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DE LITTÉRATURE,

D'HISTOIRE

ET DE PHILOSOPHIE.

CHAPITRE XIV.

ÉLOQUENCE DU BARREAU.

ON

Na souvent confondu, én parlant des anciens, le barreau avec la tribune, et les avocats avec les orateurs; sans doute à cause que l'un de ces emplois menoit à l'autre, et que bien souvent le même homme les exerçoit à la fois.

Il y avoit à Athènes trois sortes de tribunaux : celui de l'aréopage qui ne jugeoit qu'au criminel, et d'où l'éloquence pathétique étoit bannie; celui des juges particuliers, devant lesquels se plaidoient les causes qui n'étoient pas capitales; et celui du peuple, auquel on

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déféroit une loi qu'on croyoit mauvaise, et qui avoit droit de l'abroger.

Les deux premiers de ces tribunaux répondoient à notre barreau, le dernier répondoit au forum, ou à la

tribune romaine.

Il y avoit de plus les assemblées publiques où le peuple et le sénat siégeoient ensemble, et dans lesquelles s'agitoient les affaires d'état.

Tant que Rome fut libre, le forum, où le peuple étoit juge, fut le tribunal suprême; le tribunal des préteurs, celui des censeurs, celui des chevaliers, celui du đu sénat même étoient subordonnés au tribunal du peuple.

Mais depuis César, et sous les empereurs, toutes les grandes causes furent attribuées au sénat : l'autorité des préteurs s'accrut, celle du peuple fut anéantie, et l'éloquence de la tribune périt avec la liberté.

Ainsi, dans Rome et dans Athènes, tantôt les causes se plaidoient devant les juges, esclaves de la loi; tantôt devant le législateur, qui avoit le droit d'abroger la loi, de l'adoucir, ou de la changer. Voilà ce qui distingue essentiellement le barreau de la tribune, et l'avocat de l'orateur.

On a souvent agité la question de savoir si l'éloquence étoit permise aux avocats, comme aux orateurs.

La question ne seroit pas difficile à résoudre, si l'on vouloit s'entendre sur le mot éloquence.

<< Il arrive souvent, dit Plutarque, que les passions secondent la raison, et servent à roidir la vertu, comme l'ire modérée sert la vaillance, comme la haine des mé→

chans sert la justice. » Ainsi, l'amour de la liberté et la haine de la tyrannie ouvrent à la tribune un champ libre à l'éloquence pathétique.

Il n'en est pas de même au barreau. Le juge n'est à l'audience que l'organe des lois, et les lois ne connoissent ni l'amour, ni la haine, ni la crainte, ni la pitié. Si le juge a reçu de la nature un cœur sensible, ou un naturel passionné, ce sont autant d'ennemis de son devoir qui le suivent dans le sanctuaire de la justice, et qu'il seroit à désirer qu'il pût laisser à la porte.

Aristote nous dit que dans l'aréopage, on défendoit aux avocats d'employer l'éloquence passionnée. Un avocat qui eût parlé à l'âme en eût été chassé comme un corrupteur. Cependant l'exemple de Phryné fait voir qu'on n'étoit pas toujours aussi sévère; et Socrate, dans son apologie, n'eût pas eu besoin de dire à ses juges qu'il n'emploieroit aucun moyen de les toucher, si ces moyens lui avoient été rigoureusement interdits.

Lorsqu'on voit paroître au barreau cette enchanteresse publique, cette éloquence piperesse, comme l'appelle Montaigne, on croit revoir Phryné dévoilée par Hypéride aux yeux de ses juges.

Que demandez-vous aux juges? Justice. Pour l'obtenir, avez-vous besoin d'intéresser leurs passions? Le coeur que vous voulez toucher doit être froid et impassible comme la loi. Il en est donc de l'éloquence pathétique, comme des sollicitations: et si l'oråteur ne veut pas se dégrader lui-même, ni offenser ses juges, en employant, pour les gagner, les manèges honteux d'une éloquence

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corruptrice, il plaidera devant eux, comme s'il plaidoit devant la loi, il évitera d'employer les mouvemens passionnés.

Le principe de l'éloquence du barreau, surtout dans nos gouvernemens modernes, est donc que le juge a besoin d'ètre éclairé, et non d'être ému.

Cette règle a pourtant quelques exceptions. La première, lorsqu'il s'agit d'apprécier le sens moral des actions, d'en estimer le tort, l'injure, le dommage, de déterminer leur degré d'iniquité ou de malice, et de décider à quel point elles sont dignes d'indulgence ou de sévérité, de châtiment ou de pardon. Dans ces causes, la loi qui n'a pu tout prévoir, laisse l'homme juge de l'homme; et les faits peuvent être sentis par le cœur, peuvent être jugés par lui; alors il est permis à l'avocat de parler son langage, de solliciter la pitié en faveur de ce qui en est digne, et l'indulgence en faveur de la foiblesse ; et, par la même raison, de présenter les faits odieux dans toute leur noirceur, de développer les replis de l'artifice et du mensonge, de prendre sans ménagement la fraude ou l'usurpation, l'àme d'un fourbe démasqué, ou d'un scélérat confondu.

Mais alors même, en tirant de sa cause les preuves et les moyens pressans qui la rendent victorieuse, on doit éviter le ridicule d'en exagérer l'importance, et d'y employer des mouvemens outrés ou des secours empruntés de trop loin.

Une autre espèce de cause où l'éloquence pathétique peut avoir lieu au barreau, c'est lorsque le droit incer

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