D'Ailly voit son visage ... ô désespoir! ô cris! Il le voit, il l'embrasse: hélas ! c'étoit son fils. Le père infortuné, les yeux baignés de larmes, Tournoit contre son sein ses parricides armes. On l'arrête, on s'oppose à sa juste fureur;
Il s'arrache, en tremblant, de ce lieu plein d'horreur; Il déteste à jamais sa coupable victoire;
Il renonce à la cour, aux humains, à la gloire, Et, se fuyant lui-même, au milieu des déserts Il va cacher sa peine au bout de l'univers. Là, soit que le soleil rendît le jour au monde, Soit qu'il finît sa course au vaste sein de l'onde Sa voix faisoit redire aux échos attendris Le nom, le triste nom de son malheureux fils.
Du héros expirant la jeune et tendre amante, Par la terreur conduite, incertaine, tremblante, Vient d'un pied chancelant sur ces funestes bords : Elle cherche, elle voit dans la foule des morts, Elle voit son époux; elle tombe éperdue;
Le voile de la mort se répand sur sa vue :
« Est-ce toi, cher amant ? » Ces mots interrompus, Ces cris demi-formés ne sont point entendus. Elle rouvre les yeux; sa bouche presse encore Par ses derniers baisers la bouche qu'elle adore ; Elle tient dans ses bras ce corps pâle et sanglant, Le regarde, soupire, et meurt en l'embrassant.
Père, époux malheureux, famille déplorable, Des fureurs de ces temps exemple lamentable, Puisse de ce combat le souvenir affreux Exciter la pitié de nos derniers neveux,
Arracher à leurs yeux des larmes salutaires, Et qu'ils n'imitent point les crimes de leurs pères.
Mort de l'amiral de Coligny.
COLIGNY languissoit dans les bras du repos, Et le sommeil trompeur lui versoit ses pavots. Soudain de mille cris le bruit épouvantable Vient arracher ses sens à ce calme agréable : Il se lève, il regarde, il voit de tous côtés Courir des assassins à pas précipités;
Il voit briller partout les flambeaux et les armes : Son palais embrasé, tout un peuple peuple en alarmes, Ses serviteurs sanglans dans la flamme étouffés, Les meurtriers en foule au carnage échauffés, Criant à haute voix : « Qu'on n'épargne personne! » C'est Dieu, c'est Médicis, c'est le roi qui l'ordonne. » Il entend retentir le nom de Coligny ; Il aperçoit de loin le jeune Téligny, Téligny dont l'amour a mérité sa fille,
L'espoir de son parti, l'honneur de sa famille, Qui sanglant, déchiré, traîné par des soldats, Lai demandoit vengeance, et lui tendoit les bras. Le héros malheureux, sans armes sans défense, Voyant qu'il faut périr et périr sans vengeance, Voulut mourir du moins comme il avoit vécu, Avec toute sa gloire et toute sa vertu.
Déjà des assassins la nombreuse cohorte, Du salon qui l'enferme alloit briser la porte; Il leur ouvre lui-même, et se montre à leurs yeux, Avec cet œil serein, ce front majestueux, Tel que dans les combats, maître de son courage, Tranquille il arrêtoit ou pressoit le carnage. A cet air vénérable, à cet auguste aspect Les meurtriers surpris sont saisis de respect; Une force inconnue a suspendu leur rage.
« Compagnons, leur dit-il, achevez votre ouvrage, Et de mon sang glacé souillez ces cheveux blancs, Que le sort des combats respecta quarante ans; Frappez, ne craignez rien : Coligny vous pardonne; Ma vie est peu de chose et je vous l'abandonne.... J'eusse aimé mieux la perdre en combattant pour vous... » Ces tigrès à ces mots tombent à ses genoux;
L'un saisi d'épouvante abandonne ses armes; L'autre embrasse ses pieds qu'il trempe de ses larmes ; Et de ses assassins, ce grand homme entouré, Sembloit un roi puissant par son peuple adoré. Besme, qui dans la cour attendoit sa victime, Monte, accourt, indigné qu'on diffère son crime. Des assassins trop lents, il veut hâter les coups; Aux pieds de ce héros il les voit trembler tous. A cet objet touchant lui seul est inflexible Lui seul à la pitié toujours inaccessible, Auroit cru faire un crime et trahir Médicis " Si du moindre remords il se sentoit surpris. A travers les soldats il court d'un pas rapide; Coligny l'attendoit d'un visage intrépide :
Et bientôt dans le flanc ce monstre furieux Lui plonge son épée en détournant les yeux, De peur que d'un coup d'œil cet auguste visage. Ne fit trembler son bras, et glaçât son courage. Du plus grand des François tel fut le triste sort. On l'insulte, on l'outrage encore après sa mort. Son corps percé de coups, privé de sépulture, Des oiseaux dévorans fut Pindigne pâture; Et l'on porta sa tête aux pieds de Médicis; Conquête digne d'elle et digne de son fils. Médicis la reçut avec indifférence, Sans paroître jouir du fruit de sa vengeance, Sans trouble, sans remords, maîtresse de ses sens, Et comme accoutumée à de pareils présens.
(Le même, ibid., chant 3:)
Massacre de la Saint Barthélemy..
Qui pourroit cependant exprimer les ravages, Dont cette nuit cruelle étala les images! La mort de Coligny, prémices des horreurs, N'étoit qu'un foible essai de toutes leurs fureurs. D'un peuple d'assassins les troupes effrénées, acharnées, Marchoient le fer en main, les yeux étincelans, Sur les corps étendus de nos frères sanglans : Guise étoit à leur tête, et bouillant de colère
Par devoir et par zèle au carnage
Vengeoit sur tous les miens les mânes de son père.
Nevers, Gondi, Tavanne un poignard à la main, Echauffoient les transports de leur zèle inhumain ; Et portant devant eux la liste de leurs crimes, Les conduisoient au meurtre et marquoient leurs victimes. Je ne vous peindrai point le tumulte et les cris, Le sang de tous côtés ruisselant dans Paris, Le fils assassiné sur le corps de son père, Le frère avec la soeur, la fille avec la mère, Les époux expirant sous leurs toits embrasés, Les enfans au berceau sur la pierre écrasés : Des fureurs des humains c'est ce qu'on doit attendre. Mais ce que l'avenir aura peine à comprendre, Ce que vous-même encore à peine vous croirez, Ces monstres furieux, de carnage altérés, Excités par la voix des prêtres sanguinaires, Invoquoient le Seigneur en égorgeant leurs frères, Et le bras tout souillé du sang des innocens, Osoient offrir à Dieu cet exécrable encens.
O combien de héros indignement périrent! Renel et Pardaillan chez les morts descendirent; Et vous, brave Guerchy, vous, sage Lavardin, Dignes de plus de vie et d'un autre destin. Parmi les malheureux que cette nuit cruelle Plongea dans les horreurs d'une nuit éternelle, Marsillac et Soubise, au trépas condamnés, Défendent quelque temps leurs jours infortunés. Sanglans, percés de coups, et respirant à peine, Jusqu'aux portes du Louvre on les pousse, on les traîne;
Ils teignent de leur sang ce palais odieux,
En implorant leur roi, qui les trahit tous deux.
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