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LETTRE XVII.

Paris, Jeudi, 30 Octobre, 1766.

Aн quelle folie, quelle folie, d'avoir des amis d'outre-mer, et d'être dans la dépendance des caprices de Neptune et d'Eole! joignez à cela les fantaisies d'un tuteur, et voilà une pupile bien lotie. Il n'y a point eu de courier ces jours-ci; je m'en consolerois aisément si je n'étois pas inquiéte de votre santé. Je vous assure qu'il n'y a plus de votre individu que ce seul point qui m'intéresse; d'ailleurs, je crois que je ne me soucie plus de vous, mais il m'est absolument nécessaire, aussi nécessaire que l'air que je respire, de savoir que vous vous portez bien: il faut que vous ayez la complaisance de me donner régulièrement de vos nouvelles par tous les couriers: remarquez bien que ce ne sont point des lettres que j'exige, mais de simples bulletins si vous me refusez cette complaisance, aussitôt je dirai à Wiart, partez, prenez vos bottes, allez à tire-d'aile à Londres, publiez dans toutes les rues que vous y arrivez de ma part, que

vous avez ordre de résider auprès de Horace Walpole, qu'il est mon tuteur, que je su's sa pupille, que j'ai pour lui une passion effrénée, et que peut-être j'arriverai incessamment moimême, que je m'établirai à Strawberry-hill, et qu'il n'y a point de scandale que je ne sois prête à donner.

A

Ah, mon Tuteur, prenez vite un flacon; vous êtes prêt à vous évanouir; voilà pourtant ce qui vous arrivera si je n'ai pas de vos nouvelles deux fois la semaine.

Je ne doute pas que vous ne soyez persuadé que la personne de France qui vous aime le mieux c'est moi; eh bien, vous vous trompez; il y en a une autre qui vous aime cent fois davantage, et d'un amour si aveugle, qu'elle ne vous croit aucun défaut, et certainement je ne suis pas de même : avant de vous la nommer, il faut que je vous y prépare par une petite histoire que peut-être savez vous, car tout Paris la sait; mais vous pouvez l'avoir oubliée, et le pis c'est que vous l'entendiez pour la seconde fois :-la voici.

L'Archevêque de Toulouse avoit un grandpère, ce grand père étoit mon oncle, cet oncle étoit un sot, et ce sot m'aimoit beaucoup; il me venoit voir souvent. Un jour il me dit,

ma niéce, je vais vous apprendre une chose qui vous fera grand plaisir; il y a un homme de beaucoup d'esprit, du plus grand mérite, qui fait de vous un cas infini; il vous est parfaitenent attaché; vous pouvez le regarder comme votre meilleur ami, vous le trouverez dans toute occasion; il n'a pas été à portée de vous dire lui même ce qu'il pense pour vous, mais je me suis chargé de vous l'apprendre. Ah! mon oncle, nommez le moi donc bien vite. C'est, ma niéce, . . . C'est le sacristain des Minimes. Eh bien, mon Tuteur, cette personne qui vous aime tant, c'est Mlle. Dévreux'; c'est à son état qu'il faut attribuer cet apologue, car sa personne et son mérite la rendent bien préfér able à toutes les princesses, archiduchesses, et idoles de comtesses. Cette pauvre Dévreux vous adore, et elle ne veut pas que je sois jamais fâchée contre vous; elle trouve que vous avez toujours raison.

Savez vous, mon Tuteur, à quoi je vais m'amuser? à faire des portraits. Je fis hier celui de l'Archevêque de Toulouse 2; on le lui lut en

(1) Femme de Chambre to Mad. du Deffand.

Her great nephew: this portrait is published

lui donnant à deviner de qui il étoit; il s'y reconnut comme s'il s'étoit vu dans un miroir. Si vous le connoissiez d'avantage, je vous enverrois ce portrait, et je ne sais si je ferois bien, car vous ne faites pas grand cas des productions de ma Minerve. Je pourrai bien quelque jour chercher à vous peindre, mais je ne sais pas și je vous connois bien; enfin, nous verrons.

Votre Parlement me tourne la tête; quelle idée il vous a pris de vous jetter dans le cahos des affaires; mais à quoi serviroit tout ce que je pourrois vous dire sur cela? qu'à vous impatienter et à augmenter le dégoût que je m'apperçois que depuis long tems vous avez pris pour moi: faites donc ce que vous vou drez; je n'exige de vous que des bulletins de votre santé.

Vendredi, à 2 heures.

Un ange ou un diable m'apporte votre lettre de Strawberry-hill, du 22: c'est celle qui devoit arriver le mardi, 28. Je ne puis vous peindre quel est mon étonnement, premièrement de ce que je ne comptois en recevoir que demain, ou même dimanche ; et ce qui me surprend à l'excès, c'est ce qu'elle contient. Quoi donc, Monsieur, êtes vous devenu tout-à

fait fol? voulez vous m'éprouver, voulez vous déranger ma tête ? que prétendez vous? ́qué coulez vous de moi? n'avez vous pas quarante neuf ans? n'en ai-je pas soixante et dix ? est il permis à ces ages là d'avoir des sentimens? qu'est-ce que c'est que ceux de l'amitié? ce n'est qu'un amour déguisé qui couvre de ridi cule. Qu'est-ce que c'est encore qué cette inquiétude sur ma santé ? que vous importe que je vive ou que je meure? votre projet est il de me voir ? n'êtes vous pas uniquement occupé de la chose publique, seroit il raisonable que vous l'abandonnassiez pour moi, quand vous consentez à y sacrifier votre vie? Ah, Monsieur, faites des réflexions solides, et ne m'exposez pas au ridicule de laisser croire que je compte sur votre amitié. Ne dois-je pas penser tout cela ? —mais non, non, mon Tuteur, je suis bien loin de le penser; votre lettre me charme et ne me surprend pas; vos injures, vos duretés, vos cruautés mêmes ne m'ont point fait méprendre à la bonté et à la sensibilité de votre cœur ;-mais je ne veux pas vous en dire d'advantage; vous êtes sujet à des retours qui me mettent en garde contre moi-même et contre vous tout ce que je me permets de vous dire, c'est que je suis heu reuse dans ce moment-ci, mais que je pourrois

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