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mettait sur sa layette le cordon du Saint-Esprit, et l'enfant de France bavait là-dessus.

Du lever au coucher du jour, chaque pas du roi dans son palais, chaque mouvement, chaque détail, chaque fonction de sa machine, chaque exigence de la nature, chaque bouchée de pain, chaque verre de vin: sa toilette, sa digestion, sa promenade, sa maladie, sa pharmacie, étaient une cérémonie publique, compliquée à l'infini, célébrée en grand appareil, avec un concours toujours varié d'acteurs et un perpétuel changement à vue de décorations.

Celui-là offrait la salve ou la soucoupe, celui-ci mettait le cadenas ou le couvert, cet autre portait le bougeoir, cet autre tenait l'étrier, cet autre attachait la jarretière, cet autre nouait la cravate, cet autre présentait le gobelet, ou bien encore la patte de cerf après la curée; mais, dans cette savante organisation du service de la garde-robe, de la cuisine, du chenil, de l'écurie, Louis XIV avait conservé l'ordre du blason, pour piquer la noblesse d'honneur, et tirer de la domesticité même une occasion de vanité.

Le prince du sang occupait naturellement un office de valet plus sonore que le prince courant, et le prince courant que le marquis, et ainsi, de cascade en cascade, depuis le grand chambellan jusqu'au simple chambellan, depuis le premier écuyer jusqu'au palfrenier, depuis le panetier jusqu'au hàteur de rôt, au chauffeur de cire, au capitaine des levrettes de la

chambre, au piquer de vol pour la corneille, au chef de vol pour pie, à l'advertisseur-bouche du roi et au couducteur de la volaille. Toute cette valetaille dorée, à commencer par le grand Condé, portait la livrée du roi une casaque bleue galonnée sur chaque couture, et appelée «< justaucorps à brevet. » Louis XIV avait fait du justaucorps un instrument de règne. La noblesse sollicitait comme un honneur le droit de le porter.

Grâce à cette savante hiérarchie d'antichambre, chacun faisait à son tour sa révérence; seulement on mettait sa fierté à la faire le premier. Si un gentilhomme troublait par hasard la symétrie de l'étiquette, il commettait un crime d'État.

Le roi plantait, un jour, par une pluie battante, dans le jardin de Marly. « La pluie de Marly ne mouille pas, disait le cardinal de Pologne. » Cependant l'averse avait effondré le chapeau de Sa Majesté; je ne sais plus quel duc lui en offrit un autre à la barbe du duc de Larochefoucauld, seule autorité compétente pour le changement de coiffure. Le duc protesta hautement contre cette usurpation de pouvoir; ce fut un scandale, un orage de palais. « Il y allait de l'honneur! dit Saint-Simon, tout était perdu. >>

Cette parade chinoise avait cependant quelque chose de sérieux; c'était le salaire. Le maître rétribuait largement la dose de mérite indispensable à un gentilhomme pour suivre une chasse ou incliner la tête devant une alcove; il avait donc imaginé expédient

sur expédient pour soudoyer en conscience la noblesse sans offenser sa pudeur :

D'abord le traitement: le roi payait une courbette par jour, à un duc et pair, sur le même pied que le commandement d'une armée.

Ensuite, le cadeau de la main à la main, pension ou somme une fois donnée pension de cent mille livres, par exemple, à la princesse de Conti, de cent mille à la princesse de Bourbon, de soixante-dix mille au duc de Bourbon, de quatre-vingt mille à la duchesse de Fontange, etc., somme une fois donnée, de trois cent mille livres entre autres à Madame de Bregy, de deux cent mille au duc de Boinvilliers, de cent mille au maréchal d'Estrées, de cent cinquante mille à mademoiselle Lamothe, etc.

Ensuite, la commende ou collation d'une abbaye sur la feuille des bénéfices: le moine jeûnait ou priait dans sa cellule, et un courtisan touchait, par luimême ou par son cadet, le revenu du couvent.

Ensuite, la synagogue: le roi vendait au juif le droit de cité et battait monnaie sur Israël; lorsqu'un commensal de Versailles criait famine, Sa Majesté lui cédait la synagogue de Metz, comme une ferme en Picardie.

Ensuite, le traité extraordinaire : On appelait ainsi, disait le maréchal de Noailles, une opération financière qui consiste à enlever de force à une famille, sous un prétexte frivole, une partie non de son revenu, mais de son capital; c'était le vol à main armée; toutefois, Louis XIV partageait le butin avec son escorte.

Ensuite un homme, quand il était noyé ou pendu, mais pendu et noyé de son fait, comme certain financier nommé Foucault; car la couronne héritait en ligne directe du suicide pour consoler sans doute la famille.

Le roi donna Foucault, dit une chronique du temps, à la princesse d'Harcourt. Elle en tira vingt mille livres de rentes pour sa maison, la plus riche peut-être du royaume.

Ensuite la gratification, sous la rubrique d'ordonnance au porteur. La modestie du gratifié exigeait le mystère, car la somme allouée figurait invariablement avec ce préambule sur le registre secret de dépense : Au porteur de l'ordonnance la somme de cent vingt mille livres, « dont Sa Majesté ne veut être cy fait mention. » Au porteur d'une autre ordonnance, cent mille livres, même formule, etc., etc. C'était toute litanie avec l'infatigable ritournelle « dont Sa Majesté ne veut être ey fait mention. »

Ensuite la concession, c'est-à-dire l'exploitation d'une industrie quelconque, même de charlatan de la foire, par voie de monopole ; concession au duc de Bouillon de la vente de sachets contre la vermine; concession au comte d'Armagnac de l'entreprise des litières; concession au duc d'Ayen des coches et chariots entre Paris et Rouen; concession au duc du Lude des coches et carrosses entre le Pecq et Paris; concession au marquis de Vallavoir du transport sur canal ou rivière, par bateau ou galiote; concession au mar

quis de Cavoye des chaises à porteur de Paris, etc. Ensuite l'avis. Un gentilhomme soupçonnait-il de malversation un fournisseur de l'État, il dénonçait la somme détournée, et en recevait le quart pour prix de sa délation. Le duc d'Orléans tira ainsi un million d'un trésorier de l'armée. Le comte de Grammont dépista de son côté un agioteur sur le fourrage. Il pria le roi de lui abandonner cet homme en toute propriété. Le roi lui en fit cadeau.

Ensuite le pot-de-vin; lorsque le roi renouvelait le bail d'un impôt, il exigeait un pot-de-vin du fermier, et en prince généreux donnait de la main droite co qu'il avait reçu de la main gauche, dix mille pistoles à la reine, par exemple, cinq mille à Monsieur, cinq mille à Madame, et cinquante mille écus à mademoiselle Fouilloux.

Ensuite la lettre de répit. Qu'était-ce que la lettre de répit? Un duc et pair, je suppose, avait souscrit un emprunt. Le bailleur exigeait le payement de sa créance. Alors le roi intervenait du haut de son trône, et par une lettre de surséance accordait au débiteur le droit de faire provisoirement banqueroute. Le roturier insolvable devait porter, de par la loi, le bonnet vert en signe d'infamie. Mais le gentilhomme endetté recevait un brevet d'honneur sur parchemin, en récompense d'une vie de débauche.

Enfin la loterie: c'était la part des duchesses. De temps à autre le roi organisait une loterie d'étoffes et de bijoux. Tous les billets gagnaient naturellement,

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