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Louis XIV avait compris les changements qu'un pareil état de choses provoquait en Europe. Afin d'assurer un jour à la France la plénitude du commerce dans ces empires, il chercha à donner à la Mission chinoise un cachet national. Le Père Verbiest seconda ses vœux. 11 obtint de Kang-Hi un édit par lequel la Religion chrétienne était déclarée sainte et exempte de tout reproche, et le 3 décembre 1681, Innocent X1, s'associant aux espérances de Louis XIV, adressa à ce Jésuite le bref suivant : « Mon cher fils, vos lettres nous ont causé une joie presque incroyable. Il nous a été surtout bien doux de connaître avec quelle sagesse et quel à-propos vous appliquez l'usage des sciences humaines au salut des peuples de la Chine, à l'accroissement et à l'utilité de la Religion, repoussant par ce moyen les fausses accusations et les calomnies que quelques-uns vomissaient contre le nom chrétien; gagnant la faveur de l'Empereur et de ses conseillers pour vous mettre à couvert vousmême des fâcheuses avanies que vous avez long-temps souffertes avec tant de force et de grandeur d'âme, pour rappeler de l'exil les compagnons de votre apostolat, et rendre non-seulement la Religion à son ancienne liberté et gloire, mais aussi afin de l'amener de jour en jour à de meilleures espérances; car il n'est rien qu'on ne puisse espérer, avec le secours du Ciel, de vous et d'hommes semblables à vous, faisant valoir la Religion dans ces contrées. »

Des événements politiques augmentèrent encore le crédit des Jésuites à la cour de Péking. Usanguey, ce général qui autrefois avait introduit les Tartares en Chine, se révolta, et entraîna dans son parti les provinces occidentales. Retiré au sein des montagnes, il semblait braver les armées impériales. Il fallait le forcer dans ces retranchements ou laisser une porte toujours ouverte à l'insurrection. Kang-Hi se décide à l'attaquer; mais, pour réussir dans cette difficile entreprise, les généraux et l'Empereur lui-même sentent que l'artillerie est indispensable. Le Père Verbiest, qui accompagne l'armée, reçoit ordre de fondre des pièces de canon de divers calibres. Il résiste, et donne pour excuse que son ministère fait descendre les bénédictions du ciel sur les princes et sur les peuples, mais qu'il ne leur fournit pas de nouveaux moyens de destruction. Le nom chré

tien avait des ennemis auprès du monarque. Ils lui persuadent que les Jésuites sont les complices d'Usanguey, et que leur refus est un acte d'hostilité. Kang-Hi menace les Missionnaires et leurs Catéchumènes : Verbiest se soumet. Il crée une fonderie, il en dirige les travaux, et la victoire si impatiemment attendue couronne les armes de l'Empereur. Il la devait aux Jésuites; c'est au Chistianisme qu'ils en laissèrent la récompense. Verbiest s'avouait que le nombre des Pères était insuffisant; il avait rendu un service signalé à Kang-Hi : il le pria d'ouvrir ses frontières à d'autres disciples de l'Institut, et spécialement aux Français, dont le caractère sympathisait mieux avec celui des Chinois.

Le roi de Siam demandait des savants à Louis XIV, on lui envoyait des Jésuites; le chef du Céleste Empire formait le même vou, les Pères Bouvet, Gerbillon, Fontaney, Lecomte, Tachard et Visdelou partirent avec une mission analogue pour la Chine. Ils y arrivèrent le 7 février 1688; leur présence souleva une question embarrassante. Le Pape seul ayant le droit d'accorder les pouvoirs apostoliques, le Roi de France s'était contenté de les charger de travaux d'astronomie et de science. Le Portugal avait jusqu'alors dominé dans ces parages, et les Jésuites de ce dernier royaume, craignant de déplaire à leur souverain, ne reçurent point sans difficultés les Français qui leur venaient en aide. La mort ne laissa pas le temps à Verbiest de les accueillir; mais trois mois après leur installation KangHi nomme les Pères François Gerbillon et Thomas Pereyra ses ambassadeurs auprès du czar de Russie. Ils doivent négocier la paix et régler les limites des deux empires. La diplomatic russe avait déjà le génie des affaires, Gerbillon néanmoins eut l'art de lui faire accepter les conditions de Kang-Hi; et lorsque le Jésuite fut de retour à Péking, porteur d'un traité si avantageux, l'Empereur voulut qu'il revêtît son costume impérial. Il le choisit pour son maître de mathématiques, et le Père Bouvet fut nommé son professeur de philosophie. Gerbillon était, comme Bouvet, le commensal de Kang-Hi : ils le suivaient dans ses promenades, dans ses voyages; ils l'assistaient dans ses maladies. Cette faveur devait tourner au profit de la Religion : les deux Jésuites sont autorisés à construire dans l'intérieur même du palais une église et une résidence. Le 22 mars 1692 un dé

