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qu'il n'osait pas se fier à elles, offrirent de marcher contre les rebelles. Bouillé se mit à la tête d'une petite troupe composée de trois mille hommes; c'était peu pour apaiser les troubles d'une grande ville. A son approche de Nancy, il reçut diverses députations, et enfin des propositions de soumission. Mais, à la porte de la ville, les soldats de Bouillé reçurent une terrible décharge excités par le sang de leurs camarades, ils s'élancent avec fureur sur les rebelles, criant à la trahison; ils les repoussent, les poursuivent jusque dans l'intérieur des maisons. Bouillé remporte la victoire (le 31 août). Les régiments rebelles partirent, la nuit, pour une autre destination. Leurs chefs avaient été arrêtés et mis en prison, pour être interrogés et punis suivant la rigueur des lois. L'Assemblée nationale, que cette insurrection avait beaucoup inquiétée, vota à Bouillé des remerciments (1). Le roi Jui envoya des félicitations et des éloges, et lui donna le commandement de toute la frontière depuis la Suisse jusqu'à la Sambre. La municipalité de Nancy et le directoire du département eurent aussi leur part d'éloge (2).

Bouillé avait rendu un service éminent, il avait montré ce que peut une troupe bien réglée et bien commandée contre des rebelles qui n'ont plus ni règle ni discipline. Sa victoire lui donna une nouvelle renommée et une grande autorité sur le soldat. Il regretta plus tard de n'en avoir pas usé pour soutenir la Fayette contre les jacobins, et le roi contre tous ses

(1) Moniteur, séance du 3 septembre 1790. (2) Ibid.

ennemis. Mais il n'était pas assez attaché au nouveau régime, quoiqu'il eût fait serment à la constitution. << Mon horreur pour la révolution, dit-il, déconcerta <«<les mesures que me dictait la prudence; j'en fis trop << pour mes principes, mais trop peu pour la chose (1). » Bouillé avait détruit l'œuvre du parti révolutionnaire, et ne pouvait lui plaire. Les clubs étaient furieux des éloges que lui avaient décernés le roi et l'Assemblée nationale aussi vont-ils le poursuivre à toute outrance, lui prodiguer les épithètes les plus odieuses, le traiter de cruel et de bourreau. En attendant qu'ils puissent s'en venger, ils tournent leur fureur contre l'Assemblée nationale et contre le ministère. A la première nouvelle des affaires de Nancy, une foule de peuple s'était portée autour des Tuileries et de la salle de l'Assemblée, demandant à grands cris le renvoi des ministres. Ces mêmes cris retentirent toute la journée (2 septembre) sous les fenêtres du ministre Necker, à tel point que la Fayette lui conseilla de ne pas coucher dans ses appartements. Necker sortit furtivement de Paris; il y rentra le lendemain, après avoir erré toute la nuit dans la campagne. Mais il comprenait que sa position n'était plus tenable, et il partit pour la Suisse avec toute sa famille, sans même demander deux millions qu'il avait avancés au trésor, argent qui ne fut restitué à sa famille que sous la Restauration, par Louis XVIII. L'Assemblée apprit sa retraite avec une grande indifférence, elle qui, quatorze mois auparavant, avait sollicité si vivement son rappel. Son voyage à travers la France offrit un contraste bien frappant :

(1) Mémoires de Bouillé.

au lieu de recevoir des couronnes de fleurs, il fut accueilli par l'insulte; on dételait ses chevaux, non plus pour traîner sa voiture, mais pour le tenir prisonnier ; et il a fallu un décret de l'Assemblée nationale pour qu'Arcis-sur-Aube ne devînt pas sa prison et peut-être son tombeau.

