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volontaire, aiment mieux renoncer à subsister qu'à s'instruire; les autres, nés dans ce qu'on appelle un rang, bravent la mollesse et la honte, et ont le double courage et de devenir savans et de l'avouer. Il en est qui se sont formés en parcourant l'Europe; il en est dont la pensée solitaire et profonde n'a vécu qu'avec elle-même. Léibnitz ne peut sentir de bornes qui le resserrent; il embrasse tout ce que l'esprit humain peut penser; mais le plus grand nombre s'empare d'un objet auquel il s'attache et autour duquel il tourne sans cesse. Ici, c'est l'esprit original et ardent; là, l'esprit de discussion et d'une sage lenteur. Celui-ci a le secret de ses forces et marche avec audace ; celui-là, pour affermir tous ses pas, les calcule. Enfin, vous voyez ces hommes extraordinaires se faire presque tous un régime pour la pensée, ménager avec économie toutes leurs forces, et quelques-uns même, par la vie la plus austère, s'affranchir, autant qu'ils le peuvent, de l'empire des sens, pour que leur âme, dès qu'ils l'appellent, se trouve indépendante et libre. Si vous les comparez par leur état, vous trouvez dans cette liste des militaires qui ont uni les sciences avec les armes; des médecins qui, forcés d'être instruits pour n'être pas coupables, autant par devoir que par génie, sont devenus grands; des religieux qui, privés par leur état même de toutes les passions, s'en sont fait une dont l'activité a redoublé par le retranchement des autres ; enfin un certain nombre d'hommes qui, jaloux d'ètre libres, n'ont voulu pour eux d'autre rang que celui d'éclairer.

Si vous examinez leur âme, ils s'offrent ils s'offrent presque tous désintéressés et nobles, ou ne daignant pas appeler la fortune, ou la dédaignant même quand elle va à eux; les uns ayant une pauvreté ferme et courageuse, les autres retranchant aux besoins pour donner aux bienfaits, et dans leur médiocrité assez riches pour être généreux. Voyez-en plusieurs passionnés pour l'étude et indifférens pour la gloire éloignés de cette ostentation qui est toujours une foiblesse, ne s'apercevant pas même de ce qu'ils sont, ce qui est la vraie modestie; honorant leurs bienfaiteurs, louant leurs rivaux, assez fiers pour faire du bien à tous leurs ennemis. Vous en voyez quelques-uns ornés de grâces qui dans le monde font pardonner les vertus. Mais ce qui fait le caractère du plus grand nombre, ce sont toutes les qualités que donne l'habitude de vivre plus avec les livres qu'avec les hommes, je veux dire des mœurs, et les sentimens de la nature; cette candeur si éloignée de toute espèce d'art, cette bonne foi de caractère qui agit d'après les choses, non d'après les conventions, et ne songe jamais à prendre son avantage avec les hommes ; une simplicité qui contraste si bien avec le désir éternel d'occuper de soi, vice des coeurs froids et des âmes vides; l'ignorance de presque tous, hors des choses utiles et grandes ; une politesse qui quelquefois néglige les dehors, mais qui au lieu d'être ou un calcul fin d'amour propre, ou une vanité puérile, ou une fausseté barbare, est tout simplement de l'humanité; enfin, cette tranquillité d'àme, qui ayant apprécié tout, et n'estimant dans ce songe de la vie, que ce qui mérite de

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F'être, c'est-à-dire, bien peu de choses, ne se passionne pour rien, et se trouve au-dessus des agitations et des foiblesses.

Maintenant si vous considérez ces éloges du côté du mérite de l'écrivain, ce mérite est connu : on sait que Fontenelle est le premier qui ait orné les sciences des grâces de l'imagination; mais, comme il le dit luimême, il est très-difficile d'embellir ce qui ne doit l'être que jusqu'à un certain degré. Un tact très-fin, et pour lequel l'esprit ne suffit pas, a pu seul lui indiquer celte mesure. Fontenelle a surtout cette clarté qui, dans les sujets philosophiques, est la première des grâces: son art de présenter les objets, est pour l'esprit, ce que le télescope est pour l'œil de l'observateur; il abrège les distances: l'homme peu instruit voit une surface d'idées qui l'intéresse ; l'homme savant découvre la profondeur cachée sous cette surface. Ainsi, il donne des idées à l'un, et réveille les idées de l'autre.

