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et les Sauvages s'opiniâtraient à vivre de cette vie nomade à laquelle on les appelait à renoncer. Les Néophytes des Réductions étaient ouvriers et soldats. Ils élevaient des villes; ils marchaient à l'avant-garde de l'armée; ils construisaient des citadelles et des ports; ils défendaient le drapeau que l'Espagne confiait à leur fidélité éprouvée. De ces travaux et de ces périls, les Néophytes ne retiraient aucun salaire. Les Jésuites n'avaient pas voulu les habituer à vendre leur sang ou leurs bras à la patrie qui les adoptait, et au Roi qui les protégeait. Le com-merce, l'industrie, l'agriculture fournissaient au delà de leurs besoins et de ceux de leurs familles; dans la pensée des Missionnaires, il ne fallait pas donner aux Chrétiens des idées de cupidité.

Vingt années s'écoulèrent dans ces alternatives de bons et de mauvais succès; mais, en 1683, sous le provincialat de Thomas de Baeza, les Pères Diégo Ruiz et Antoine Solinas risquèrent encore une incursion dans le Chaco. Cette terre semblait sc fermer à l'Évangile, les Jésuites s'obstinaient à la féconder de leurs sueurs ; ils avaient fini par faire comprendre aux gouverneurs de Rio de la Plata et aux rois d'Espagne que la porte du Chaco ne s'ouvrirait jamais par la force ou par la crainte, et que ses habitants ne se soumettraient qu'après avoir appris à obéir par la connaissance de Dieu. Ce n'était donc pas des soldats qu'il importait de lancer dans le Chaco, mais des apôtres. Fernand de Luna et Nicolas Ulloa, l'un gouverneur et l'autre évêque de Tucuman, cédèrent à ces observations; les deux Jésuites furent chargés de la Mission. Le 20 avril 1683, ils partent de Jujuy, accompagnés de Pédro Ortiz de Zaraté, pieux ecclésiastique aspirant à la couronne du martyre. Ils franchissent la montagne du Chaco; puis, dans les plaines de Ledesma, ils voient accourir à leur rencontre le Cacique des Oyatas, qui, avec sa tribu et une partie de celles de Tobas et de Tanos, s'offre pour entrer en réduction. On en établit une sous le titre de Saint-Raphaël. Quatre cents familles la composèrent; l'hiver approchait, il allait intercepter les communications avec le Tucuman. Le Père Ruiz se décide à s'y rendre pour ne pas laisser sa nouvelle colonie en proie à la famine. 11 part, son retour est annoncé. Les Missionnaires et les Catéchu

mènes s'avancent à quelques lieues de Saint-Raphaël, afin de saluer son arrivée, lorsque, le 17 mars 1686, ils sont assaillis par une multitude de Sauvages campés dans une forêt voisine. Solinas et don Zaraté périssent sous les flèches ou sous le macanas; leurs Néophytes partagent le même sort.

La trahison des Tobas et des Mocobis n'intimida point les Jésuites. Ils se savaient destinés à toutes les perfidies et à tous les supplices; ils n'en continuaient pas moins leur apostolat. Pour les préserver de ces embûches, le roi d'Espagne veut en vain les faire escorter par ses troupes; les Missionnaires sentent que la force est inutile. Elle exaspérera les Sauvages, que le Christianisme effraie encore moins que la servitude. Ceux qui ont apprécié le dévouement des Pères ne sont pas éloignés d'embrasser leur croyance; mais, comme les plus opiniâtres, ils ne veulent pas que le prêtre catholique vienne à eux sous la protection des Espagnols.

Une cité a été fondée dans la vallée de Tarija, dont elle prend le nom; par la province des Charcas et par celle des Chiriguanes, elle fournit un moyen d'entrer dans le Chaco. En 1690, le Père Ruiz institue un collége à Tarija; cette maison doit être le point de départ, le centre et la retraite des Jésuites qui entreprendront de porter la Foi dans le Chaco. Le marquis del Valle Toxo et dona Clementia Bermudez, son épouse, consacrent leur fortune à cet établissement, dont le Père Joseph de、 Arcé est nommé supérieur. De Arcé crée une Réduction sur le Guapay; mais les progrès de la Compagnie renouvelaient les craintes des marchands d'esclaves. L'avidité des uns s'efforçait de nuire au zèle des autres. Chaque jour elle élevait des conflits; elle cherchait par de sourdes manœuvres à calomnier, même auprès des Indiens, la Religion et les Jésuites qui les affranchissaient.

