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magé que le vice rend à la vertu, il définiffoit la jaloufie un hommage mal-à-droit que l'infériorité rend au mérite.

Cependant, fi la réputation dont il jouif foit lui avoit fait des jaloux, l'aménité de fon caractère lui avoit fait auffi un grand nombre de partifans; perfonne n'applaudiffoit plus fincèrement que lui aux fuccès de fes rivaux même; perfonne n'encourageoit les talens naiffans avec plus de zèle & d'intérêt ; personne ne louoit avec une fatisfaction plus vraie les bons ouvrages; s'il y remarquoit des fautes, ce n'étoit pas pour jouir de la gloire fi facile d'affliger la vanité d'autrui; c'étoit avec ce fentiment, fi ignoré des critiques, & fi rare même chez les fimples lecteurs, que quand il rencontroit des taches, il étoit fâché de les trouver. Auffi difoit-on de lui que juftice & jufteffe étoient sa devise.

Lorfqu'il approuva comme Cenfeur la première Tragédie de M. de Voltaire, il n'hésita point à dire dans fon approbation, que cet ouvrage promettoit au Théâtre un digne fucceffeur de Corneille & de Racine. Il n'a pas affez vécu pour favoir à quel point il difoit vrai; mais il n'y a que plus de mérite à avoir deviné fi jufte, & plus de noblesse à l'avoir prédit.

Il s'en falloit bien qu'on ufât avec lui des mêmes ménagemens qu'il fe prefcrivoit à l'égard des autres; loin de s'en plaindre,

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il favoit mettre à profit toute la dureté qu'on fe permettoit à fon égard. « Quand un Auteur, dit-il dans une de fes Préfaces

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fait gré à fes amis de l'avertir de fes fau» tes, la vérité qu'il cherche ne lui échap»pe pas. Plus elle eft mortifiante, plus les » hommes font contens de la dire, pourvu qu'elle ne leur laiffe rien à craindre. Auffi prefque tout le monde, ou par amitié »ou fous prétexte d'amitié, eft en poffef fion de me faire effuyer les chofes les » plus dures pour l'amour - propre. Tout devient Madame Dacier pour moi. C'eft un fecours que je me fuis procuré. » pour me mettre en état de mieux faire. „ Il oppofoit cette douceur inaltérable, nonfeulement aux injures littéraires, mais aux plus cruels outrages. Un jeune homme à qui par mégarde il marcha fur le pied dans une foule, lui ayant donné un foufflet, Monfieur, lui dit-il lui dit-il, vous allez être bien fâché, je fuis aveugle. Il fouffroit avec la même patience les infirmités douloureufes dont il étoit accablé, & dans lefquelles il termina fa vie le 26 Décembre 1731, en rempliffant fidélement tous fes devoirs, & en regardant la mort comme le terme heureux de fes maux.

Tandis que les prétendus amis de M. de La Motte lui faifoient fentir un peu amèrement toute la rigueur de leur zèle pour la

perfection de fes ouvrages, il avoit auffi quelques amis vrais & honnêtes, qui favoient joindre à l'intérêt qu'ils marquoient pour fa gloire, les égards qu'il méritoit & qu'il ne demandoit pas. L'amitié dont il fut lié avec Fontenelle eft digne fur-tout d'être propofée pour modèle aux Gens de Lettres. Cette amitié ne fe démentit jamais,

fait l'éloge de l'un & de l'autre. Fontenelle a même dit plufieurs fois, que le plus beau trait de fa vie étoit de n'avoir pas été jaloux de la Motte. Ils s'éclairoient & fe dirigeoient mutuellement, foit dans leurs Ouvrages, foit dans leur conduite; & ce fut par le confeil de la Motte que Fontenelle eut à la fois le courage & la prudence 'de ne pas répondre à un Jéfuite, Cendeur amer de fon Hiftoire des Oracles. Son ami lui fit craindre de s'aliéner par fa réponse une Société, qui s'appeloit Légion, quand on avoit affaire au dernier de fes membres. Perfuadé & retenu par ce fage confeil, Fontenelle fe contenta d'écrire à un Journaliste, qui le preffoit de répliquer, une Lettre où il fait en deux lignes à fon Adverfaire une réponse qui perdroit à être délayée dans plus de paroles. « Je laifferai »mon Cenfeur, dit il, jouir en paix de fon triomphe; je confens que le diable ait été Prophète, puifque le Jefuite le veut, & qu'il croit cela plus orthodoxe ».

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La convenance du caractère, du genre d'efprit & des principes, avoit formé entre nos deux Académiciens l'intime & fidelle liaifon qui fait tant d'honneur à leur mémoire. Mais peut-être feroit-il affez intéreffant d'examiner, en quoi ces deux hommes, fi femblables entr'eux à plufieurs égards, différoient à d'autres dans leurs écrits. Tous deux pleins de jufteffe, de lumières, & de raifon, fe montrent par-tout fupérieurs aux préjugés, foit Philofophiques, foit Littéraires; tous deux les combattent avec la timidité modefte dont le fage a toujours foin de fe couvrir en attaquant les opinions reçues. Tous deux ont porté trop loin leur révolte décidée, quoique douce en apparence, contre les dieux & les loix du Parnaffe; mais la liberté des opinions de la Motte femble tenir plus intimement à l'intérêt perfonnel qu'il avoit de les foutenir, & la liberté des opinions de Fontenelle à l'inté rêt général, peut-être quelquefois mal entendu, qu'il prenoit au progrès de la raifon dans tous les genres. Tous deux ont mis dans leurs écrits cette méthode fi fatis

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faifante pour les efprits juftes & cette fineffe fi piquante pour les Juges délicats; mais la fineffe de la Motte eft plus développée, celle de Fontenelle laiffe plus à deviner à fon Lecteur. La Motte, fans jamais en trop dire, n'oublie rien de ce que fon

fujet lui préfente, met habilement tout en œuvre, & femble craindre de perdre par des réticences trop fubtiles quelqu'un de fes avantages; Fontenelle, fans jamais être obfcur, excepté pour ceux qui ne méritent pas même qu'on foit clair, se ménage à la fois & le plaifir de fous-entendre, & celui d'efpérer qu'il fera pleinement entendu par ceux qui en font dignes. Tous deux peu fenfibles aux charmes de la Poéfie, & à la magie de la verfification, ont cependant quelquefois été Poëtes à force d'efprit, mais la Motte un peu plus fouvent que Fon tenelle, quoique la Motte eût fréquemment le double défaut de la foibleffe & de Ja dureté, & que Fontenelle eût feulement celui de la foibleffe; c'eft que Fontenelle dans fes vers eft prefque toujours fans vie & que la Motte a mis quelquefois dans les fiens de l'ame & de l'intérêt. L'un & l'autre furent couronnés avec éclat au Théâtre Lyrique, mais Fontenelle fut malheureux au Théâtre François, parce qu'il étoit abfolument dépourvu de cette fenfibilité indifpenfable pour un Poëte tragique, & dont la nature avoit donné quelques étincelles à la Morte. On peut affurer, par exemple, que Fontenelle n'auroit jamais trouvé ce trait fublime d'Inès de Castro, qui fe voyant empoifonnée, & fentant les atteintes de la mort, s'écrie, éloignez mes enfans. On peut même croire que Fonte

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