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prêtre, est-il dit, se soumit à la réquisition municipale ; mais les catholiques, non avertis, se rendirent à l'église, et exprimèrent leur mécontentement de ce qu'on n'avait point permis au prêtre de dire la messe. De là de nouveaux propos échangés entre les catholiques et les patriotes, et bientôt une collision où quatre personnes furent blessées, deux grièvement. Tels sont, en peu de mots, les troubles qui avaient éclaté à Caen, et qui ont été dénoncés à l'Assemblée nationale. Mais la municipalité de Caen se garda bien de dire à l'Assemblée ce qu'elle avait fait, le 10 du même mois (novembre 1791), aux Filles de la Charité. Elle ne dit pas qu'elle les a traînées, avec l'aide de la garde nationale, à la maison commune, à sept heures du soir, au milieu des huées, des mauvais traitements et de l'effroyable cri de mort, devenu celui de la liberté; qu'elle les a tourmentées de toutes manières pour leur faire prêter le serment qu'elles détestaient dans leur cœur, et auquel, d'ailleurs, elles n'étaient point assujetties; que ces pauvres filles, imperturbables, invincibles, presque martyres, menacées, après une séance prolongée bien avant dans la nuit, de se voir livrées à la populace après leur sortie, ont été réduites à prononcer ces mémorables paroles, propres à attendrir le cœur le moins sensible: Messieurs, que le plus humain d'entre vous soit notre bourreau, plutôt que de nous livrer à la populace! Nous vous pardonnons notre mort, et faisons à Dieu le sacrifice de notre vie; et que la municipalité, loin de se laisser toucher par la fermeté de ces héroïnes chrétiennes, entièrement dévouées au service de l'humanité souffrante, les a condamnées au bannisse

ment (1). Voilà ce qu'elle ne dit pas. Elle ne dénonça que les actes dont elle pût accuser les prêtres fidèles, et dont ils étaient fort innocents. M. Bunel s'est soumis à la première réquisition municipale. Cependant, c'est à eux qu'on s'en prenait, ce sont eux qu'on attaquait. On n'osait pas les chasser des paroisses où ils se trouvaient, mais on leur ordonna de s'abstenir provisoirement de dire la messe dans aucune des églises de Caen, jusqu'à ce que l'Assemblée eût pris des mesures convenables. Les administrateurs du département, à l'exception d'un seul, se refusèrent à signer cet arrêté.

La lecture de ce rapport causa dans l'Assemblée législative une extrême agitation. On proposa de convoquer la haute cour nationale pour juger les coupables et mettre un terme aux troubles. Ce n'était pas le moyen de les apaiser; il s'en fallait beaucoup. Le résultat de tout cela fut une grande irritation contre les prêtres catholiques (2); c'était un funeste prélude pour la séance du 14, où l'on devait examiner leur cause et décider de leur sort.

Le rapport présenté dans cette séance, et fait d'après les impressions qu'avaient laissées tant d'adresses venues des départements, n'était point favorable. On assujettissait au serment civique tous les prêtres qui touchaient une pension du gouvernement, ou qui s'immisçaient dans l'exercice public ou la prédication du culte catholique (3); on leur défendait de s'occuper, dans ces sortes de réunions, d'autre chose que du culte.

(1) Nouveau compte-rendu au roi, p. 20.

(2) Moniteur, séance du 11 novembre 1791. (3) Ibid., 14 novembre 1791.

Ainsi le prêtre catholique pouvait exercer ses fonctions, à la condition qu'il prêterait le serment civique, selon l'article 5, titre 2 de la constitution. Ce serment consistait à jurer d'étre fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout son pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale constituante aux années 1789, 1790, 1791. Il n'y était pas question de la constitution civile du clergé. Ce serment n'était donc pas le même que celui qui était exigé des fonctionnaires publics par la loi du 27 novembre 1790; mais au fond il n'en différait guère, comme nous aurons occasion de l'observer.

