صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

Londres ou en Hollande. Ce mystère, ces difficultés mises à la circulation, donnaient à l'œuvre le mérite de la rareté, et la faisaient rechercher avec plus d'empressement (1). Puis, Malesherbes, qui était à la tête de la librairie de 1750 à 1768, et qui était partisan de la liberté de la presse, favorisait la circulation des nouveaux livres, et indiquait aux philosophes les moyens d'éviter la rigueur des lois. Il ne prévoyait guère que ces beaux livres le conduiraient à défendre la tête de Louis XVI, et à porter la sienne sur l'échafaud (2).

Rousseau, esprit inquiet, bizarre, âme exaltée, homme indéfinissable, ne s'est pas rangé sous les étendards de Voltaire, quoique celui-ci eût fait des avances pour l'y enrôler. Il n'aimait pas Voltaire, comme il l'a déclaré à lui-même, et il affectait du mépris pour ses disciples, qu'il trouvait tous fiers, affirmatifs, dogmatiques même dans leur prétendu scepticisme, n'ignorant rien, ne prouvant rien; triomphants quand ils attaquent, sans vigueur quand ils se défendent, n'ayant des raisons que pour détruire, et ne s'accordant que pour disputer (3).

Ce sont eux qu'il attaque, quand il établit en vrai théologien, et avec un charme qui entraîne et par des raisons qui n'ont jamais été réfutées, nonseulement l'existence de Dieu, mais la liberté de l'homme, la spiritualité de l'âme, l'existence d'une autre vie et les récompenses futures, et quand il représente avec une noble indignation le vide que creuse l'absence de ces vérités.

(1) Hist. parlem., édit. compacte, t. I, p. 151.
(2) Idem.
Biogr. univ., art, Malesherbes.

(3) Émile, liv. IV.

Fuyez, dit-il, fuyez ceux qui, sous prétexte d'expliquer la nature, sèment dans les cœurs des hommes de désolantes doctrines, et dont le scepticisme apparent est cent fois plus affirmatif et plus dogmatique que le ton décidé de leurs adversaires. Sous le hautain prétexte qu'eux seuls sont éclairés, vrais, de bonne foi, ils nous soumettent impérieusement à leurs décisions tranchantes, et prétendent nous donner, pour les vrais principes des choses, les inintelligibles systèmes qu'ils ont bâtis dans leur imagination. Du reste, renversant, détruisant, foulant aux pieds tout ce que les hommes respectent, ils ôtent aux affligés jusqu'à la dernière consolation de leur misère, aux puissants et aux riches le seul frein de leurs passions; ils arrachent du fond des cœurs le remords du crime, l'espoir de la vertu, et se vantent encore d'être les bienfaiteurs du genre humain. Jamais, disent-ils, la vérité n'est nuisible aux hommes je le crois comme eux, et c'est, à mon avis, une grande preuve que ce qu'ils enseignent n'est pas la vérité (1). »

Ce morceau est évidemment dirigé contre Voltaire et ses associés, qui avaient l'habitude de s'appeler les bienfaiteurs du genre humain.

Il les attaque avec plus de véhémence encore dans plusieurs autres passages de son Émile.

L'irréligion, dit-il, et en général l'esprit raisonneur et philosophique, attache à la vie, effémine, avilit les âmes, concentre toutes les passions dans la bassesse de l'intérêt particulier, dans l'abjection

(1) Émile, liv. IV.

du moi humain, et sape ainsi à petit bruit les vrais fondements de toute société; car ce que les intérêts particuliers ont de commun est si peu de chose, qu'il ne balancera jamais ce qu'ils ont d'opposé. Si l'athéisme ne fait pas verser le sang des hommes, c'est moins par amour pour la paix que par indif férence pour le crime... Ces principes ne font pas tuer les hommes (la révolution française montrera le contraire), mais ils les empêchent de naître, en détruisant les mœurs qui les multiplient, en les détachant de leur espèce, en réduisant toutes leurs af fections à un secret égoïsme, aussi funeste à la population qu'à la vertu...

