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trouvoit dans fon élément, qui étoit la controverfe. Il vint pourtant un dernier Adversaire, (M. Bordes, de Lyon) qui défendit la vérité avec éloquence; mais le Public fit moins d'accueil à fes raifons qu'aux paradoxes de Rouleau. La même chose arriva depuis, lorfque deux excellens Ecrivains réfutèrent, d'une manière victorieufe, fa Lettre fur les Spectacles.Malgré tout leur mérite, fuffifamment prouvé d'ailleurs par tant de titres reconnus, le Public, qui aime mieux être amufé qu'inftruit, & remué que convaincu, parut goûter plus les écarts & l'enthousiafme de Rouffeau, que la raifon fupérieure de fes Adverfaires. En général, le paradoxe doit avoir cette efpèce de vogue, & entre les mains d'un homme de talent, il offre de grands attraits à la multitude; d'abord celui de la nouveauté; enfuite il eft affez naturel que l'Auteur à paradoxe mette plus de chaleur & d'intérêt dans fa caufe, que n'en peuvent mettre dans la leur ceux qui le réfutent. On fe paffionne volontiers pour l'opinion qu'on a créée; on la défend comme fon propre bien; au ; au-lieu que la vérité eft

à tout le monde.

Cependant, tel fut l'effet de la première difpute de Rouffeau fur les Arts & les Sciences, que cette opinion, qui d'abord n'étoit pas la fienne, & qu'il n'avoit embraffée que pour être extraordinaire, lui devint propre à force de la foutenir. Après

avoir commencé par écrire contre les Lettres, il prit de l'humeur contre ceux qui les cultivoient. Il étoit poffible qu'il eût déjà contre eux un levain d'animofité & d'aigreur. Ce premier fuccès, plus grand qu'il ne l'avoit attendu, lui avoit fait fentir fa force, qui ne fe développoit qu'après avoir été vingt ans étouffée dans l'obfcurité & la misère. Ces vingt ans paffés à n'être rien, pouvoient tourmenteralors fon amour-propre dans fes premières jouiffances; car pour l'homme qui fe fent au-deffus des autres, c'est un fardeau, fans doute, que d'en être long-temps méconnu, Rouffeau ne commençoit que bien tard à être à fa place, & peutêtre eft-ce là le principe de cette efpèce de mifantropie, qui depuis ne fit que s'accroître & fe fortifier. Il fe fouvenoit ( & cette anecdote eft auffi certaine qu'elle eft remarquable) que lorfqu'il étoit Commis chez M. D*** il ne dînoit pas à table le jour que les Gens de Lettres s'y raffembloient. Ainfi, Rouffeau entroit dans le champ de la Littérature, comme Marius rentroit dans Rome, refpirant la vengeance, & fe fouvemant des marais de Minturnes.

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Le Difcours fur l'inégalité n'étoit encore qu'une fuite & un développement de fes premiers paradoxes, & de la haine qui femEloit l'animer contre les Lettres & les Arts. C'eft là qu'il foutint cet étrange fophifme

que

l'homme a contredit la nature en éten→

dant & perfectionnant l'ufage des facultés qu'il en a reçues. Cette affertion étoit d'autant plus extraordinaire, que Rousseau lui-même avouoit que la perfectibilité étoit la différence fpécifique qui diftinguoit l'homme des autres animaux. Après cet aveu, comment pouvoit-il avancer que l'homme qui penfe eft un animal dépravé? Il n'eft pas bon que l'homme foit feul, dit l'être Suprê me, dans les livres de Moïfe. Rouffeau eft d'un avis bien différent. Il prétend que l'homme a été rébelle à la nature, lorfqu'il a commencé à vivre en fociété. Il prouvetrès bien & très-éloquemment qu'en établif fant de nouveaux rapports avec fes fembla bles, l'homme s'eft fait de nouveaux be foins, qui ont produir de nouveaux crimes 3 mais il oublie que l'homme, en même temps, s'eft ouvert une fource de nouvelles jouillances & de nouvelles vertus. Il oublie que l'homme ne vit nulle part feul, feul, & que dans les peuplades les plus ifolées & les plus fauvages, il y a des rapports néceffaires & inévitables, d'où il faudroit conclure que ceux mêmes que nous appelons fauvages, font comme nous hors de la nature.. Auffi eft-il forcé d'en convenir; mais alors comment prouver que l'homme étoit effen tiellement né pour vivre feul? Comment prouver qu'un état, qui peut-être n'a jamais

eu lieu, dont au moins nous n'avons ni aucun exemple, ni aucune preuve, étoiť: l'état naturel de l'homme? D'ailleurs, e mot de nature, qui eft très-oratoire, eft: très-peu philofophique. Il préfente à l'imagination ce qu'on veut, & il échappe trop

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la définition.. Il n'eft pas fait pour être employé lorfqu'on raifonne en rigueur, par-ce qu'alors on s'apperçoit que fon acception eft vague, & que c'eft prefque tou jours un fynonyme imparfait. Rouffeau frappé des vices & des malheurs de l'hom-me en fociété, imagina qu'il eût été meil leur & plus heureux, qu'il eût mieux rem pli fa deftination, fi la terre cût été couverte d'individus ifolés. Il n'examine pas même fi cette fuppofition eft dans l'ordre des poffibles; &, dans le fait, fi on l'exa minoit, elle fe trouveroit évidemment ab furde. Il n'examine pas fi l'homme ayant une tendance irrésistible à exercer plus ou moins fes facultés, il eft poffible de mar-quer précisément les limites où cet exercice doit s'arrêter, pour n'être pas ce qu'il ap pelle une dépravation, & fr, preffè lui-même. de tracer le modèle abfolu de l'homme de la nature, il feroit bien sûr d'en venir about. Rouffeau fémble dire: le mal

eft parmi les hommes: c'eft leur faute. »Pourquoi les hommes font-ils ensemble?? Certes, fi chacun étoit seul, il ne feroit

» pas de mal à autrui ». Je demande fi ce font là des idées raifonnables?

Il n'y a de rapine, de brigandage, de violence, que parce qu'il y a des propriétés. Rouffeau, qui veut que ce foit toujours, l'homme qui ait tort, & jamais la nature (comme fi, philofophiquement parlant, l'homme & tout ce qui eft de l'homme n'étoit pas dans la nature, c'eft-à-dire, dans l'ordre effentiel des chofes ) Rouffeau prétend que la propriété eft un droit de convention. Certes c'eft un droit naturel ou jamais ce mot n'a eu de fens. Quand il n'y auroit que deux hommes fur la terre, & & que l'un des deux, rencontrant l'autre, voudroit lui ôter, le fruit qu'il auroit cueilli, le gibier qu'il auroit tué, & peau de bête qui le couvriroit, celui qui défendroit fes propriétés, les défen droit en vertu d'un droit très-naturel, antérieur à toute police, & né feulement du fens intime. Rouffeau démontre très bien

la

que de la propriété naiffent de très grands maux; mais il oublie ce qui eft tout auffi évident, que s'il n'y avoit point de propriété, il y auroit de bien plus grands maux encore; que non-feulement toute fociété feroit diffoute, ce qui, à la vérité, ne feroit pas un très grand mal dans fon fyftênie; mais que les hommes ne fe rencontreroient plus que pour fe faire la guerre,

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