Pour la partie morale, Fontenelle a l'air d'un philosophe qui connoît les hommes, qui les observe, qui les craint, qui quelquefois les méprise; mais qui ne trahit son secret qu'à demi. Presque toujours il glisse à côté des préjugés, se tenant à la distance qu'il faut pour que les uns lui rendent justice, et que les autres ne lui en fassent pas un crime. Il ne compromet point la raison, ne la montre que de loin, mais la montre toujours. A l'égard de sa manière, car il en a une, la finesse et la grâce y dominent, comme on sait, bien plus que la force; il n'est point éloquent, ne doit et ne veut point l'être, mais

il attache et il plaît; d'autres relèvent des choses communes par des expressions nobles; lui, presque toujours, peint les grandes choses sous des images familières. Cette manière peut être critiquée, mais elle est piquante: d'abord, elle donne le plaisir de la surprise par le contraste, et par les nouveaux rapports qu'elle découvre; ensuite on aime à voir un homme qui n'est pas étonné des grandes choses; ce point de vue semble nous agrandir; peut-être même lui savons-nous gré de ne pas nous vouloir forcer à l'admiration, sentiment qui nous accuse toujours un peu ou d'ignorance ou de foiblesse.

On a beaucoup parlé de l'esprit de Fontenelle: ce genre d'esprit ne paroît nulle part autant que dans ses éloges. Il consiste presque toujours dans des allusions fines, ou à des traits d'histoire connus, ou à des préjugés d'état et de rang, ou aux mœurs publiques, ou au carac— tère de la nation, ou à des foiblesses secrètes de l'homme, à des misères qu'on se déguise, à des prétentions qu'on ne s'avoue pas; il met une vertu en contraste avec une foiblesse qui quelquefois paroît y toucher, mais qu'il en détache; il joint presque toujours à un éloge fin une critique déliée; il a l'air de contredire une vérité, et il l'établit en paroissant la combattre; il fait voir ou qu'une chose dont on s'étonne étoit commune, ou qu'une chose dont on ne s'étonne pas étoit rare il crée des ressemblances qu'on n'avoit point vues; il saisit des différences qui avoient échappé; enfin, presque tout son art est de surprendre, et il y réussit presque toujours; en général, il fait entendre beaucoup de choses qu'il ne dit pas; et

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cette confiance qu'il veut bien avoir dans les lumières d'autrui, est une flatterie adroite pour son lecteur.

Je sais bien que ce genre d'esprit a trouvé des critiques; mais sans l'excuser entièrement, on peut dire peut dire que ce caractère de beautés convenoit à Fontenelle, comme il y a des parures qui embellissent certaines femmes, et qui siéroient mal à d'autres. Un écrivain ne peut pas manquer de plaire, quand il est lui, c'est-à-dire, quand son esprit est assorti à son caractère, mérite plus rare qu'on ne pense. Fontenelle ne pouvoit être que ce qu'il fut. Pour les âmes passionnées, il n'existe dans la nature que de grandes masses; tout ce qui est fin disparoît mais lui, toujours tranquille, et à la distance qu'il falloit de tout, avoit le loisir d'observer les nuances et de les peindre par le même caractère, il devoit se faire un plan raisonné de bonheur ; il consentoit bien à instruire, mais il vouloit plaire; il ne mettoit pas assez d'intérêt ni à la vérité, ni aux hommes, pour se compromettre : il ne devoit donc jamais présenter la vérité avec chaleur, et son système devoit être de la laisser entrevoir plutôt que de la dire.

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De là ce style presque toujours à demi voilé, et toutes ces énigmes de morale, aussi ingénieuses que piquantes. Les lumières générales durent encore contribuer à embellir ce style. Plus un siècle a d'esprit, plus on peut supprimer d'idées. Il faut alors plus de résultats que de détails ; de là une foule de traits courts et précis, semblables à ces compositions chimiques qui, sous un trèspetit volume, renferment le fruit d'un grand nombre d'analyses.

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