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Ils restèrent une heure ensemble.

Ce qui fut dit pendant ce tête-à-tête, nul ne peut le répéter; Dieu seul devant qui se discutent la vie et la mort des royaumes, Dieu seul était en tiers dans cette sombre conversation; et ce que madame Campan en apprit de la bouche de la reine fut ce que celle-ci voulut en perdre.

Seulement, ce qu'il est facile de deviner, c'est que l'entrevue fut inutile et ne conduisit rien. Chacun parlait sa langue, qui n'était pas celle de l'autre, et le moment de la séparation arriva, laissant chacun dans le cercle qu'il avait d'avance tracé autour de lui.

Tout ce que l'on sut, et ce fut la reine qui le répéta, c'est qu'au moment où ils allaient se séparer, Mirabeau, s'adressant autant à la femme qu'à la reine, lui dit :

Madame, lorsque votre auguste mère admettait un de ses sujets à l'honneur de sa présence, jamais elle ne le congédiait sans lui donner sa main à baiser.

La reine présenta à Mirabeau sa main froide et blanche comme de l'ivoire, et Mirabeau de ses lèvres toucha la main royale.

C'en fut assez pour cette tête pleine de flamme, pour ce cœur plein de poésie; il crut avoir reçu une grande faveur de celle qui eût dû, si elle eût su plier le genou, tomber à ses pieds et demander grâce. Il releva le front, et, d'une voix pleine de la confiance de sa force :

Il suffit, madame, dit-il, la monarchie est sauvée!

Hélas! il se trompait, la monarchie était déjà sur une pente si rapide, que lui-même, tout géant qu'il était, ne pouvait l'arrêter dans sa course.

Et puis, cette femme, qui l'avait reçu sur les obsessions de Lameth; cette femme qui, sur sa demande, venait de lui donner sa main à baiser; cette femme, de la même main que venaient de toucher les lèvres de Mirabeau, cette femme rentrée au château de Saint-Cloud, écrivait en Allemagne à M. de Flaslanden :

« Je me sers de Mirabeau, mais il n'y a rien de sérieux dans les rapports que je noue avec lui. »> On se rappelle que la Fédération avait été votée. La cérémonie fut fixée au 14 juillet, jour anniversaire de la prise de la Bastille. Le lieu désigné fut le Champ de Mars.

Le 19 juin, Anacharsis Clootz, ce baron prussien qui devait prendre plus tard le titre d'orateur du genre humain, vint demander à ce que les patriotes de toutes les nations pussent assister à la solennité. La chose, bien entendu, fut accordée, non-seulement accordée comme nous le disons, mais ce singulier patriote qu'on appelait Alexandre Lameth s'écria:

Eh quoi, citoyens, vous allez recevoir des députés de l'Alsace et de la Franche-Comté, souffrirez-vous qu'ils voient dans nos places publiques les figures de leurs ancêtres enchaînées aux pieds de nos rois? Je demande que ces symboles de la servitude soient enlevés et que les inscriptions de la vanité qui les accompagnent soient effacées.

Il va sans dire que la motion fut adoptée.

L'exemple était entraînant; aussi, sur le même mode que son ami Alexandre Lameth, le marquis de Lambel s'écria-t-il à son tour :

C'est aujourd'hui le tombeau de la vanité, je demande la suppression de tous les titres de ducs, comtes, vicomtes, marquis.

La phrase n'était pas très-française, mais elle était de mise ce jour-là, elle eut le plus grand succès. Barnave et Lafayette appuyèrent la motion; Noailles et Lepelletier parlèrent dans le même sens; le duc de Montmorency s'aperçut qu'on avait oublié les armoiries et sacrifia ses armes d'or à la croix de gueules cantonnée de seize alérions d'azur.

Alors au milieu de cris d'enthousiasme, l'Assemblée rendit un décret qui abolissait pour toujours, en France, la noblesse héréditaire et les titres de monseigneur et d'excellence.

Il était en outre, par le même décret, défendu aux citoyens de prendre d'autres noms que leurs noms de famille.