A travers ces difficultés renaissantes, les Pères de Arcé, Centeno, Hervas, de Zéa, Philippe Suarez, Fideli et Denis d'Avila maintiennent leur œuvre. Les Chiquites sont attaqués par les Mamelus; de Arcé est éloigné de la Réduction, et les Néophytes ne combattront que sous ses yeux. Pour qu'ils puissent triompher de leurs ennemis, ils implorent la bénédiction de celui qui les a faits chrétiens; Arcé accourt, et les

Chiquites sont vainqueurs. Ce succès, qui date de l'année 1694, donna un rapide développement aux Réductions. De 1695 à 1707, il s'en forma quatre qui prospérèrent et qui bientôt n'curent rien à envier à celles des Guaranis. Les Chiquites habitaient les rives du Guapay et du Parapiti, qui, sous le nom de Rio de la Madera, se jettent dans le fleuve des Amazones. Sur cette terre peu féconde, et où les variations de la température enfantent chaque année des maladies pestilentielles, il n'existe pour tout remède qu'un fanatisme déplorable. Ces Indiens se persuadent que la femme est la cause de tous leurs maux. Au premier signe de douleurs, ils peuvent faire mourir leur mère, leur épouse, leur fille ou toute autre femme qu'ils indiquent au Cacique. En dehors de cette croyance, les Chiquites ne sont ni cruels, ni sanguinaires; mais ils n'ont aucune idée de la famille, aucune trace de la loi naturelle. Quand la lune, qu'ils appellent leur mère, s'éclipsait ou se couvrait de nuages rouges, ils s'imaginaient que des cochons, à force de lamordre, la mettaient tout en sang. Pour la délivrer, ils lançaient des flèches en l'air jusqu'au moment où elle reprenait son éclat. Les Jésuites triomphèrent peu à peu de ces instincts mauvais ou superstitieux; ils assouplirent ces caractères de sauvages, qu'une ivresse presque continue abrutissait.

La guerre de la succession s'était ouverte en Espagne. La France d'un côté, l'Allemagne et l'Angleterre de l'autre, se disputaient le trône de la Péninsule. Les Jésuites avaient reconnu le petit-fils de Louis XIV; comme le grand Roi, ils désiraient qu'il n'y eût plus de Pyrénées. La colonie du Paraguay fournissait au Roi catholique des soldats dont le courage et la subordination étaient appréciés; elle pouvait offrir, dans les circonstances, un bon ou un mauvais exemple. De ces provinces dépendait peut-être l'avenir de l'Amérique espagnole; les Anglais inspirèrent aux Autrichiens la pensée de séduire le dévouement des Catéchumènes. Rien n'était possible par les Jésuites, on choisit des Trinitaires engagés sous le drapeau de l'Archiduc pour détacher les naturels du Paraguay de leur obéissance au Roi et aux Pères. Le 5 mars 1703, Philippe V donna lui-même avis de ce complot.

