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IV

Les Jésuites s'honorèrent par leur prompte et héroïque obéissance. Il semble que chacun d'eux ait prononcé les paroles de saint Liguori. Tels ils avaient été depuis le commencement. Dans ce long combat livré contre eux et pour eux, on ne les vit point paraître; ils attendirent en silence, ils moururent en silence. On a peu compris la majesté de cette attitude. Suivant M. Albert de Broglie, « leur « médiocrité durant la crise les rend aussi peu dignes « d'intérêt qu'ils étaient peu dignes de haine; ils ne fi<«<rent point paraître de grands talents. >>

Assurément la Compagnie de Jésus ne pouvait pas montrer un seul homme comparable à Pombal, à Voltaire, à Choiseul, aux autres grands hommes et gens d'esprit de. cette époque; mais les Jésuites avaient de bons maîtres dans toutes leurs écoles, des apôtres dans toutes leurs missions, des martyrs dans tous les cachots, et la persécution, de quelque manière qu'elle s'y prît, parmi vingt mille Jésuites, ne parvint pas à rencontrer vingt apostats. Je trouve à cela une certaine grandeur ! S'ils avaient voulu se défendre, ils l'auraient pu. Il y en avait bien quelques-uns, sur vingt mille, capables d'écrire, de parler, de se faire entendre: ils préférèrent imiter leur Maître, qui ne se préoccupa point de montrer « de grands talents » devant ses juges : Jesus autem tacebat. Le P. Ricci représente la Compagnie toute entière, et je ne sais pas ce que l'on pourrait désirer de plus à sa taille. C'est être assez grand d'être persécuté sans raison, captif sans jugement, de subir tout sans se plaindre, et de n'ouvrir la bouche qu'en présence de la mort, pour laisser une protestation d'inno

cence et une parole de pardon. Les grands orateurs, les grands écrivains, qui auraient rempli le monde entier de leurs gémissements et de leurs anathèmes eussent été beaucoup moins grands et beaucoup moins éloquents.

Quelques Jésuites cependant élevèrent la voix; ce fut pour justifier le Souverain Pontife, en établissant son droit de dissoudre la Compagnie de Jésus et les motifs auxquels il avait cédé. « Nous avons été, disait l'un d'eux, « jetés dans la mer quand il n'y avait plus aucun moyen « d'échapper à la tempête. Ah! si l'union de l'Église ne « pouvait être établie que par l'effusion de notre sang, <«< nous devrions bénir la main qui nous sacrifierait. Je <<< ne crains pas de l'avancer au nom de tous: nous irions << avec joie au-devant de la mort, et quiconque des ci-de<«< vant Jésuites a pensé, parlé, écrit autrement, n'avait << que le nom et l'habit de la Société, et rien de son esprit.»> Ce sentiment unanime des Jésuites au dix-huitième siècle a inspiré le livre du P. de Ravignan. Il l'a écrit avec un égal respect pour la vérité et pour les Papes, qui n'ont besoin que de la vérité.

Ajoutons que, pour les Jésuites de nos jours, ce n'est plus un mérite de comprendre les motifs impérieux qui ont dicté le Bref de suppression et d'honorer le Pape qui l'a rendu. Cette tragique histoire a été suivie d'un épilogue qui l'éclaire singulièrement. Le Bref, conçu de manière à frapper la Compagnie de Jésus sans la condamner, exécuté de manière à l'abattre, je dirais volontiers à la démonter, sans la détruire, ne l'a-t-il pas, en définitive, véritablement sauvée? Malgré des duretés d'expression peutêtre nécessaires, il lui a conservé l'honneur; malgré des rigueurs d'exécution inévitables, il lui a laissé une existence réelle, en sorte qu'elle était par le fait plutôt exilée qu'a

bolie. Ainsi la Compagnie de Jésus est restée tout à la fois absente et présente : assez abattue pour donner à ses persécuteurs le temps de l'oublier ou de disparaître eux-mêmes, assez vivante pour espérer de reprendre un jour toute sa vie. Elle a revécu en effet, seule, ou à peu près, de toutes les puissances qui s'étaient liguées contre elle. Les hommes avaient paru au tribunal de Dieu, les empires avaient subi la Révolution; mais tous les Jésuites de 1773 n'étaient pas morts lorsque le Pape Pie VII rétablit la Compagnie de Jésus en Russie le 7 mars 1801, dans le royaume de Naples le 3 juillet 1804, dans tout l'univers le 4 août 1814. Il en restait de toutes les nations, Italiens, Espagnols, Portugais, Français, Allemands, qui vinrent de toutes parts, après une dispersion si longue, reprendre la règle et l'habit qu'ils pleuraient. Si les Jésuites furent persécutés quoique innocents, quelle réparation fut jamais plus complète ? Un Pape les avait abolis pour la tranquillité de l'Église ; pour le bien de l'Église un autre les rétablit. Ils avaient été chassés de France, de Portugal, d'Espagne, de Naples, comme séditieux et ennemis de l'autorité ; ils y reviennent tels qu'ils étaient, parce que, dit le protestant Jean de Muller, «< on avait senti qu'un rempart commun de toute « autorité était tombé avec eux » et que toute autorité sentait le besoin de le reconstruire. En Espagne, un décret du conseil de Castille anéantit les procédures de Charles III; en France, la raison publique fait justice de la passion des Parlements; en Portugal, terre de leurs martyrs, les Jésuites trouvent sur deux tréteaux, dans une chapelle en ruines, un cadavre qui depuis plus de cinquante ans attendait la sépulture: c'était ce qui restait de Pombal, mort exilé de la cour, exécré du peuple et rongé de lèpre. Personne n'avait voulu le déposer en terre chrétienne: un Jé

suite offrit la Saint Sacrifice pour le repos de l'âme de Pombal, le corps présent, et lui donna une tombe (1).

