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CHAPITRE XXIV.

LES VIES DE PLUTARQUË.

EVOQUE devant moi les grands hommes, je veux les voir et converser avec eux, disoit un jeune prince, plein d'imagination et d'enthousiasme, à une pythonisse cé– lèbre, qui passoit dans l'Orient pour évoquer les morts.

Un sage, qui n'étoit pas loin de là, et qui passoit sa vie dans la retraite, s'approcha et lui dit : je vais exécuter ce que tu demandes. Tiens, prends ce livre, parcours avec attention les caractères qui le composent : à mesure que tu liras, tu verras s'élever autour de toi les ombres des grands hommes, et elles ne te quitteront plus. Ce livre étoit les hommes illustres du philosophe de Chéronée.

C'est là en effet que toute l'antiquité se trouve; là, chaque homme paroît tour à tour avec son génie et les talens ou les vertus qui ont influé sur le sort des peuples. Naissance, éducation, moeurs; principes ou qui tiennent au caractère ou qui le combattent; concours de plusieurs grands hommes, qui se développent en se choquant; grands hommes isolés et qui semblent jetés hors des routes de la nature, dans des temps de foiblesse et de langueur; lutte d'un grand caractère contre les

moeurs avilies d'un peuple qui tombe; développement rapide d'un peuple naissant à qui un homme de génie imprime sa force; mouvement donné à des nations par les lois, par les conquêtes, par l'éloquence; grandes vertus toujours plus rares que les talens, les unes impétueuses et fortes, les autres calmes et raisonnées s; desseins, tantôt conçus profondément et mûris par les années, tantôt inspirés, conçus, exécutés presqu'à la· fois, et avec cette vigueur qui renverse tout, parce qu'elle ne donne le temps de rien prévoir; enfin, des vies écla– tantes, des morts illustres; tel est à peu près le tableau que nous offre Plutarque.

A l'égard du style et de la manière, on la connoît, c'est celle d'un vieillard plein de sens, accoutumé au spectacle des choses humaines, qui ne s'échauffe pas, ne s'éblouit pas, admire avec tranquillité et blâme sans indi- › gnation; sa marche est mesurée, et il ne la précipite jamais semblable à une rivière calme, il s'arrête, il revient, il suspend son cours, il embrasse lentement un terrain vaste, il sème tranquillement, et, comme au hasard, sur sa route, tout ce que sa mémoire vient lui offrir. Enfin, partout il converse avec son lecteur; c'est le Montaigne des Grecs, mais il n'a point, comme lui, cette manière pittoresque et hardie de peindre ses idées, et cette imagination de style, que peu de poëtes mêmes ont eue comme Montaigne.

A cela près, il attache et intéresse comme lui, sans paroître s'en occuper. Son grand art surtout est de faire connoître les hommes par les petits détails. Il ne faut

donc point de ces portraits brillans, dont Salluste, le premier, donna des modèles, et que le cardinal de Retz, par ses mémoires, mit si fort à la mode parmi nous. Il fait mieux, il peint en action on croit voir tous ces grands hommes agir et converser. Toutes ses figures sont vraies, et ont les proportions exactes de la nature. Quelques personnes pensent que c'est, dans ce genre, qu'on devroit écrire tous les éloges; on éblouiroit peut-être moins, disent-elles, mais on satisferoit plus; et il faut savoir quelquefois renoncer à l'admiration pour l'estime.

(Essai sur les Eloges:)

CHAPITRE XXV.

DES ÉLOGES PUBLICS PRONONCÉS EN FRANCE DEPUIS

LOUIS XIV.

L'ÉLOQUENCE françoise, pour parvenir au point où elle s'est élevée sous le règne de Louis XIV, avoit eu un intervalle immense à franchir.

Depuis François Ier., époque de la renaissance des lettres, l'esprit national s'étoit avancé peu à peu vers ce terme. Il en est des peuples comme des hommes, et leur marche est la même. Les idées s'entassent par la foule des objets que l'on voit, et l'esprit s'agrandit par les tableaux qui viennent frapper l'imagination. Alors il existe une sorte de fermentation générale, qui anime tout : les uns entraînés par le cours politique des affaires, prennent part au destin des nations; ils négocient, ils combattent; ils ont de ces grandes pensées qui changent, bouleversent ou affermissent le sort des peuples : les autres observent et suivent ces mouvemens; ils contemplent les succès et les malheurs, le génie qui se mêle avec les fautes, le hasard qui domine impérieusement le génie, et les passions humaines qui, partout, terribles et actives, entraînent la marche des états.

De ce mélange de chocs et de réflexions, de grands intérêts et de sentimens que ces intérêts font naître, se forme peu à peu chez un peuple, un assemblage d'idées, qui tantôt se développent rapidement, et tantôt germent avec lenteur; mais rien ne contribue tant à cette activité générale des esprits, que les troubles civils, et les agitations intérieures d'un pays. C'est alors que la nature est dans toute sa force, ou qu'elle tend à y parvenir. Alors les esprits comme les caractères se combattent; tout se heurte et se repousse, tout prend le poids que lui donne la force; l'énergie de l'àme passe aux idées, et il se forme un ensemble d'esprit et de caractère, propre à concevoir et à produire un jour de grandes choses.

Tel fut l'état de la nation françoise pendant l'espace d'un siècle, c'est-à-dire, depuis François II, jusqu'à la douzième année du règne de Louis XIV. Aux troubles civils, qui remuoient fortement les âmes, se joignirent en même temps les querelles de religion; tout le monde étoit occupé de cet intérêt sacré : on écrivoit, on combattoit, on disputoit; on tenoit un poignard d'une main, et la plume de l'autre.

Lorsque l'autorité, qui sort toujours et s'élève du milieu des ruines, commença à tout calmer; lorsque la force qui étoit dans les caractères, contenue de toute part, n'osa plus se répandre en dehors, elle se porta sur d'autres objets. Dans les premiers rangs, elle forma des hommes d'état; dans les autres classes, elle créa des poëtes, des peintres, des statuaires et des orateurs. Mais ce qu'il faut remarquer, c'est que tous les autres arts

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