Cependant, comme l'Assemblée nationale avait été menacée aussi bien que lui, elle n'était point disposée à tolérer de pareils désordres. Dupont de Nemours les dénonça à la tribune, et fit connaître la manière dont procédaient les clubs pour exciter une émeute. Elle est à peu près la même dans tous les temps. De nombreux émissaires, dit-il, avaient été vus parmi la foule; ils étaient les plus ardents à pousser des clameurs, ils engageaient les autres à les imiter, ils offraient douze francs à ceux qui voulaient joindre leurs cris aux leurs, et ils leur laissaient cette somme dans la main sans attendre leur réponse. Ils disaient que le mouvement devait durer encore; qu'il fallait revenir; que tel jour il y aurait un grand désordre, des assassinats, un pillage important, précédé d'une distribution manuelle pour les chefs subalternes, pour les gens súrs (1). Ces annonces se répandaient au loin, et attiraient à Paris une multitude de gens sûrs, capables de tout; et c'est ainsi que se fit la révolution. L'Assemblée, frappée par ce tableau, décréta, le 7 septembre, que les tribunaux informeraient contre ceux qui, le jeudi 2 septembre, avaient fait des motions d'assassinat sous les fenêtres de l'Assemblée, et contre ceux qui

(1) Moniteur, séance du 7 septembre 1790.

avaient excité à ces motions, ou qui avaient distribué de l'argent à cette fin (1).

La position des collègues de Necker n'était pas meilleure que la sienne. Dénoncés à la tribune comme coupables de complots, écrasés sous le poids du mépris de Cazalès et de son parti, voués à la haine de la presse anarchique, ils donnèrent tous, à l'exception de Montmorin, leur démission, pour être remplacés par des hommes plus populaires. Louis XVI fut vivement affecté de leur retraite forcée (2).

Le déficit du trésor s'était accru d'une manière effrayante c'était la faute, non de Necker, dont l'administration avait été habile et loyale, mais de la révolution, qui engloutissait tout. A la première émission d'assignats pour 400 millions, on s'était bien promis de ne jamais dépasser cette somme : on ne savait pas encore ce que devait coûter une révolution. Les 400 millions étaient engloutis, et l'on demanda une nouvelle émission d'assignats de 800 millions, à hypothéquer sur les biens du clergé, sur ceux des communautés religieuses surtout. Pour tirer le plus de profit de ces biens, on traita les membres de ces communautés avec une parcimonie indigne, ou plutôt avec une injustice révoltante. Treilhard n'eut pas honte de proposer à l'Assemblée, au nom du comité ecclésiastique, de faire courir leur traitement au premier janvier 1791; de sorte que, dans l'intervalle du mois d'avril 1790 où ils ont été dépouillés, jusqu'au premier janvier, ils étaient condamnés à mourir de faim, ou à demander

(1) Moniteur, séance du 7 septembre 1790. (2) Thiers, Hist. de la Révol., t. I, p. 248.

la charité dans la rue. L'Assemblée avait encore plus d'humanité que le comité ecclésiastique. Sur des réclamations vives et nombreuses, elle décida que les religieux seraient payés pour l'année 1790; mais comme on n'avait rien en caisse, on les remit au premier janvier 1791 pour le payement (1). L'abbé Maury profita de l'occasion pour représenter, malgré de violents murmures, l'effroyable misère et les criantes injustices qui pesaient sur le corps religieux. « Madame l'abbesse de Conflans, dont les revenus ont été saisis, dit-il, a vu le collecteur venir réclamer auprès d'elle les impositions, et la menacer d'envoyer garnison dans l'abbaye, si elle ne payait pas; elle a été forcée de livrer 200 livres, formant son unique et dernière ressource. Je défie de trouver, dans les annales du despotisme le plus effréné, un trait plus atroce, et il reste impuni. Je connais des propriétaires dont les biens sont au pillage, auxquels on refuse le payement des droits féodaux déclarés rachetables, qui ont invoqué inutilement et municipalités et districts, et auxquels on arrache néanmoins des impositions exorbitantes, sur des revenus dont la force publique ne peut pas leur assurer la perception. Les municipaux ont saisi presque partout les revenus des ecclésiastiques, et forcent les anciens usufruitiers à payer les taxes, comme s'ils étaient en pleine jouissance (2). » Mais ce qui surpasse toute imagination, c'est le décret qui renvoie les religieux étrangers dans leur pays, sans indemnité, et même sans moyens de retourner chez eux (3). Les or

(1) Moniteur, séance du 8 septembre 1790.

(2) Ibid.

(3) Id., séance du 16 septembre 1790.

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