis sur le succès que vous en attendez. Je suis persuadée qu'il se déterminera à vous assurer une pension; il se feroit jeter la pierre par tout le monde, s'il en usoit autrement, ainsi je vois mes projets bien

éloignés, mais en cas qu'il vous refuse, vous y gagnerez la liberté entière de faire toutes vos volontés, et alors je souhaite que vous ayez toujours celle de vivre avec moi; mais il faudra, ma Reine, vous bien examiner, et être bien sûre que vous ne vous en repentiez point. Vous m'écrivez dans votre dernière lettre les choses les plus tendres et les plus flatteuses, mais vous ressouvenez-vous qu'il y a deux ou trois mois que vous ne pensiez pas de même ? et que vous m'avouâtes que vous étiez effrayée de l'ennui que je vous faisois prévoir, et que, quoique vous y fussiez accoutumée, il vous deviendroit plus insupportable au milieu du grand monde, qu'il ne vous l'étoit dans votre retraite, que vous tomberiez alors dans un découragement qui vous rendroit insupportable, m'inspireroit du dégoût et du repentir; c'étoient vos expressions, et c'est apparemment cette faute que vous voulez que je vous pardonne, et que vous me priez d'oublier; mais, ma Reine, ce n'est point une faute de dire sa pensée, et d'expliquer

dispositions, c'est au contraire tout ce qu'on peut faire de mieux; aussi, bien loin de vous en faire des reproches, je vous mandai que je vous savois bon gré de votre sincérité, et que quoiqu'elle me fît abandonner mes projets, je

ne vous en aimerois pas moins tendrement; je vous répète aujourd'hui la même chose; réfléchissez sur le parti que vous prendrez. Je vous ai déjà dit la vie que vous meneriez avec moi, je vais vous le répéter encore, pour que vous ne puissiez pas être dans la moindre erreur.

Je n'annoncerai votre arrivée à personne, je dirai aux gens qui vous verront d'abord, que Vous êtes une Demoiselle de ma province qui veut entrer dans un couvent, et que je vous ai offert un logement en attendant que vous ayez trouvé ce qui vous convient. Je vous traiterai non-seulement avec politesse, mais même avec compliment devant le monde, pour accoutumer d'abord à la considération que l'on doit avoir pour vous, je confierai mes véritables intentions à un très-petit nombre d'amis, et après l'espace de trois, quatre, ou cinq mois, nous saurons l'une et l'autre comment nous nous accommodons ensemble, et alors nous pourrons nous conduire avec moins de réserve, je n'aurai point l'air dans aucun tems de chercher à vous introduire, je prétends vous faire désirer, et si vous me connoissez bien, yous ne devez point avoir d'inquiétude sur la façon dont je traiterai votre amour-propre, mais il faudra vous en rapporter à la connoissance que j'ai du monde.

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