« Vénérable et dévoué Père provincial de la Compagnie de

Jésus dans la province de Rio de la Plata, écrit le Roi, j'ai appris qu'un des plans de mes ennemis est d'envoyer dans votre province des religieux espagnols, sous prétexte d'assurer les naturels du pays qu'ils seront maintenus dans l'exercice de notre sainte Religion catholique, mais, en effet, pour jeter le trouble dans ces possessions par les discours qu'on leur tiendra en faveur de l'Empereur. J'ai même su depuis peu qu'il y a actuellement à Londres deux religieux trinitaires, dont l'un est Castillan et l'autre Allemand, qui doivent passer dans ces provinces, et, s'ils peuvent s'y introduire secrètement, reprendre l'habit de leur Ordre. Ils sont chargés de plusieurs milliers d'un manifeste imprimé au nom de l'Empereur, qu'ils doivent appuyer par leurs discours en public et en particulier, afin de tenter la fidélité de mes vassaux. Ils se prétendent Missionnaires apos toliques, ce qu'ils ne sont point. On a eu aussi des nouvelles qu'il se trouve à Londres deux séculiers qu'on dit devoir pareillement passer au Paraguay, dont l'un a été secrétaire du comte d'Harrach, ci-devant ambassadeur de l'Empereur dans cette cour. Pour prévenir les choses préjudiciables au service de Dieu et au mien et à la tranquillité de mes vassaux, qu'occasionnerait l'introduction d'étrangers ennemis de cette couronne, j'ai résolu de vous écrire la présente, par laquelle je vous prie et vous enjoins, si quelques religieux espagnols ou étrangers, ou d'autres personnes, de quelque état et qualité qu'elles soient, donnent lieu à des soupçons, de les en faire sortir et embarquer pour l'Espagne, requérant les supérieurs des réguliers d'exécuter la même chose. »

Les Jésuites du Paraguay n'avaient point à se mêler d'intrigues politiques; mais celui que la métropole avait salué pour Souverain faisait appel à leur fidélité, ils acceptèrent le nouveau devoir qui leur était imposé. Par une précaution dont la couronne sentait l'importance, ils avaient isolé leurs Néophytes de tout contact avec les étrangers; la démarche du Roi ne pouvait que les fortifier dans leur idée première. Les indigènes étaient heureux, les Jésuites se gardèrent bien de leur apprendre les discordes dont la mère-patrie était le théâtre; ils se contentèrent de leur recommander une surveillance plus active. La guerre d'Espagne passa au-dessus de leurs têtes sans qu'ils

connussent même de nom les princes qui se disputaient le sceptre. Charles II avait eu pour successeur Philippe V, ils n'avaient pas besoin d'en savoir davantage; leur félicité ne fut troublée par aucune commotion.

Cependant le Père Cavallero arrivait chez les Puraxis. Il les gagna promptement à la civilisation; puis, comme si le repos fatiguait son ardeur, le Jésuite prend la résolution de pénétrer sur le territoire des Manacicas. Il y a des périls à braver, une mort presque certaine à affronter, Cavallero a foi dans le Dieu qui le soutient; malgré les prières des Puraxis, il tente le voyage. Les Manacicas le reçoivent avec respect: il leur annonce l'Évangile, et de là il s'avance vers les Sibacas. Le Missionnaire les fait Chrétiens; emporté par son impétuosité, il ose se présenter devant les Quiriquicas, les ennemis les plus acharnés de ses Néophytes; son voyage est un triomphe pour la Croix. On le menace souvent de mort, on essaie de le faire tomber dans quelque embuscade; sa prudence et la protection du Ciel le préservent de tout péril. Il avait répandu le Christianisme au milieu des populations sauvages; il s'efforce d'en inspirer une connaissance première aux Jurucarez, aux Suburacas, aux Arupurocas et aux Bahocas: il y parvient.

Le besoin de former d'autres réductions se faisait sentir. L'autorité espagnole s'était d'abord opposée à cet accroissement de la Foi, parce que, aux yeux des négociants, plus les Chrétiens se multipliaient, plus les esclaves devenaient rares; mais enfin la crain ́e des Jésuites ne tourmentait plus ses rêves. Elle voyait qu'ils n'avaient pas détourné de l'obéissance ces populations, qu'un mot de leur bouche aurait pu pousser aussi facilement à la fidélité qu'à la révolte. Les Jésuites étaient les plus fidèles serviteurs de la monarchie, le vice-roi de Tucuman songe à leur créer des résidences chez les Ojatas et chez les Lulles. Les Pères Machoni et de Yegros furent choisis. Comme la plupart des Indiens, les Lulles s'imaginaient que le baptême était un poison. Ce préjugé s'enracina si fortement dans leur esprit, qu'ils ne virent d'abord dans les Missionnaires que des assassins. En 1712, après des efforts de tous les instants, les deux Jésuites, qui avaient capté leur confiance par une aménité sans exemple, purent faire descendre sur ce peuple les

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