« Que tous les autres hommes fassent mon bien aux dépens du leur, que tout se rapporte à moi seul; que tout le genre humain meure, s'il le faut, dans la peine et dans la misère, pour m'épargner un moment de douleur et de faim: tel est le langage intérieur de tout incrédule qui raisonne. Oui, je le soutiendrai toute ma vie, quiconque a dit dans son cœur, Il n'y a point de Dieu, et parle autrement, n'est qu'un menteur ou un insensé (1). »

Tel est le jugement que porte Rousseau sur les doctrines de l'école de Voltaire. Il ne trouve pas d'expression assez forte pour qualifier ses détestables systèmes. C'est toujours contre la même école qu'il fait un magnifique éloge de J. C. et de sa doctrine. Voltaire avait abaissé le fondateur du Christianisme, nié sa divinité. Il l'avait comparé aux philosophes anciens, et contesté sa supériorité sur eux.

(1) Émile, liv. IV.

De plus, il avait présenté l'Évangile comme une invention humaine. Rousseau semble se révolter contre de telles opinions, et les réfute avec toute l'énergie de son âme:

Voyez, dit-il, les livres des philosophes avec toute leur pompe : qu'ils sont petits près de celui-là (de l'Évangile)! Se peut-il qu'un livre, à la fois si sublime et si simple, soit l'ouvrage des hommes? Se peut-il que celui dont il fait l'histoire ne soit qu'un homme lui-même? Est-ce là le ton d'un enthousiaste ou d'un ambitieux sectaire? Quelle douceur, quelle pureté dans ses mœurs! Quelle grâce touchante dans ses instructions! Quelle élévation dans ses maximes! Quelle profonde sagesse dans ses discours! Quelle présence d'esprit! Quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses! Quel empire sur ses passions! >>

Il poursuit ensuite le parallèle de Voltaire, et fait voir la différence entre la résignation de J. C. et celle des philosophes anciens, celle de Socrate entre autres; il montre que ces philosophes avaient trouvé dans les exemples de leurs devanciers de quoi composer leur code de morale, tandis que J. C., qui les a effacés tous, n'a pu trouver chez les siens rien qui pût lui donner l'idée de cette morale élevée et pure dont lui seul a donné les leçons et l'exemple; il conclut ce beau morceau en disant que si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu.

B

Rousseau attaque ensuite Voltaire, qui avait fait passer l'Évangile comme une invention humaine.

<< Mon ami, dit-il, ce n'est pas ainsi qu'on invente;

et les faits de Socrate, dont personne ne doute, sont moins attestés que ceux de Jésus-Christ. Au fond, c'est reculer la difficulté sans la détruire. Il serait plus inconcevable que quatre hommes d'accord eussent fabriqué ce livre, qu'il ne l'est qu'un seul en ait fourni le sujet. Jamais des auteurs juifs n'eussent trouvé ni ce ton ni cette morale; et l'Évangile a des caractères de vérité si grands, si frappants, si parfaitement inimitables, que l'inventeur en serait plus étonnant que le héros (1).

[ocr errors]

C'est ainsi que Rousseau réfute Voltaire, et il le fait avec autant de noblesse que de force. Il paraît comme un ange à côté de lui. Il relève la sublimité de l'Évangile, que Voltaire avait dépréciée. Il appelle ailleurs le Christianisme une religion sainte, sublime, véritable; par elle les hommes, enfants du méme Dieu, se reconnaissent tous pour frères, et la société qui les unit ne se dissout pas même à la mort (2). Il prend la défense de la religion dans l'intérêt de la vertu.

« On a beau vouloir établir la vertu par la raison seule, quelle solide base peut-on lui donner (3)? Sans la foi, nulle véritable vertu n'existe (4). Je n'entends pas, dit-il ailleurs, qu'on puisse être vertueux sans religion; j'eus longtemps cette opinion trompeuse, dont je suis désabusé (5).

[ocr errors]

Il regarde aussi la religion comme la base de la société. « Jamais État ne fut fondé, dit-il, que la re

(1) Émile, liv. IV.

(2) Contrat social, liv. IV, chap. 8.

(3) Émile, liv. IV.

(4) Ibid.

(5) Lettre à d'Alembert, sur les spectacles.

« السابقةمتابعة »