Ainsi plus de comte de Mirabeau, plus de marquis de Lafayette, M. Riquetti et M. Mottier, voilà tout. Ce fut alors que Camille Desmoulins, rangeant le roi dans la catégorie commune, l'appela M. Capet.

Une chose curieuse, c'est que la cause de cette noblesse qui se dépouillait ainsi elle-même, ne fut guère soutenue que par l'abbé Maury, fils d'un cordonnier.

On remarquera que l'Assemblée, en même temps qu'elle abolissait la transmission, du même coup abolissait la transmission de la honte; la noblesse du père n'honorait plus le fils, le supplice du coupable ne tachait plus la famille. Cependant le mouvement fédératif s'opérait.

Jamais peut-être rien n'avait plus profondément pénétré dans les entrailles de la France, que cet appel de Paris à la province. Les Jacobins, les premiers nous dirons plus tard, quand nous ouvrirons la porte des clubs pour y faire entrer nos lecteurs; nous dirons quelle différence il y eut avec les pre

miers et les seconds; les Jacobins disaient: la Fédération va royaliser la France.

Les royalistes disaient :

-

C'est une haute imprudence d'amener ces masses brutales à Paris. C'est risquer une épouvantable mêlée, le pillage, le massacre, l'incendie.

Aveugles qu'étaient royalistes et Jacobins, et qui ne voyaient rien de ce qui était réellement, à plus forte raison, de ce qui devait être.

D'autres espéraient que l'affluence serait moins grande qu'on ne le disait; l'époque était bien rapprochée et certains départements étaient bien loin. Comment feraient ces pauvres gens pour franchir à pied une pareille distance!

Ceux-là comptaient sans l'enthousiasme, sans l'enthousiasme qui, pareil à la foi, transporte les montagnes; la dépense fut mise à la charge des localités, on se cotisa, les riches payèrent pour les pauvres, on donna ce qu'on avait : du pain, de l'argent, des habits, toutes les portes étaient ouvertes, l'hospitalité faisait de chaque maison de la route une hôtellerie gratuite, toute la France ne faisait plus qu'une seule famille; jamais croisade du onzième ou du douzième siècle ne présenta un pareil spectacle, même quand la princesse Comnène disait: Est-ce que l'Occident s'arrache à sa base pour se ruer sur l'Orient?

Et sous ce beau soleil d'été, marchaient, marchaient sans relâche les hommes portant les enfants, les jeunes gens soutenant les vieillards, chacun faisant sa partie dans un immense chœur, à l'aide duquel on bravait la fatigue de la route; on chantait :

Le peuple en ce jour sans cesse répète

Ah! ça ira, ça ira, ça ira.

Suivant les maximes de l'Évangile,
Ah! ça ira, ça ira, ça ira;
Du législateur tout s'accomplira.
Celui qui s'élève on l'abaissera,
Celui qui s'abaisse on l'élèvera.

Les premières vagues de cette immense marée commençaient à battre les murailles de Paris, lorsqu'on s'aperçut que l'emplacement qui devait les recevoir n'était encore aucunement préparé.

On envoya douze cents ouvriers pour y travailler.

C'était le 7 juillet, la réunion avait lieu le 44; à cés douze cents ouvriers il fallait plus de trois ans pour accomplir leur tâche.

C'était chose impossible que cela fût; mais Paris, ce grand faiseur de lumières, dit: Je veux que cela soit, et cela fut.

En sept jours, le Champ de Mars, tel qu'il est aujourd'hui, avec son terrain nivelé et ses talus qui l'encadrent; en sept jours le Champ de Mars fut prêt et offert à la fédération.

Toute la population de Paris s'était mise à la besogne, depuis les enfants jusqu'aux vieillards, depuis le comédien jusqu'au prêtre, depuis la courtisane jusqu'à la mère de famille; toutes les classes de la société, à part quelques aristocrates boudeurs, s'étaient fondues dans un immense amour de la patrie, dans une sainte communion de sentiments.

La fête de la Fédération qui devait, selon les uns, royaliser les provinces, selon les autres, troubler Paris, nationalisa la France. Chacun comprit ce qu'était son unité en la joignant à ce grand total;

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