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tain laisse pour ainsi dire en équilibre la balance du juge, et qu'il s'agit de la faire incliner du côté qui, naturellement, mérite le plus de faveur.

Il semble, quand la loi se tait, que le juge devroit se taire aussi, et recourir au législateur; il semble au moins que c'est à la raison tranquille, et non pas à la passion de parler pour la loi, qui n'est jamais passionnée. Mais l'équité naturelle a quelquefois aussi le sentiment pour guide; et dans ces cas, l'éloquence pathétique n'est pas déplacée.

D'ailleurs, les juges sont des hommes : la raison froide et dénuée d'images les trouveroit souvent distraits et ennuyés; il est donc utile souvent d'animer la raison, et de donner à la vérité cette chaleur pénétrante, sans laquelle on n'obtient qu'une attention trop légère.

CHAPITRE XV.

LE BARREAU FRANÇAIS.

LORSQUE les lettres, ensevelies pendant plusieurs siècles sous les ruines de l'ancienne Rome, se réveillèrent parmi nous, on lut les anciens avec avidité, mais au lieu de prendre l'essor avec eux, on se contenta de marcher servilement sur leurs traces.

Cette érudition, semée dans une terre mal préparée ne produisit d'abord que des fruits de mauvais goût. Le respect excessif qu'on avoit pour la philosophie d'Aristote, prolongea l'enfance de notre littérature.

On se persuada que ce philosophe avoit tout dit, et que ses découvertes embrassoient la nature entière.

Les moines qui étoient dans ce temps-là, les seuls hommes instruits, apportèrent dans les lettres et la philosophie la même tradition qu'ils respectoient dans les matières théologiques; et parce qu'il n'y a rien de vrai dans la religion que ce que Dieu a révélé, ils ne connurent et n'admirent rien de beau en aucun genre, que ce que les anciens avoient dit et pensé.

Les ouvrages de philosophie et de littérature ne furent donc que de froides compilations. Descartes fut le premier qui osa penser d'après lui. Il secoua le joug de la

routine, et au risque de s'égarer, il se fraya une route nouvelle ; il donna l'exemple de l'indépendance dans la pensée: la république des lettres remplaça le despotisme d'Aristote..

Le siècle de François Ier. avoit vu renaître tous les arts, celui de Louis XIV les porta à leur perfection.

L'éloquence sous Louis XIV prit un essor aussi haut que la poésie, mais non pas, comme la poésie, dans tous les genres. Elle ne triompha que dans la chaire. Ceux qui s'y distinguèrent ont conservé une réputation immortelle. Celle des orateurs du barreau a passé avec

eux.

Ce n'est pas que Le Maître et Patru, les deux plus célèbres avocats de ce temps-là, ne méritassent, par rapport à leurs contemporains, le rang qu'ils occupèrent. Tous deux eurent assez de talens pour éclipser celui de leurs rivaux, mais tous deux étoient encore loin de ce bon goût qui est de tous les temps, et qui fait vivre les productions de l'esprit.

Ils connoissoient bien la théorie de leur profession; ils savoient appliquer les lois et établir des moyens. Ils ne manquoient ni de force dans le raisonnement, ni de véhémence dans l'attaque; mais ces bonnes qualités étoient habituellement corrompues par un mélange indigeste d'érudition profane et sacrée, qui étoit alors d'autant plus applaudie, qu'elle étoit plus étrangère au sujet.

On a peine à concevoir aujourd'hui comment Le Maître qui étoit de l'école de Port-Royal, et Patru qui étoit

ami intime de Boileau, ne sentirent pas que rien n'étoit plus déplacé, plus contraire à la nature des objets qu'ils traitoient, que ce débordement de citations gratuites tirées des poëtes et des philosophes de l'antiquité, des prophè tes de l'ancien et du nouveau Testament, que ces comparaisons de rhéteur tirées du soleil, de la lune et des montagnes, et cette foule de subtilités ingénieuses, mais tout-à-fait étrangères à la cause qu'ils avoient à défendre. Il y a néanmoins cette différence entre eux que Le Maître fut plus éloquent que Patru, et que la diction de Patru fut plus pure et plus saine que celle de Le Maître.

Ce que l'éloquence judiciaire produisit de plus beau dans le siècle de Louis XIV, n'appartient pas proprement au barreau, et ne fut ni l'ouvrage d'un légiste, ni le plaidoyer d'un avocat: ce fut le travail de l'amitié courageuse défendant un infortuné ministre tombé dans la disgrâce de son maître : ce fut le fruft d'un vrai talent oratoire animé par le zèle et le danger, et signalé dans une éclatante occasion. On voit bien que je veux parler du procès de Fouquet et des défenses publiées en sa faveur par Pelisson, et adressées au plus impérieux des

rois.

Voltaire ne craint pas de comparer ces défenses aux plaidoyers de Cicéron : et au moment où Voltaire écrivoit ce jugement, les mémoires de Pelisson étoient, en effet, ce que les modernes pouvoient opposer avec plus d'avantage aux anciens, et ce qui se rapprochoit le plus de leur mérite.

Ce n'est pas que ces mémoires soient tout-à-fait exempts de ces figures qui sentent le déclamateur; ce n'est pas qu'il n'y ait quelques incorrections dans le langage, quelques défauts dans la diction, tels que longueur de phrases, embarras de construction, multiplicité de parenthèses. Mais les beautés prédominent, et il n'y a plus ici de vices essentiels. Tout va au but, et rien ne sort du sujet. On y admire la noblesse du style et des sentimens, l'enchaînement des preuves, la force des rai– sonnemens, et l'art d'y mêler, sans disparate, une sorte d'ironie aussi convaincante que les raisons; l'adresse d'intéresser sans cesse la gloire du roi à l'absolution de l'accusé, de réclamer la justice de manière à ne renoncer ja→ mais à la clémence, et de rejeter sur les malheurs des temps et la nécessité des conjonctures, ce qu'il n'étoit pas possible de justifier..... On y admire enfin des pensées sublimes et des mouvemens pathétiques, et principalement une péroraison adressée à Louis XIV, Ilétoit réservé au siècle de Louis XV, de produire des Cochin, des Normand, des Gerbier, des Bellard, etc., orateurs éloquens, jurisconsultes habiles, avocats dignes des beaux jours de Rome et d'Athènes.

LA HARPE. Cours de littérature.)

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