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que l'on lui faisoit tous les jours; qu'elle avoit écrit à M. d'Albon sur l'amitié duquel elle comptoit beaucoup, pour le prier de lui arrêter un logement dans un couvent et pour l'envoyer chercher: je lui représentai les regrets de mes parens, qui devoient lui prouver l'amitié qu'ils avoient pour elle, l'ennui qu'elle auroit dans un couvent, et la misère quelle y éprouveroit, n'ayant que les cent écus de pension que lui avoit laissés Mad. d'Albon par son testament. Elle me répondit à cela, qui n'y avoit rien au monde qu'elle ne préférât à rester à Chamrond qu'elle espéroit beaucoup de l'amitié de M. d'Albon qui l'avoit toujours traitée comme sa propre sœur, qu'elle ne doutoit point qu'il ne reconnût ce qu'elle avoit fait pour lui, en lui remettant l'argent de Mad. d'Albon, et qu'indubitablement il lui feroit quelque rente viagère, qui jointe à ses cent écus, la mettroit à portée de vivre dans un couvent; qu'enfin sa résolution étoit inébranlable. Je rendis compte à M. et à Mad. de Vichy du peu de succès de ma négociation; je ne pensois point encore à elle dans ces tems-là, et ce ne fut que peu de jours avant son départ, que m'ayant marqué beaucoup de chagrin de me quitter, et beaucoup de répugnance d'aller dans une ville où de cer

taines choses fort désagréables pour elle étoient de notoriété publique, qu'il me vint dans l'esprit qu'elle pourroit bien se mettre dans un couvent à Paris: je n'étois pas alors fort éloignée d'y penser pour moi, et c'étoit une compagnie toute trouvée en cas que je prisse ce parti; je lui en dis un mot, il me parut que ce seroit pour elle le comble du bonheur. Voilà où nous en étions ensemble à la fin d'Octobre qui fut le tems où M. d'Albon l'envoya chercher; je fus témoin des pleurs de mon frère et de ma belle-sœur, et des supplications qu'ils lui firent de ne les point abandonner, ou du moins de leur promettre de venir passer tous les étés avec eux: les enfans, toute la maison étoient en larmes. J'ai l'honneur de vous dire ces circonstances parce qu'elles prouvent qu'elle étoit aimée, estimée, et qu'elle ne se séparoit point d'eux désagréablement; elle me demanda en grâce de lui donner de mes nouvelles, et de trouver bon qu'elle m'écrivît; j'y consentis avec plaisir. A peine fut-elle arrivée dans son couvent à Lyon, qu'elle écrivit à Mad. de Vichy qui lui fit réponse. Pour moi, depuis ce tems, j'ai été en commerce de lettres avec elle; je partis de Chamrond à la fin de Novembre, et je ne fus à Lyon qu'au mois d'Avril,

j'y restai dix jours, pendant lesquels je la vis tous les jours; elle arrivoit chez moi à onze heures du matin, et ne me quittoit qu'à six heures du soir, qui étoit l'heure où il falloit rentrer dans son couvent; M. le Cardinal de Tencin la rencontra chez moi dans la visite qu'il me rendit, il me demanda qui elle étoit, je ne fis pas difficulté de lui en faire la confidence, il n'y avoit dans la ville personne de qui il n'eût pu l'apprendre; je le priai de lui accorder sa protection pour lui faire obtenir dans son couvent une chambre particulière, ce qu'il eut la bonté de m'accorder en écrivant une lettre à l'Abbesse, qu'il envoya par M. l'Abbé de Puisi gnieux son neveu. Les remercîmens que je fis au Cardinal occasionnèrent entre lui et moi une conversation sur cette fille; il me dit le premier que je devrois me l'attacher, et que dans le malheur dont j'étois menacée, elle me seroit utile et nécessaire, que mes parens et M. d'Albon devoient le désirer eux-mêmes, parce que c'étoit le plus sûr moyen de s'assurer d'elle. Nous pesâmes tous les inconvéniens qu'il pouroit y avoir, et nous n'en vîmes aucun qu'il ne fût aisé de prévenir et de détruire. Si M. d'Albon avoit été à Lyon je lui aurois parlé sur-le-champ, mais n'y étant pas, je m'adressai

à une femme de la ville qui avoit toute sa confrance, je lui dis le dessein où j'étois de m'attacher Mademoiselle de Lespinasse (car c'est son nom) que je la traiterois comme ma propre fille, qu'elle seroit plus dépaysée à Paris qu'à Lyon, que je la ferois passer pour une demoiselle de province; cette femme ne parut point goûter ma proposition, et je jugeai qu'ellé n'étoit nullement propre à cette négociation. Je partis de Lyon peu de jours après, et je dis à Mademoiselle de Lespinasse, en la quittant, qu'il falloit qu'elle écrivît à M. d'Albon que je lui offrois de la prendre auprès de moi, et de lui assurer en ce cas quatre cents livres de rente viagère. De retour à Macon, je pris la résolution d'écrire à mon frère pour lui communiquer mon projet, plus par politesse que par devoir. Cette fille ne dépend point de lui ni de sa femme, ils n'ont acquis aucun droit sur elle par leurs bienfaits, j'avois été témoin de la façon dont elle les avoit quittés, ainsi rien ne devoit m'engager à cette demarche qu'une délicatesse de bons procédés; ma lettre étoit prête à partir quand j'en reçus une de mon frère qui m'enpêcha de lui envoyer la mienne. J'ai gardé sa lettre, et j'aurai l'honneur de vous la faire voir, ainsi que ma réponse, si vous le jugez

à propos. Il me mandoit qu'on lui écrivoit de Lyon le dessein que j'avois de prendre Mademoiselle de Lespinasse, et qu'il s'y opposoit formellement. Quoique ses raisons n'eussent aucune apparence de justice, et que je n'y entrevisse que du mécontentement de ce que cette fille les avoit quittés, et le désir de s'en venger, celui de conserver la paix et l'espérance, de le persuader par l'amitié ou par la raison, m'ont fait différer l'exécution de mon projet. M. d'Albon de son côté a refusé son consentement à Mademoiselle de Lespinasse, mais comme elle n'est pas plus dépendante de lui, que de Mad. de Vichy, cela ne l'arrêteroit pas, si je consentois à la recevoir. C'est ce que je ne veux point faire, Madame, sans être sûre que vous ne me désaprouverez pas; je ne vous demande point de m'autoriser, mais seulement de vouloir bien être neutre dans cette occasion, et de considérer quel est l'excès de mon malheur d'avoir perdu la vue, et combien il est cruel qu'on s'oppose au seul moyen que j'ai d'adoucir mon état; l'existence de cette fille n'est d'aucun danger pour eux, j'ai fait sur cela les informations les plus exactes, et s'il y avoit quelques inconvéniens à craindre d'elle, son séjour auprès de moi est précisément ce qui

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