cret, sollicité par le Père Thomas Pereyra, accorde aux Missionnaires la faculté de prêcher l'Évangile dans ses États. Les Jésuites avaient si bien disposé le cœur du prince que, sans se séparer lui-même du Paganisme, il favorisait ostensiblement un culte dont il comprenait la sainteté, et dont il estimait les ministres. Une église s'élevait dans son palais : les Pères y créent une Congrégation où toutes les œuvres de bienfaisance, de zèle et de piété se développèrent.

Les Jésuites, en Chine, étaient missionnaires et astronomes : ils travaillaient au salut des âmes et à la conquête des sciences. Les Frères coadjuteurs de l'Ordre devinrent médecins. Bernard Rhodes et Pierre Fraperie se distinguèrent surtout dans cette faculté. Ils avaient commencé par les pauvres : leur réputation grandit comme leur charité; et lorsque l'Empereur se trouva dans un état désespéré, les médecins chinois eurent recours à Rhodes comme au dernier noyen de l'art. Il traita Kang-Hi, il lui rendit la santé. Le monarque était généreux : afin de reconnaître un pareil bienfait, il envoya aux Jésuites des lingots d'or dont la vente produisit une somme de deux cent mille francs 1.

Louis XIV avait chargé les Pères de la vérification des cartes géographiques de la Chine: ces études avançaient; néanmoins

La destinée de cet argent a quelque chose de si honorable pour la Compagnie anglaise des Indes, que nous croyons devoir raconter le fait en peu de mots. Les superieurs des Missions avaient placé cette somme sur la Compagnie anglaise, à la seule condition que la rente annuelle serait appliquée à tous les Jésuites de Chine et des Indes qui se trouveraient ans le besoin. Au moment de la destruction de l'Ordre de Jésus, la Compagnie anglaise fut tentée de suivre l'exemple que les princes catholiques lui donnaient; elle confisqua les 200,000 francs et cessa d'en servir les intérêts, pour les consacrer à l'entretien des hôpitaux. Les Jésuites étaient supprimés comme Société, n ais, individuellement, ils se li raient aux soins de l'apostolat dans les Indes. Ils nommèrent un député pour réclamer à Londres auprès de la cour des directeurs. Leurs réclamations furent accueillies avec sollicitude, et les directeurs écrivirent à leurs mandataires que « si les autres gouvernements avaient commis une faute grave contre le droit des gens, ce n'était pas une raison pour la Compagnie des Indes de les in iter, en violant les engagements les plus sacrés. » Les directeurs ajoutaient qu'en considération des services que les Jésuites de Pondichery rendaient a leurs Indiens et aux Anglais, la Compagnie a ait décidé que la somme serait conservée intacte, et la rente exactement payée jusqu'à la mort du dernier missionnaire Jésuite. Elle ordonnait en même temps le remboursement des trois années d'arrérages. Ainsi, les Herétiques croyaient, autant dans l'intérêt de l'humanité que dans celui de la justice, devor lais er aux enfants de Loyola, leurs adversaires, la fortune dont les souverains catholiques les dépouillaient. En 1813, tous les Jésuites de Péking et de Pondichery étant morts la P.opagande de Rome décida, malgré les instances de la Congrégation des Missions étrangères, que cette somire serait appliquée aux Lazaristes de la Chine.

