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dût-on leur payer la pension hors du royaume; et tout cela pour faire place aux institutions sublimes qu'on méditait. Nous avons à remarquer que si la loi de déportation doit son origine à Roland, ce qu'elle a de dur et de barbare appartient au clergé constitutionnel.

Chabot, il est vrai, se hâta de retirer son projet de décret, qui devait obtenir la priorité, et qui consistait à décerner la peine de déportation sur la réquisition de vingt citoyens; il dit que plusieurs membres lui en ont fait sentir les dangers, et qu'étant toujours prêt à avouer ses erreurs quand on les lui fait connaître, il retirait son projet. Mais c'était trop tard. L'Assemblée s'était emparée de son idée, et plusieurs députés vont la développer.

M. Larivière lit le passage du Contrat social de J.-J. Rousseau, où l'auteur établit la peine de bannissement, et même de mort, contre le citoyen qui n'admettrait pas la religion civique que l'État aurait adoptée; et il demanda qu'on convertît tout simplement en loi la proposition de Rousseau :

:

« Ceux qui distinguent, ajoute-t-il, l'intolérance civique et l'intolérance théologique se trompent, à mon avis ces deux intolérances sont inséparables. Il est impossible de vivre en paix avec des gens qu'on croit damnés; les aimer, ce serait haïr Dieu qui les punit: il faut nécessairement qu'on les ramène ou qu'on les tourmente... Maintenant qu'il n'y a plus et qu'il ne peut plus y avoir de religion nationale exclusive, on doit tolérer toutes celles qui tolèrent les autres, autant que leurs dogmes n'ont rien de contraire aux devoirs de citoyen; mais quiconque ose dire, Hors de l'Église

point de salut, doit être chassé de l'État... » (Applaudissements.)

Le malheureux député, qui, comme on le voit, avait une pauvre idée de l'intolérance théologique, ne s'apercevait pas que, tout en condamnant cette intolérance, il en établissait, contre le clergé catholique, une autre bien plus cruelle: Hors de l'Église officielle, point de justice, point de pitié ni d'huma

nité.

Benoiston, s'emparant de l'idée de Chabot qui avait plu à l'Assemblée, demanda la déportation de tout prêtre non assermenté, sur la dénonciation de vingt citoyens actifs, c'est-à-dire payant une contribution de trois journées de travail. D'autres projets étaient proposés, mais celui de Benoiston obtint la priorité. Il fut combattu par M. Girardin, qui fit observer que, par ce projet, les vingt citoyens deviendront non-seulement jurés, mais juges, et que s'il suffisait de la plainte de vingt citoyens pour déporter un membre de l'Assemblée nationale, aucun ne serait en sûreté. Il demanda donc la question préalable sur la proposition de Benoiston. La déportation, selon lui, ne devait être prononcée que par les tribunaux. A cette proposition, Lacroix, qui était pressé d'en finir avec le fanatisme, craignant qu'on ne voulût encore éluder le parti qu'il était nécessaire de prendre, demanda qu'on décrétât la dépor→ tation séance tenante. Guadet vint à son aide, combattit le recours aux tribunaux pour des crimes qui se commettent en secret (c'est-à-dire pour de prétendus crimes dont on ne peut convaincre personne). « S'il était vrai, ajouta-t-il, que la mesure proposée violât la constitution, je vous dirais que nous sommes placés entre cette viola

tion et la perte de la chose publique ;... » » c'est-à-dire, que la constitution soit violée ou non, il faut se défaire du clergé. M. Ramond fit observer que la déportation sans jugement était une mesure despotique, digne de Louis XIV et de tous les tyrans du monde, ennemis des formalités auxquelles oblige l'ordre judiciaire. « Je ne m'attendais pas, dit-il, que ce serait au milieu d'une Assemblée née de la liberté et pour la liberté, qu'une pareille proposition serait faite avec tant d'assurance les exceptions sont la ressource éternelle des despotes. » Guadet répondit par des arguties à des raisons si solides. M. Ramond voulut répliquer; mais on ferma aussitôt la discussion générale. L'Assemblée, ne voulant entendre aucune raison, admit la déportation en principe, comme mesure de police, conformément au projet de M. Guadet (1). Il ne s'agissait plus que d'en régler les conditions. On s'en occupa le lendemain 25 mai. Alors eut lieu la discussion la plus confuse et la plus odieuse qu'on eût jamais vue dans une grande assemblée. La haine qu'on avait contre la religion catholique, et le but secret d'en finir au plus tôt, peuvent seuls l'expliquer. On ne semblait être attentif qu'à tourner la loi de façon qu'aucun prêtre ne pût échapper à la déportation. On écarta les tribunaux, parce qu'on avouait que les formes judiciaires ne pouvaient atteindre les crimes dont il était question : « C'est dans le secret des consciences, disaiton, c'est dans le tribunal de la confession que se trament les complots qui menacent la sûreté publique ; » c'està-dire, c'est contre des crimes invisibles, imaginés à