La majorité de l'Assemblée, prévenue et irritée sans doute par les dernières dénonciations, n'accepta pas ce projet, qui lui paraissait trop doux; elle le rejeta par la question préalable. Alors parut à la tribune le plus fougueux adversaire du clergé catholique et le plus exalté révolutionnaire: c'est Isnard, député du Var. Il prononça contre le clergé le plus violent discours qu'on eût entendu depuis 1789; il laissa bien loin derrière lui la cruelle éloquence de l'évêque Fauchet; Mirabeau lui-même ne s'était jamais porté à un pareil délire d'impiété. Isnard l'a surpassé par sa haine, par son emportement et sa cruauté; son discours est le prélude des rugissements de la Convention, selon la parole d'un écrivain.

Il établit donc pour principe qu'il est juste d'établir contre le prêtre des lois plus sévères que contre le simple particulier, parce que le prêtre a entre ses mains des moyens d'action et de puissance que n'a pas un autre citoyen. Le prêtre prend l'homme au berceau, et l'accompagne jusqu'au tombeau. La religion est un ins

trument avec lequel il peut faire beaucoup plus de mal qu'un autre. Cette raison avait déjà été donnée à la tribune, mais elle n'avait point été présentée avec la même force.

En partant de ce principe, l'orateur démagogue ne voit qu'un seul moyen súr: c'est l'exil hors du royaume. A ce mot, prononcé pour la première fois, un tonnerre d'applaudissements se fit entendre d'une partie de la salle et des tribunes.

Le malheureux prêtre, fidèle à ses devoirs, pouvait déjà entrevoir le sort qui l'attendait. L'orateur reprit :

<< Ne voyez-vous pas que c'est le seul moyen de faire cesser l'influence de ces prêtres factieux? Ne voyezvous pas qu'il faut séparer le prêtre du peuple qu'il égare? Et, s'il m'est permis de me servir d'une expression triviale, je dirai qu'il faut renvoyer ces pestiférés dans les lazarets de Rome et de l'Italie.... Ne craignez pas, dit-il encore, d'augmenter la force de l'armée des émigrants; car chacun sait qu'en général le prêtre est aussi lâche que vindicatif... Les foudres de Rome s'éteindront sous le bouclier de la liberté... Le moyen que je propose est dicté par la politique : votre politique doit tendre à forcer la victoire à se décider; et vous ne pourrez y parvenir qu'en provoquant contre tous les coupables la rigueur de la loi. Vous les ramènerez par la crainte, ou vous les soumettrez par le glaive... Lorsque ces moyens sont employés par le corps entier de la nation, ils ne sont point coupables; ils sont un grand acte de justice (1), et les législateurs

(1) C'est l'expression dont on se servait pour justifier les massacres de septembre.

qui ne les emploient pas sont eux-mêmes coupables; car, en fait de liberté politique, pardonner le crime, c'est presque le partager. (On applaudit.) Une pareille rigueur fera peut-être couler le sang, je le sais; mais si vous ne la déployez pas, n'en coulera-t-il pas plus encore?... Il faut couper la partie gangrenée pour sauver le reste du corps. Lorsqu'on veut vous conduire à l'indulgence, on vous tend un grand piége (1).

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Le reste du discours est du même genre : « S'il y a des plaintes (contre le prêtre), dit-il, dès lors il doit être forcé de sortir du royaume. Il ne faut pas de preuves! s'écrie-t-il; car vous ne les souffrez là que par excès d'indulgence. S'il y a des plaintes contre lui de la part des citoyens avec lesquels il demeure, il faut qu'il soit à l'instant chassé. Quant à ceux contre lesquels le code pénal prononcerait des peines plus sévères que l'exil, il n'y a qu'une mesure à leur appliquer : la mort! »

Le malheureux ne prévoyait guère que dans moins de deux ans il serait enveloppé lui-même dans cette loi cruelle et impitoyable qu'il provoque aujourd'hui contre des innocents, et que ce ne serait qu'à force de se cacher qu'il se soustrairait au glaive par lequel on voulait le soumettre. La voie de proscription, comme nous l'avons dit, ouvre un abîme où les proscripteurs viennent s'engloutir eux-mêmes, et c'est ce qui est arrivé à Isnard; il a été mis hors la loi sous la Convention, et s'il n'a pas péri comme ceux de son parti, c'est qu'il a eu le bonheur qu'ils n'ont pas eu, de pouvoir se tenir caché sans être découvert. Au reste,

(1) Moniteur, séance du 14 novembre 1791.

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