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l'Empereur ne consentait pas à se priver des Missionnaires dont il était entouré, et qui, dans les provinces, enseignaient à ses sujets à obéir, non plus par crainte, mais par dévouement. Il les laissait populariser leur Foi. En 1697 même, sentant que tôt ou tard la mort ferait des vides irréparables parmi les Jésuites, il en demanda de nouveaux à la France. Le Père Bouvet fut son ambassadeur 1, et il revint à la cour de Chine avec six Jésuites, parmi lesquels on distinguait Dominique Parrenin. Le Christianisme florissait dans les provinces, dans le Fo-Kien et à Nankin surtout. Une lettre écrite du Kiang-Si, le 17 octobre 1703, par le Père de Goville, donne de curieux détails sur ces Missions. L'Empereur, ainsi s'exprime le Jésuite, a fait cette année un voyage dans le Tche-Kiang. Tous les Missionnaires des environs lui ont été présentés par nos deux Frères qui étaient à sa suite : tous ont reçu des marques de sa libéralité, surtout le Père de Broissia, avec qui il s'entretint longtemps, et à qui, outre la somme d'argent commune à tous, il fit donner, selon la coutume, différentes choses à manger. » Dans la même lettre, se reportant aux discussions depuis si long-temps soulevées sur les cérémonies chinoises, et aux adversaires que la Compagnie rencontrait, Goville ajoute : « C'est un étrange pays que celui-ci, quand on ne garde pas une certaine conduite. Ils seront encore obligés d'avoir recours aux Pères de Péking pour pacifier les troubles. C'est ainsi que nous nous vengeons ici, en faisant le bien pour le mal. »

Il existait un grave différend entre les Jésuites d'un côté et les Missionnaires des différents Instituts de l'autre. Les Jésuites, pour juger le sens des paroles religieuses et des cérémonies chinoises, consultèrent les mandarins et les lettrés ; ils surent que les honneurs rendus à Confucius et aux ancêtres ne perdaient jamais le caractère qu'ils avaient eu dans le principe : ils se ré duisaient au respect dont l'histoire et les monuments font foi. Les Dominicains et les Vicaires apostoliques, tels que Maigrot, évêque de Conon, s'appuyèrent sur les traditions populaires, sur les pratiques superstitieuses introduites par les Bonzes. De

C'est dans ce voyage que le Père Bouvet oflrit à Louis XIV, de la part de Kang-Hi, les quarante-neuf volumes chinois, qui furent l'origine de la collection actuelle de la Bibliothèque royale.

ces cérémonies, dont les Pères de la Société de Jésus conservaient l'usage pour arriver plus facilement à le déraciner, ils firent surgir des accusations d'idolâtrie ou d'apostasie. Les Chinois étaient si invinciblement attachés à leurs coutumes que, depuis l'origine de la Mission, il avait paru indispensable de ménager tant de susceptibilités. Ne pas accepter quelques cérémonies déclarées purement civiles par l'élite de la nation, c'était, aux yeux des Jésuites, exposer la Foi à un naufrage inévitable, et, dans une lettre au pape Clément XI, ils s'expliquaient en ces termes : « Nous souhaiterions de tout notre cœur qu'il fût en notre pouvoir d'abolir toutes les coutumes et les rites des païens où l'on pourrait apercevoir le moindre soupçon de mal. Mais, dans la crainte de fermer par cette sévérité l'entrée de l'Evangile et la porte du ciel à un grand nombre d'âmes, nous sommes obligés, à l'exemple des Saints Pères au temps de la primitive Église, de tolérer les cérémonies des Gentils qui sont purement civiles; de manière cependant qu'autant que la chose peut se faire sans danger, nous les retranchons peu à peu, en substituant des cérémonies chrétiennes. »

y

Ces quelques ligues initient au plan conçu par les Jésuites; ils procédaient par voie de douceur ; ils acceptaient temporairement ce qu'après des études préalables ils regardaient comme impossible de rejeter; ce qui surtout n'offrait aucun contact avec une idée ou un souvenir païens. Ils savaient que l'homme ne peut qu'à la longue modifier essentiellement les mœurs d'un peuple, et, forts d'une conviction basée sur l'expérience, ils sollicitaient le Souverain Pontife de trancher la question en leur faveur. Dans le courant de l'année 1700, lorsque ces interminables discussions occupaient tous les savants, les Pères Antoine-Thomas, Philippe Grimaldi, Pereyra, Gerbillon, Bouvet, Joseph Suarez, Kilian Stumpf, J.-B. Régis, Louis Pernoti et Parrenin, Jésuites fameux dans l'histoire des sciences, firent au Saint-Siége la proposition suivante : « Puisque, écrivaientils, l'affaire a été portée de nouveau à Rome, et ne peut être terminée qu'après plusieurs années et un long travail, chaque parti appuyant son opinion sur le sens véritable des cérémonies par des textes d'ouvrages anciens, il nous a paru convenable de chercher, afin d'abréger cette controverse, un moyen qui se

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