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d'Artois, et le lieutenant de police m'a déclaré qu'il avait lu mes lettres, mais qu'elles n'avaient point été remises, par ordre supérieur.

Mais quel est l'intérieur de la Bastille? On commence par fouiller le nouveau venu; on lui enlève ses bijoux, ses papiers, ses ciseaux, ses couteaux; enfin, tout, et puis on l'entraîne vers sa loge.

Les murs en ont au moins douze pieds d'épaisseur, et, dans le bas, trente et quarante. Chaque loge a un soupirail pratiqué dans le mur, et traversé par trois grilles de fer, placées de manière qu'il reste à peine à la vue, entre chaque maille, un passage de deux pouces.

En hiver, les caves sont des glacières; en été, ce sont des poêles humides; il s'exhale de la plupart des soupiraux une infection pestilentielle.

Six bûches, si minces qu'on peut les regarder à peu près comme des allumettes, composent la provision de vingt-quatre heures pour un habitant de la Bastille.

Deux matelas rongés de vers, un fauteuil de canne dont le siége ne tient qu'avec des ficelles, une table pliante, une cruche pour l'eau, deux pots de faïence, dont un pour boire, et deux pavés pour soutenir le feu, voilà l'inventaire de mes meubles. On m'a accordé, par commisération, une pincette et une pelle de fer.

Ma chambre avait tout autour de ses sombres murailles, une galerie de peintures à l'ocre qui n'égayaient point ma situation douloureuse; on y devinait toutes les attitudes de la Passion.

A la Bastille, on n'existe réellement que pour ses bourreaux qui frappent de façon qu'on se sente mourir; qu'ils parlent ou qu'ils se taisent, ces cerbères humains ont grand soin que leur activité soit cruelle comme leur inaction.

Il n'y a pas de communication possible entre les captifs; seulement les clefs, les verroux, les portes roulantes, les avertissent qu'ils ne sont pas seuls et leur donnent l'effrayante facilité de supputer le nombre de leurs compagnons d'infortune.

Sentir qu'il y a près de nous un malheureux comme nous, qui pourrait nous consoler et recevoir nos consolations; comprendre, par le silence d'un cachot, qu'il y a un infortuné de moins; ne savoir s'il a reçu la mort ou la liberté, ce sont les supplices réunis de Tantale, d'Ixion et de Sysiphe.

On ne peut couper ses ongles ni ses cheveux sans acheter ce faible plaisir par l'affreux tourment de voir un geôlier qui se tait, ou ne vous parle que pour vous faire souffrir.

L'exemple de M. de Lally prouve que surprendre un rasoir suffit pour faire sonner le tocsin, marcher vingt baïonnettes et préparer les canons. Cette surveillance serait ridicule et amusante si elle n'était pas continuellement horrible.

On reçoit la visite des porte-clefs trois fois par jour, à sept heures du matin, à onze et à six heures du soir : ce sont là les heures du déjeuner, du dîner et du souper.

La moindre grâce demandée ne s'accorde que lentement et à demi. Résolu de m'occuper de géométrie, je demandai un étui; il m'arriva après deux mois, mais sans compas; cependant, après de longs mémoires et un autre mois d'attente, on m'apporta les compas garnis en os.

Le vin de la Bastille n'est que de vinaigre. Chaque prisonnier reçoit par repas quatre onces de viande. Si du moins tout y était sain!... Quelques-uns ont obtenu la permission de se faire apporter de chez eux leur nourriture, mais cette grâce est très-rare; alors l'incognito serait rompu; elle m'a été constamment refusée.

Malgré toutes les précautions que j'ai prises, le huitième jour depuis mon entrée, j'ai eu des coliques et des vomissements de sang qui ne m'ont presque pas quitté : j'ai dit à tous mes geoliers qu'on m'empoisonnait; un rire insultant a été leur réponse. Au reste, je veux bien m'être trompé, mais toujours est-il vrai que près de deux ans passés dans des cachots, sans air, sans exercice, dans les angoisses de l'ennui, dans les convulsions de l'attente, ou plutôt du désespoir, ne font pas moins d'impression sur les organes que le venin le plus actif 1.

Il est triste pour un prisonnier de savoir que la Bastille a été jadis une

:

Le jardin, les plates-formes sont interdits; reste donc pour la promenade la cour du château les murailles qui la ferment ont plus de cent pieds de haut, point d'abri quand il pleut. Cette cour est très-froide en hiver 1, c'est un vrai four dans le temps des chaleurs. Mais, pour récréer les yeux, l'horloge présente aux prisonniers son horrible cadran, où deux figures sont peintes, enchaînées par le cou, par les mains, par les pieds, par le milieu du corps; les deux bouts de ces ingénieuses guirlandes, après avoir couru tout autour du cartel, reviennent sur le devant former un noeud énorme tel est pourtant, avec l'aspect de la taciturne sentinelle, l'objet qui fixe les regards du captif, pendant sa promenade!

Et encore mille causes la diminuent, la suspendent, la troublent, l'interdisent la visite d'un curieux, le passage du marchand de légumes, un diner du gouverneur, suffisent pour qu'on fasse rester le prisonnier dans sa caverne, ou séjourner douloureusement dans un boyau de douze pieds de long, sur deux de large, qu'on appelle le cabinet.

Les officiers de la Bastille, le médecin lui-même, ne peuvent jamais seuls visiter le prisonnier.

