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CHAPITRE XXIII.

DES ÉLOGES PUBLICS.

La louange,

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si désirée et si prodiguée sur la terre, n'est point et ne peut être une chose indifférente; elle est ou utile ou funeste; elle est tour à tour ce qu'il y a ou de plus noble ou de plus vil.

En société, c'est le plus souvent un commerce de mensonge établi par la convention et le besoin de se plaire; alors elle nuit aux hommes parce qu'elle les dispense d'avoir des vertns qu'ils auroient peut-être ou du moins qu'ils devroient avoir si c'est un instrument que l'intérêt emploie pour parvenir à la fortune, on doit la mépriser: si c'est la flatterie d'un esclave qui trompe un homme puissant, on doit la craindre.

Mais aussi quelquefois c'est l'hommage que l'admira— tion rend aux vertus, ou la reconnoissance au génie, et, sous ce point de vue, elle est un des plus grands mobiles des actions humaines : d'abord par son autorité, elle inspire un respect naturel pour celui qui la mérite et qui l'obtient; par sa justice, elle est la voix des nations qu'on ne peut séduire et des siècles qu'on ne peut corrompre ; par son indépendance, l'autorité toute puissante ne peut ni l'obtenir ni l'ôter; par son étendue, elle remplit tous

les lieux; par sa durée elle embrasse tous les temps: on peut dire que par elle le génie s'étend, l'âme s'élève, l'homme tout entier multiplie ses forces, et de là les travaux utiles, les méditations sublimes, les idées du législateur, les veilles du grand écrivain; de là le sang versé pour la patrie et l'éloquence de l'orateur qui défend la liberté de sa nation.

Il ne faut donc pas s'étonner que les âmes ardentes et actives aient été toutes passionnées pour la gloire. On connoît le mot de Philippe à qui un courtisan féroce conseilloit de détruire Athènes : Et par qui serons-nous loués?

Ce sentiment est un aiguillon pour les uns et un frein pour les autres. Souviens-toi, disoit un philosophe à un prince, que chaque jour de ta vie est un feuillet de ton histoire.

D'où naît ce sentiment? De la nature même de l'homme. Ambitieux et foibles, mélanges d'imperfections et de grandeurs, une estime étrangère peut seule justifier celle que nous tâchons d'avoir pour nous-mêmes; elle met un prix à nos travaux, elle nous fait croire à nos vertus, elle nous rassure sur nos foiblesses, elle occupe de plus notre activité inquiète qui a besoin de mouvement et qui cherche à se répandre au dehors. L'amour de la gloire nous pousse et nous précipite hors de nous; nous échapà l'ennui et à nous-mêmes; nous volons au-devant du temps, nous vivons où nous ne sommes pas. La calomnie siffle dans un coin, mais la gloire parcourt la terre; elle acquitte la dette du genre humain envers la vertu et le génie.

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Soit intérêt, soit justice, on a donc partout rendu des honneurs aux grands hommes; et de là les statues, les inscriptions, les arcs de triomphe; de là surtout l'institution des éloges, institution qui a été universelle sur la terre.

Les premiers éloges qui sortirent de la bouche des hommes furent des hymnes adressées à la divinité; ces hymnes étoient inspirées par la reconnoissance et par l'admiration.

L'homme, placé en naissant sur la terre, dut être frappé du grand spectacle que la nature déployoit à ses yeux. L'étendue des cieux, la profondeur des forêts l'immensité des mers, la richesse et la variété des campagnes, cette multitude innombrable d'êtres en mou→ vement, destinés à servir d'ornement au globe qu'ils habitent, tout ce vaste assemblage dut porter à son esprit une impression de grandeur.

Bientôt un autre sentiment dut succéder à celui-là ; il vit que cette nature si riche avoit des rapports avec lui. Les astres lui prêtoient leur lumière; des fleurs embaumoient l'air qu'il respiroit; des fruits se détachoient de leurs branches pour le nourrir; les arbres le protégeoient de leur ombre, et offrirent un asile à son repos. Les cieux, pendant son sommeil, sembloient se couvrir d'un voile et n'envoyoient à son séjour qu'une lumière douce et tranquille. Frappé de tant de merveilles, il sentit que leur cause n'étoit pas en lui-même, que tout étoit l'ouvrage d'un être qui se déroboit à ses sens, mais qui se manifestoit par ses bienfaits. Alors il le chercha à

travers ce monde solitaire où il erroit à l'aventure: il le demanda aux cieux, à la terre, à tout ce qui l'environnoit. Plein du sentiment religieux qui s'élevoit dans son cœur, il mêla sa voix à celle de la nature, et du sommet d'une montagne, ou dans un vallon écarté, au bruit des fleuves et des torrens qui rouloient à ses pieds, il chanta une hymne en l'honneur de la divinité, dont il éprouvoit la présence et qui le faisoit exister et sentir.

La louange élevée vers la divinité descendit bientôt jusqu'à l'homme. Elle devoit s'avilir un jour, mais elle commença par être juste, elle célébra des bienfaits avant de flatter le pouvoir.

Dans ce temps-là il falloit pour être loué des droits réels, et ces droits ne purent être que des services rendus aux hommes. Ainsi la découverte du feu, l'applica→ tion de cet élément aux usages de la vie, l'art de forger les métaux, celui de fertiliser la terre en la remuant, voilà, sans doute quels furent les premiers titres aux éloges des nations: tout ce qui nous paroît vil aujourd'hui commença par être grand.

Les législateurs vinrent ensuite, et ils reçurent aussi des hommages; car les lois étoient aussi un besoin pour le foible. Enfin, comme la société naissante avoit différentes espèces d'ennemis, qu'il falloit chasser les bêtes féroces dans les déserts, qu'il falloit réprimer les brigands, ou combattre des ennemis armés, on célébra ceux qui, pour le repos de tous, sacrifiant leur repos et même leur vie, se dévouèrent à combattre les lions, les tigres et les hommes.

Tout peuple dès sa naissance eut des éloges. Les Chis nois, les Phéniciens, les Arabes, les Grecs célébrèrent par des chants les grandes actions et les grands hommes: Les Egyptiens conçurent les premiers l'idée des oraisons funèbres et de n'accorder ces distinctions qu'à la vertu.

Il y avoit un lac qu'il falloit traverser pour arriver au lieu de la sépulture. Sur les bords de ce lac on arrêtoit le mort : « Qui que tu sois, lui disoit-on, rends compte à la patrie de tes actions; qu'as-tu fait du temps et de la vie ? La loi t'interroge, la patrie t'écoute, la vérité te juge.

Alors il comparoissoit sans titres et sans pouvoirs, ré☺ duit à lui seul, escorté seulement de ses vertus et de ses vices; là le citoyen, convaincu de n'avoir point observé les lois, étoit condamné à l'infamie ; là le citoyen vertueux étoit récompensé d'un éloge public : l'honneur de le prononcer étoit réservé aux parens. Les enfans venoient recevoir des leçons de vertu en entendant louer leur père. Le peuple s'y rendoit en foule, le magistrat y présidoit ; alors on célébroit l'homme juste à l'aspect de sa cendre.

(Essai sur les éloges, par M. THOMAS.)

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