(1) Moniteur, séance du 24 mai 1792.

plaisir, qu'on établit la plus grande des peines, la déportation.

Benoiston commença la séance par reproduire son projet de la veille, la déportation sur la plainte de vingt citoyens actifs, vérifiée par le directoire du département. Le clergé allait donc être livré à vingt bandits qui le dénonceraient, et qui auraient l'agrément du directoire. Thuriot, craignant que les directoires ne fussent ni assez perfides ni assez injustes, demanda que les directoires ne fussent point autorisés à vérifier les plaintes des dénonciateurs. Cette disposition tyrannique, inouïe dans les annales de la justice et des corps législatifs, révolta plusieurs députés. Voisin, Veron, Ferrière et quelques autres l'appelaient atroce, et disaient que c'était consacrer l'iniquité, le despotisme, l'immoralité, que de livrer tous les prêtres à la merci de vingt brigands, ou d'un scélérat qui en payerait dixneuf. Bigot, se déclarant également contre Thuriot, doutait de l'efficacité de cette loi, à cause des difficultés qu'allait rencontrer son exécution; car que ferait-on si, vingt citoyens venant à dénoncer un prêtre, quarante affirmaient que c'est une calomnie atroce? Lecointre-Puyraveau le tira d'embarras en disant que quand deux témoins attestent qu'un homme est un assassin mille témoins qui le nieraient ne le sauveraient pas. C'est-à-dire, un prêtre dénoncé comme perturbateur par vingt bandits sera déporté, malgré les cris de toute une paroisse qui le déclarerait innocent.

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Gensonné, que nous avons vu si ardent à défendre la liberté et à combattre les mesures de proscription, n'ouvrit plus la bouche que pour dire qu'il s'en rapportait à la sagesse des administrations. Lacroix, en

nemi acharné du clergé catholique, trouvait qu'on exigeait trop de conditions pour la déportation. Le nombre de vingt citoyens lui paraissait énorme. Il demanda donc que le directoire, après vérification faite, pût déporter un prêtre sur la dénonciation de deux citoyens; et, sans vérification, tout prêtre suspect par le refus du serment, et dénoncé par vingt citoyens. Enfin, après tant de projets, plus iniques les uns que les autres, sur un seul article de la loi, on donna la priorité à celui de Robin, conçu en ces termes :

« Les directoires de département pourront, sur la demande de vingt citoyens actifs du même canton, et sur l'avis du directoire du district, ordonner la déportation contre les prêtres non assermentés, comme instigateurs de troubles. >>

Le mot pourront laissait aux directoires la libre faculté de prononcer ou de ne point prononcer la déportation. M. Guadet, se méfiant de certains directoires, et craignant que quelque prêtre ne trouvât le moyen d'échapper, proposa de changer ce mot, et de le remplacer par ces termes : Seront tenus ou sera tenu. Sa proposition fut couverte d'applaudissements, et l'article décrété en ces termes :

« Lorsque vingt citoyens actifs d'un canton demanderont qu'un ecclésiastique non assermenté quitte le royaume, le directoire du département sera tenu de l'ordonner, si l'avis du district est conforme. Si l'avis du district n'est pas conforme à la demande des vingt citoyens actifs, le directoire du département fera vérifier par des commissaires si la présence de cet ecclésiastique nuit à la tranquillité publique; et, sur l'avis des commissaires, s'il est conforme à la demande des vingt

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