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SUITE DES RÉFLEXIONS.

SUR LA POÉSIE,

ET SUR L'ODE

EN PARTICULIER.

A Piece qui a mérité le Prix, & les fragmens que le public vient d'enténdre de plufieurs autres, ont échappé avec honneur au naufrage d'environ foixante autres Odes que l'Académie a vu périr avec regret, fans pouvoir en fauver les débris. Jamais la Poéfie n'a été firare à force d'être fi commune, à prendre ce dernier mot dans tous les fens qu'il peut avoir. En tout gen re de talens, le menu peuple eft aujourd'hui: très-nombreux; & malheureusement on ne peut pas dire des Beaux-Arts comme des Etats, que c'eft le peuple qui en fait la force. Verfificateur, homme de Lettres, Philofophe même, on fe fait-tout à peu de frais; & on fe plaint enfuite que ce qui coûté fi peu foit eftimé ce qu'il vaut.

Les Poëtes, par exemple, ont oui dire qu'on defiroit aujourd'hui de la Philofophie par-tout; que le public n'entendoit point raifon fur ce fajet; qu'il étoit las de mots,

& vouloit des chofes. S'il ne tient qu'à ce la, ont-ils dit, nous mettrons de la Philofophie dans nos vers. Mais la Philofo-phie qui fait le mérite du Poëte, n'eft pas celle qu'il peut arracher par lambeaux dans quelques livres; c'eft celle qui fait fentir & penfer, & qu'on trouve chez foi ou nulle part. Lucrece en eft un bel exemple. Quand eft-il vraiment fublime? Eftce quand il détaille en vers foibles la foible Philofophie de fon tems, quand il fe traî. ne languiffamment fur les pas des autres? C'eft quand il penfe & fent d'après luimême, quand il est le Peintre, & non l'Ecolier d'Epicure.

A force de crier par tout Philofophic, je crains que nos fages ne lui faffent tort. Pour être refpectée il ne faut pas qu'elle fe prostitue, encore moins qu'elle fe ́laiffe voir fous une forme défavantageufe. Si elle se trouve emprifonnée & mal à fon aife dans des vers durs, foibles, ou profaïques, fes ennemis, toujours empreffés à la trouver en faute, s'écrieront avec fatisfaction: Voilà à quoi s'expofe le Poëte qui fe fait Phir lofophe. Ils devroient dire tout au plus, voilà a quoi s'expofe le Philofophe qui n'a pas ce qu'il faut pour être Poëte: ils devroient fentir & reconnoître, pour ne pas citer d'autres exemples, quel prix la Philofophie

ajoute à la verfification brillante du plus célebre de nos Ecrivains. Mais ces Mesfieurs ne louent jamais que les morts, ou les vivans que la mort fait oublier.

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Le Philofophe de fon côté, tout Philofophe qu'on l'accufe d'être, reconnoîtra. fans peine, que ce n'eft pas affez, fur-tout en vers, de penfer & de fentir; l'expresfion en eft l'ame indifpenfable. On la veut choifie, & pourtant naturelle; harmonieufe, & pourtant facile. On impofe au Poë te les lois les plus féveres; & pour com ble de rigueur, on lui défend de laiffer voir ce qu'il lui en a coûté pour s'y foumettre. L'arrêt eft dur fans doute; il est aifé à ceux qui ne courent pas la carriere, de s'y montrer difficiles: mais il eft enco re plus aifé de ne la pas courir, fi on n'en a pas la force. Un grand Poëte eft un Ecrivain d'un ordre fupérieur aux autres; quand on a cette prétention, il eft jufte. de la payer.

Encore celui-là même qui la remplit le mieux a-t-il befoin de quelqu'indulgence. Combien de fautes légeres & comme imperceptibles, d'expreffions qui ne font pas tout-à-fait juftes, de tours un peu contraints, de mots & quelquefois de vers de rempliffage, qu'on eft forcé de pardonner au, Poëte? Il n'en eft aucun qu'on ne puis

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fe prendre ici pour juge, pourvu qu'on lui donne à juger les vers d'autrui, & non pas les fiens. Un Poëte eft un hommequ'on oblige de marcher avec grace les fers aux pieds; il faut bien lui permettre de chanceler quelquefois légèrement. En fera-t-il pour cela moins digne d'admiration? Point du tout. Et quel est l'Ecrivain qui, foit pareffe, foit impuiffance de mieux faire, ne fe furprend pas lui-même mille fois en faute, ne fe voit pas mille petites taches dont il fe garde le fecret, & qu'il efpere dérober aux autres? Si on étoit condamné en écrivant à fe fatisfaire pleinement foi-même, je ne fais fi on écriroit une page en toute fa vie. Nous admirons avec raifon l'Énéide, & Virgile vouloit la brûler.

De tous les genres de petits Poëmes, l'Ode eft le plus rempli d'écueils. On y veut de l'infpiration, & l'infpiration de commande eft bien froide; on y veut de l'élévation, & l'enflure est à côté du fublime; on y veut de l'enthousiasme, & en même tems de la raifon, c'est-à-dire, non pas tout-à-fait, mais à - peu - près les deux con traires.

Defpréaux dans fon Art Poétique a don né le précepte, & n'a pas donné l'exemple dans fon Ode fur Namur. La Motte a prétendu que ce qu'on appelle dans l'Ode

un beau défordre, est au contraire le chefd'œuvre de la Logique & de la raison; le tout à l'avantage des Odes didactiques qu'il a rimées. Chacun fait ainfi des regles d'après ce qu'il fent, ou plutôt d'après ce qu'il peut. Mais pourquoi tant faire de regles? Il en eft dans les Beaux Arts comme dans les Sciences. Voulez vous faire connoître une machine? Ne vous amufez point à la décrire, on ne vous entendroit. qu'imparfaitement; montrez la machine même. Voulez-vous favoir ce que c'eft que l'Ode? contentez-vous d'en lire de belles. Vous en trouverez de cette efpece (& ce font peut-être les meilleures) où il n'y a ni fureur poétique, ni invocation, ni que vois je, ni que fens-je, ni prétendu beau défordre. Vous en verrez d'excellentes, chacune en leur, genre, comme l'Ode à la Fortune & l'Ode à la Veuve, dont le caractere eft abfolument différent, quant aux idées, quant au ftyle, quant à la nature même des ftances & de la mesure; & vous viendrez après cela nous tracer des regles. Les grands Artistes en tout genre n'en ont guere connu qu'une; c'est de n'être ni froids ni ennuyeux. Avec une oreille fenfible & fonore, un choix heu reux d'expreffions, que le goût feui peut donner, & fur-tout des idées & de l'ame,

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