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pour monter sans cesse, il l'enfonce sans cesse davantage dans la servitude, jusqu'à ce qu'enfin, perdu dans le vide, à je ne sais quelle hauteur fantastique, la tète lui tourne de vertige, et que d'un front sinistre, frappé de la folie césarienne, il proclame intrépidement luimême son apothéose.

Du moment que, trompé le premier par son propre mensonge, il suppose que sa volonté relève d'un ordre supérieur à la terre et plonge dans le ciel, il perd le sens du bien et du mal et il commet indifféremment l'un ou l'autre, au hasard de la minute. Tel est notre plaisir, c'est là son protocole. L'inspiration divine coule en lui; elle récrée l'acte à son image, elle justifie l'effet par la cause et transforme l'iniquité en justice.

Mais ce qui fait de Louis XIV le chef-d'œuvre du genre, ce n'est pas seulement la naissance, c'est aussi le caractère. L'homme en lui complétait le souverain; la nature l'avait créé pour le despotisme. Car qu'est-ce que le despotisme à proprement parler? l'exploitation organisée des vices d'une nation. Mais pour organiser les vices en corps d'État, il fallait un certain talent de mécanicien, et ce talent, Louis XIV le possédait, par intuition, jusque dans le dernier rouage.

Non qu'on veuille dire ici que son règne ait jailli d'un seul jet, tout formé d'avance dans son cerveau. Loin de là; c'est empiriquement, c'est pièce à pièce et uniquement avec le génie du détail que Louis XIV a réalisé son système de monarchie.

II

VERSAILLES.

Il avait reçu, sous l'oeil de Mazarin et d'une mère galante, une éducation abrégée, moitié italienne, moitié espagnole, qui consistait à peu près à monter à cheval et à jouer de la guitare.

On en faisait un jour le reproche à son gouverneur, le premier maréchal de Villeroy, en présence d'un fils mème du maréchal, archevèque de Lyon.

Laissez grandir le jeune prince, répondit l'archevêque. Il fera honneur à la royauté; il ne dit pas un mot de ce qu'il pense.

Louis XIV regarda toujours en effet la dissimulation comme la première règle du catéchisme de la monarchie.

Mazarin mourait. Un page vit un jour passer dans la galerie du palais Mazarin, un vieillard enveloppé

d'une robe de chambre de camelot, fourrée de petit gris. Il allait lentement, languissamment comme un homme brisé par la fièvre, en traînant sa pantoufle sur le parquet, et en tirant un souffle entrecoupé de sa poitrine. De minute en minute il s'arrêtait devant un chef-d'œuvre de peinture, et disait d'une voix éteinte: Il faut quitter tout cela.

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Le spectre passa devant la Vénus du Titien, il porta une main décharnée à son front, et il murmura de

nouveau:

- Il faut quitter tout cela.

Devant le Déluge du Carrache, il poussa le même soupir, et il ajouta, en laissant rouler une larme au bord de sa paupière :

Adieu, cher tableau que j'ai tant aimé.

C'était le cardinal Mazarin qui prenait congé de sa galerie. Il fit cependant bonne mine à la mort; il joua au biribi jusqu'au dernier moment.

La veille de son agonie, il parut une comète. Un courtisan dit au cardinal, en faisant allusion à son prénom de Julio:

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C'est la comète de Jules César.

Le cardinal secoua ironiquement la tète sur son chevet.

Elle me fait trop d'honneur, dit-il.

Il expirait le jour suivant; à la nouvelle de sa mort, une de ses nièces s'écria:

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Louis XIV, depuis sa majorité, avait laissé le pou

voir dans la main du cardinal, mais lorsque la mort l'eut débarrassé de son ministre :

C'est moi qui vais régner, dit-il fièrement.

Il régna donc, et dès le début, et pour montrer sa lettre de maîtrise dans l'art de la politique italienne, il médita longuement et il prépara savamment un coup d'Etat contre le surintendant Fouquet. Il endormit sa victime, il la caressa, il l'enveloppa et l'immola d'un sourire.

Le duc de Gèvres possédait, en qualité de capitaine des gardes, le privilége d'arrêter le surintendant; mais il vivait dans l'intimité, et il avait puisé à la cassette de Fouquet. Louis XIV craignait de mettre le cœur du capitaine à une trop cruelle épreuve en le chargeant de conduire non-seulement son ami, mais son bienfaiteur à la Bastille. Il confia donc sous main l'arrestation du ministre à un homme sûr, à un coupejarret, du nom de d'Artagnan.

Lorsque le duc de Gèvres apprit cette injure gratuite à son dévouement pour la monarchie, il tomba dans un accès de désespoir.

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- Pourquoi me déshonorer? dit-il. J'aurais arrêté mon père, à plus forte raison mon meilleur ami... Est-ce que le roi soupçonne ma fidélité? je mettrais pour lui ma tête sur le billot.

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Gèvres est en colère, répondit Louis XIV, je l'apaiserai.

Et il l'apaisa en effet; il lui donna une gratification.

Certes, la monarchie avait prodigieusement grandi depuis la famille Capet. Puissance sortie de la féodalité, purement féodale à l'origine, et emprisonnée dans la banlieue de Paris, elle avait fini par envahir la France dans le long parcours d'une seule et mème dynastie. De toutes les circonscriptions seigneuriales, auparavant indépendantes et successivement assimilées de gré ou de force, elle avait formé une circonscription unique le royaume, et une suzeraineté universelle la monarchie.

Mais, à mesure que la monarchie étendait sa puissance, elle développait l'importance de Paris, entrepôt naturel de tout le matériel et de tout le mobilier du gouvernement: arsenal, parlement, épargne, hôtel de la monnaie, etc. Paris vaut bien une messe, disait Henri IV il comprenait qu'aussi longtemps que la royauté n'aurait pas franchi la porte Saint-Honoré, elle représentait tout au plus un titre en camp volant.

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Ainsi, toute la puissance que la royauté avait accaparée, elle l'avait conquise sur la féodalité, en luttant contre elle à outrance, de siècle en siècle, de province en province, jusqu'à ce qu'elle l'eût déracinée du sol, et rattachée, en partie résignée, en partie frémissante, à la personne du monarque, par la chaîne dorée d'une charge de palais ou d'une faveur.

La monarchie transforma ainsi la féodalité en noblesse. Mais à quelle condition opéra-t-elle cette révolution? A la condition d'attirer et de domicilier la

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