(1) Sébastien Joseph Carvalho Melho comte d'Æyras et plus tard marquis de Pombal, naquit en 1669 d'un gentilhomme pauvre et obscur. Jusque vers l'âge de 50 ans, essayé dans des négociations inférieures, il ne se distingua guère que par son incapacité. A la mort du roi Jean V., le crédit de sa femme auprès de la reine mère le fit élever au ministère, et il s'empara de toute la confiance du roi qui était sot et débauché. Il effrayait ce prince imbécile en lui parlant de prétendues conspirations tramées contre lui, et soutenu en même temps par les philosophes et les jansénistes, il employa son pouvoir pour se venger de quiconque lui déplaisait ou l'avait méprisé. Il n'eut d'art et de génie que pour cela, mais il en eut beaucoup, et il couvrit de sang le Portugal qui tombait en ruines. Le règne de ce scélérat dura près de trente ans et ne finit qu'avec les jours de son misérable maître. Quand il tomba, huit cents personnes reparurent que l'on croyait mortes. C'était le reste d'environ neuf mille dont on ne savait pas le destin et qui périrent dans les cachots où il les avait enfermées, sans qu'on sùt même quel crime il leur imputait. Les ordres du royaume adressèrent à la reine un discours où ils disaient entre autres choses: « Le sang dégoutte encore « de ces plaies profondes qu'un despotisme aveugle et sans bornes a faites « au cœur du Portugal. Ce qui nous console, c'est que nous en sommes « actuellement délivrés; c'était ce despotisme affreux qui était par système « l'ennemi de l'humanité, de la religion, de la liberté, du mérite et de la « vertu. Il peupla les prisons, il les remplit de la fleur du royaume ; il dés« espéra le peuple par ses vexations, en le réduisant à la misère. C'est lui » qui fit perdre de vue le respect dù à l'autorité du souverain pontife et à « celle des évêques. Il opprima la noblesse, infecta les mœurs, il renversa « la législation et gouverna l'État avec un sceptre de fer. Jamais le monde « ne vit une façon de gouverner si lourde et si cruelle. » Par ordre de la reine, le procès des victimes de Pombal fut revisé. Après une longue instruction, les juges déclarèrent à l'unanimité que les personnes tant vivantes que mortes qui « furent justiciées ou exilées ou emprisonnées en vertu de la sentence du 12 janvier 1759 étaient toutes innocentes. << Il avait 84 ans. On le flétrit et on le laissa vivre. Il mourut en 1782 dans sa 85e année, rongé de lèpres et, dit-on, de remords. On dit que l'évêque de Coimbre Michel dell' Annuciata, une de ses victimes, dont il était le diocésain, lui ayant fait visite, il le trouva à genoux dans la cour de son château avec toute sa famille, lui demandant pardon et sa bénédiction.

Pombal a véritablement tué le Portugal. Le parti qui l'avait soutenu vivant n'a pas abandonné sa mémoire; sous la Restauration, c'était le P. Malagrida, que Pombal fit brûler, qui recevait les exécrations de la presse libérale, et plus récemment le comte de Saint-Priest, écrivant l'histoire de la chute des Jésuites, n'a pas craint d'étaler autant de complaisances pour Pombal que de dédain pour ses victimes.

LE POUVOIR TEMPOREL

DES PAPES.

DÉCEMBBE 1858

I. Chute de l'empire romain. Les empereurs grecs et les barbares, instruments de la fondation du pouvoir papal. Charlemagne. II. Objections communes de la Révolution contre le pouvoir temporel. Louis-Napoléon rouvre les portes de Rome au vicaire de Jésus-Christ.

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Pellegrino Rossi. L'indépendance du pouvoir temporel des Papes. III. La Rome des Papes, centre de la civilisation universelle. - Le Pape rétabli par la France. Conclusion.

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M. Guéroult, rédacteur en chef de la Presse, d'accord avec plusieurs de ses amis, saint-simoniens et socialistes, demande la suppression du gouvernement temporel du Pape. C'est bien naturel de sa part. Les raisons qu'il produit ne sont pas neuves; M. Mazzini, après beaucoup d'autres, les a données, lors du dernier triumvirat romain, ce fait brillant de l'histoire des « penseurs » modernes. Même dans la bouche et dans la main de M. Mazzini, ces raisons, qui n'étaient plus neuves, n'ont pas davantage paru fortes. M. Mazzini voulait « affranchir » Rome, et il était lui-même l'affranchisseur. Rome n'a pas encore oublié ce qu'elle y gagna. Les amis de M. Guéroult éprouvent le besoin d'affranchir le monde en même temps que Rome; mais ce plan plus vaste n'a pas, jusqu'à présent,

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