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noblesse à Paris. A côté et autour du Louvre, les grands seigneurs terriens, Condé, Guise, Bouillon, Soubise, Rohan, etc., avaient construit un autre Louvre au petit pied, et venaient l'occuper avec une escorte personnelle de gentilshommes; de sorte que la noblesse tenait garnison à Paris, et bloquait la royauté dans son palais. Lorsque, par une cause ou par une autre, elle faisait alliance avec le Parlement, et à l'aide du parlement avec la bourgeoisie, ou, comme disait Louis XIV, avec la canaille, elle forçait la royauté à rendre son épée ou bien à évacuer sa capitale, et à régner sur le grand chemin.

L'antagonisme, toujours survivant, quoique par moment étouffé, de l'aristocratie et de la monarchie, avait donc fait de Paris le champ de bataille des deux puissances. Or, la Ligue d'abord et ensuite la Fronde avaient suffisamment démontré que, dans la guerre des pots de chambre, pour parler la langue du grand Condé, la royauté courait la chance de perdre la partie. En même temps, et comme par une rencontre de l'histoire, l'Angleterre enseignait à l'Europe, par un coup de hache hardi, qu'une tête royale pouvait tenir dans la main du bourreau.

Louis XIV trembla devant cette leçon d'histoire, sinon pour lui-même, du moins pour sa descendance. Il alla bâtir, au milieu des bois, un château environné de casernes. L'histoire a vu, jusqu'à présent, dans Versailles, un caprice du monarque. Elle l'a même appelé quelque part un favori sans mérite;

car, en France, elle trouve plus aisément une épigramme que la vérité.

Certes, si Louis XIV avait uniquement songé à bâtir un palais d'agrément, il avait peut-être le sens de la .vue assez développé pour entrevoir que le sol aride de Versailles, sans autre eau que l'eau du ciel, manquait à la première condition du programme. Lorsqu'il envoyait une armée chercher la rivière de l'Eure, la pioche sur l'épaule, pour amener l'eau prisonnière de guerre en quelque sorte à Versailles, il soupçonnait probablement que cette lutte acharnée contre la nature le condamnait d'avance à une héroïque dépense. Or, à moins de supposer l'absurde pour l'absurde, du moment qu'il persistait à improviser le sable du désert en jardin d'Armide, il devait obéir à une pensée première, supérieure à toute considération d'économie.

C'est qu'il voulait élever sur le plateau de Versailles la citadelle du despotisme, pudiquement déguisée en palais. Il en avait choisi l'emplacement à portée à la fois et à distance de Paris; assez près pour tenir sa capitale sous la main; assez loin pour mettre sa couronne à l'abri d'un coup de tête de la noblesse.

Quelle position stratégique autour de Paris plus facile à défendre que Versailles, couvert, en première ligne, par la Seine, et, en seconde, par les hauteurs boisées de Saint-Cloud et de Meudon? On ne pouvait y arriver que par le défilé de Sèvres, la seule route ouverte en ce temps-là; et, en cas de défaite, la troupe

royale avait sa retraite assurée sur la Loire et sur la Normandie. Car, il faut bien le remarquer, ce n'était pas seulement contre une population indisciplinée et incapable de tenir la campagne que la royauté avait à combattre dans l'hypothèse d'une insurrection de Paris, mais aussi contre une véritable armée, recrutée et commandée par l'elite militaire du royaume.

En transferant le siége de la royauté à Versailles, Louis XIV isolait la noblesse du Parlement. La robe sans l'épée tombait dans l'impuissance. Il pouvait la faire taire comme une meute, en faisant claquer son fouet. Il avait encore, toutefois, à compter avec la noblesse: car elle avait retenu dans sa défaite une part respectable de pouvoir; elle occupait de plein droit les gouvernements de province, les places fortes de frontière. Et, lorsqu elle éprouvait un accès de turbulence, elle pouvait tourner contre le roi les forces confiées par le roi lui-même, et ouvrir les portes de la France aux armées de l'étranger.

Que devait faire Louis XIV pour mettre la noblesse au repos force? Recommencer contre elle la politique tragique de Richelieu, et la poursuivre la mèche à la main, jusque dans son dernier repaire? mais c'était vouloir la detruire, c'etait changer la constitution du royaume, c'etait regner par la bourgeoisie.

Or, Louis XIV, premier gentilhomme du royaume, et gentilhomme par principe, portait au fond du cœur un mépris tellement forcene pour la roture, que, dans un edit contre le duel, signe de sa main, il

appelait officiellement le bourgeois ignoble, et punissait l'ignoble de la potence, non pour avoir provoqué un noble, quel noble aurait accepté le cartel? mais simplement pour avoir chargé un gentilhomme de soutenir sa querelle; cause indigne, cause abjecte, disait l'édit.

La violence, d'ailleurs, est l'enfance de l'art, la première intelligence venue d'un pouvoir sans intelligence. L'habileté suprème consiste à vaincre l'ennemi sans le combattre et à l'amener en silence à consentir de bonne grace et à concourir lui-même à son propre asservissement.

La Turquie donne la fidélité de la femme à garder à la grille du harem et au yatagan de l'eunuque : voilà la politique de violence. La Chine, au contraire, persuade à la femme de broyer son pied dans un étau, sous prétexte qu'elle marche avec plus d'élégance lorsqu'elle ne peut plus marcher : voilà la politique de conciliation.

Louis XIV adopta le procédé chinois à l'égard de la noblesse; au lieu de l'attaquer de vive force, il aima mieux la confisquer en douceur. Il fit de Versailles une sorte de paradis terrestre, et il y organisa un vaste système d'embauchage. Il développa son palais à perte de vue, afin de pouvoir y emprisonner agréablement l'état-major de l'aristocratie. Il mit la noblesse à l'engrais elle mangea, et ensuite elle mourut. :

III

LA COUR.

Et d'abord, pour marquer la distance du roi au gentilhomme, Louis XIV perfectionna le culte journalier de l'étiquette à l'usage de sa personne. Une liturgie digne du siècle de Cambyse prenait l'idole au saut du lit, et réglait minute par minute, la façon d'ôter un bonnet et de mettre une pantoufle. Le roi créa une religion de la chemise, et en institua le grand-prêtre un prince du sang car, pour avoir le droit de toucher cette chair sacrée, il fallait porter dans sa veine une goutte de sa céleste essence.

Tellement céleste, en effet, qu'elle passait tout entière dans un fœtus et lui communiquait, au sortir du ventre, toute sa puissance et toute sa splendeur. Lorsqu'un fils du roi venait à naître, on l'appelait l'enfant de France; on l'emmaillotait dans son berceau, on

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