Si vous y avez des incommodités passagères ou des attaques subites qui se guérissent avec des secours prompts, mais qui, faute de soins opportuns, causent la mort, résignez-vous à votre sort, et mourez: vous ne pouvez être secouru qu'en frappant. Il est des maladies qui ne le permettent pas; mais, quand vous le feriez, vous ne seriez presque jamais entendu; vous êtes donc réduit à attendre les visites.

Si, en criant fortement, vous vous êtes fait entendre, par le

école de poison; c'est là qu'un Italien, Exili, donna des leçons affreuses à l'amant de la fameuse Brinvilliers, qui les reçut elle-même, et en fit, comme on sait, un horrible usage.

1 Après avoir passé une partie de l'hiver en habit de campagne pour l'été, on m'envoya des bas et des culottes, et tout si étroit qu'un enfant de six aus n'aurait pu s'en servir. Comme je priais le gouverneur de renvoyer cette layette et de me laisser acheter les vêtements nécessaires, il répondit en présence de ses collègues et d'un porte-clefs que je pouvais m'aller faire f....., qu'il se f.... bien de mes culottes, qu'il fallait ne pas se mettre dans le cas d'être à la Bastille, ou savoir souffrir quand on y était.

soupirail, des sentinelles quelquefois endormies, qui se trouvent à près de deux cents pieds, alors l'alarme, en circulant, arrive au corps de garde; le caporal s'instruit de quelle fenêtre est parti le gémissement; il s'en assure en venant écouter à la porte correspondante; il faut ensuite éveiller un porte-clefs, qui va réveiller un laquais du lieutenant du roi, qui réveille son maître pour avoir la clef; on éveille le chirurgien et le frère Chapeau; mais avant que tous ces gens soient bien éveillés, bien habillés, deux heures se sont écoulées; la troupe alors se rend à grand bruit chez le malade: on l'examine; s'il est mort, tout est dit, s'il respire encore, on lui promet d'écrire le lendemain au médecin, et on lui souhaite le bonsoir. Ce médecin demeure aux Tuileries, il est souvent à Versailles; n'importe, il faut l'attendre! Et c'est à la fin du dix-huitième siècle, au milieu de la France, que les bastilles existent, et sont soumises à ce régime! Et ce sont des hommes, la plupart innocents, tous non convaincus, qui souvent ont rendu des services à l'État, qu'on traite ainsi!

Mais enfin ce médecin arrive: si vous pouvez vous trainer, on vous pose sur votre table des médicamens, qu'il faut apprêter, et faire chauffer yous-même; si vous êtes à toute extrémité, on vous donne pour garde un vieil invalide.

La religion n'est pas plus respectée à la Bastille que l'humanité; il n'est point permis à tout le monde d'aller à la messe; et ceux qui obtiennent cette permission, ce que la servitude a de plus horrible les suit jusqu'au pied de l'autel.

La chapelle est le dessous d'un colombier; à travers une lucarne le prisonnier peut, comme par le tuyau d'une lunette, découvrir le célébrant.

L'office du confesseur, qui fait partie de l'état-major, ne peut-être qu'un piége ou une dérision.

Je ne sais dans quel dépôt et avec quelles cérémonies on jette les cendres de ceux qui y meurent on ne les rend pas à leurs familles. Il y a peut-être, pour cette mesure, de trop bonnes raisons.

Une chose, à mon avis, plus horrible que tout ce que j'ai décrit, et qu'on croirait à peine, si tout n'était pas croyable,

après la certitude de tant de dureté et d'injustice, un tourment plus affreux que je ne puis dire, c'est celui que j'ai souffert pendant le mois de décembre 1781 et celui de janvier 1782 : jugé malade à la mort par le médecin lui-même, je demandai la grâce de faire un testament. Quoi de plus simple en apparence! Eh bien! on m'a refusé jusqu'à la satisfaction de laisser après moi des traces de bienfaisance et des marques de souvenir à mes amis!... Cependant il y a un notaire de la Bastille, et je n'étais sous le poids d'aucune condamnation.

Si, du moins, ces rigueurs n'étaient exercées que contre les criminels d'État; mais non, la Bastille renferme des hommes accusés de la violation des lois civiles les plus communes.

Une femme de qualité fabrique au commerce de faux billets; une femme est accusée d'avoir été la confidente pécuniaire d'une société depuis longtemps disparue; on se brouille avec un premier commis; un subalterne a fait des faux, on les met à la Bastille. Et certes, madame de Saint-Vincent, la dame Roger, le sieur Le Bel n'étaient point des prisonniers d'État.

Chose inexplicable! les grands criminels, ceux que la vindicte publique écroue à la Bastille, y trouvent des douceurs inconnues, des égards refusés à tous les autres!

Au reste, la Bastille ne déroge à son régime horriblement stable, que dans le sens contraire à celui qu'indiquerait la justice.

Ainsi, la Bastille est instituée pour tourmenter, au nom du roi, des innocens, ou, du moins, des hommes dont la culpabilité n'est pas démontrée, puisqu'il n'y a pas eu de jugement, souvent pas même d'interrogatoire.

C'est à vous que je m'adresse, ô Louis XVI! ce n'est pas seulement votre bonté que je réclame, c'est votre justice. Comblez ces cachots, l'opprobre de la France, abolissez cette législation ténébreuse et vindicative, cruelle et arbitraire; vous n'êtes point coupable des maux que tant d'innocents ont soufferts sous votre règne, vous les ignoriez; mais un sujet fidèle a dessillé vos yeux et vous seriez comptable à Dieu comme à votre peuple des tourments qu'on infligerait à de nouveaux malheureux on est complice des crimes qu'on tolère.

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