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neur, la conscience de sa grand'mère, Catherine d'Autriche, et celle de son grand-oncle, le Cardinal dom Henri. Ce triple fardeau devait susciter à la Compagnie de nombreux, d'implacables ennemis; et cependant la Compagnie affirme n'avoir rien fait pour capter la confiance royale. Une lettre de Laynès, Général de l'Ordre, à la Reine-Régente Catherine, explique bien leur situation. Cette lettre, dont l'original se conserve à la Tour del Tombo, est ainsi conçue:

« Comme il est juste que nous soyons disposés à condescendre en ce qui dépend de nous à toutes les demandes de Votre Altesse, après avoir recommandé la chose à Notre-Seigneur, et l'avoir mûrement examinée, je me suis décidé à vous envoyer le Père Louis Gonsalves. Je sais, il est vrai, que ce Père est un fidèle serviteur de Dieu, qu'il vit en bon religieux, qu'il est expérimenté dans le maniement des affaires et versé dans les lettres; qu'il ne manquera ni de bonne volonté ni du plus sincère dévouement pour faire tout le bien qui lui sera possible. Cependant, comme l'emploi auquel Votre Altesse l'appelle est de la plus haute importance, et que d'ailleurs je connais trop peu les qualités qui seraient nécessaires pour le bien remplir, je ne puis décider si ce Père les réunit en sa personne. Je supplie done humblement Votre Altesse de s'en assurer par elle-même, de mettre de nouveau l'affaire en délibération, après l'avoir recommandée à JésusChrist. Votre Altesse ne l'en chargera que dans le cas où elle verrait en cela la plus grande gloire de NotreSeigneur, sa propre satisfaction, le bien du Roi et de ses peuples.

» Dans le concours de telles circonstances, j'ai confrance que le Père Gonsalves le recevra en vrai serviteur

de Dieu et non en vue d'un frivole honneur et d'une éphémère élévation dans ce monde. Il ne s'en charge; a que pour la fin dont nous venous de parler, que comme d'une croix qu'avec l'aide de Notre-Seigneur il s'etforcera de porter pour obéir à Votre Altesse, et travailler au bonheur de la nation portugaise.

» Pour peu, du reste, que Votre Altesse entrevoie qu'il serait plus utile à la gloire de Notre-Seigneur qu'un autre fût choisi pour cet emploi, nous la supplions tous, par l'amour qu'elle porte à ce même Seigneur, de ne plus penser à le lui confier. Aucune affliction ne pourrait nous être plus sensible que de voir le bien qu'on y peut faire anéanti ou paralysé par un homme de la Compagnie. Celui à qui rien n'est caché sait parfaitement que si je parle de la sorte, ce n'est point pour la forme seulement, mais bien parce que tels sont en effet le désir de mon cœur. Aussi n'ai-je pas cru qu'on dût nommer personne à sa place ni pour être Assistant, ni pour gouverner le Collége Germanique, dont il avait la direction; de cette manière, il pourra ou revenir ici, ou demeurer en Portugal, suivant le bon plaisir de Votre Altesse. »

Les Jésuites n'avaient accepté qu'avec une certaine répugnance l'emploi dont la famille royale de Portugal honorait un de leurs Pères; mais, par la série de funestes événements que le caractère de don Sébastien provoqua, cet emploi fournit un prétexte tout naturel d'incriminations contre la Société de Jésus. Ce n'est point dans les annales du Portugal que nous les trouvons : le Portugal, comme les autres royaumes, a eu des historiens de tous les partis; aucun ne s'est fait l'écho de ces accusations. Les uns parlent des Jésuites avec acrimonie, les autres avec amour; tous se taisent sur

les inculpations que les écrivains français, que Pasquier, les Parlementaires et les Jansénistes mirent en

avant.

Pasquier, qui, dans son Catéchisme des Jésuites, s'est attaché à dresser un réquisitoire contre l'Ordre de Jésus, s'exprime en ces termes' lorsqu'il arrive à la grave question du Portugal:

« Les Jésuites fins et accorts estimèrent que ce territoire étoit du tout propre pour y provigner leur vigne. Et, afin d'y gagner plus de créance, dès leur première arrivée, ils se firent nommer non Jésuites, ains Apôtres, s'appariant à ceux qui étoient à la suite de Notre-Seigneur, titre qui leur est demeuré; et de cela ils sont d'accord. Le royaume étant tombé és mains de Sébastien, ces bons Apôtres pensèrent que par son moyen le royaume pourroit tomber en leur famille, et le sollicitèrent plusieurs fois, que nul à l'avenir ne pust estre Roi de Portugal s'il n'étoit Jésuite et élu par leur Ordre, tout ainsi que dans Rome le Pape par le Collége des Cardinaux. Et parce que ce Roi (bien que superstitieux comme la superstition même) ne s'y pouvoit, ou pour mieux dire, n'osoit condescendre, ils lui remontrèrent que Dieu l'avoit ainsi ordonné, comme ils lui feroient entendre par une voix du Ciel près de la mer. De manière que ce pauvre prince ainsi malmené s'y transporta deux ou trois fois; mais ils ne purent si bien jouer leurs personnages que cette voix fût entendue. Ils n'avoient encore en leur Compagnie leur Justinian imposteur, qui, dedans Rome, contrefit le lépreux. Voyant ces messieurs qu'ils ne pouvoient atteindre à leur but, ne voulurent pour cela quitter la partie. Ce Roi, Jésuite

1 Catéchisme des Jésuites, livre 111, chap. xv1, page 252 (édition de Villefranche,

en son âme, ne s'étoit voulu marier. Or, pour se rendre auprès de lui plus nécessaires, ils lui conseillèrent de s'acheminer vers la conquête du royaume de Fez, où il fut tué en bataille rangée, perdant sa vie et son royaume. Tellement que voilà le fruit que remporta le Roi Sébastien pour avoir cru les Jésuites. Ce que je viens de discourir, je le tiens du feu marquis de Pisani, très-catholique, lequel étoit alors ambassadeur de la France en la cour d'Espagne. »

Vous

L'historien qui, sans autres preuves à l'appui, base ses récits sur le témoignage d'un mort, ne peut inspirer confiance absolue, même lorsque les faits qu'il raconte seraient vrais. Voltaire a souvent usé de ce procédé, et pour Étienne Pasquier' ce n'est pas une recommandation. Le tombeau ne rend jamais sa proie; il devient donc impossible de contrôler une semblable autorité. Les paroles prêtées au feu marquis de Pisani ont pu être prononcées, nous admettons même qu'il ait fait à Pasquier les curieuses révélations que l'on vient de lire; mais, à nos yeux, ce récit n'établit pas même une probabilité;

Nous venons de voir Pasquier échafauder une accusation contre les Jésuites sur la parole d'un mort. Le voilà qui s'appuie, dans ses plaidoyers, sur un autre mort, mais ici il y a progrès. Ce n'est plus un diplomate qu'il met en scène, c'est un Jésuite, le Père Pasquier Brouet. Dans plusieurs de ses lettres à M. de Sainte-Marthe, à M. Fousomnie, et dans la dernière du xx1a Evre, il raconte, et dans ses plaidoiries il révèle qu'en 1556 il s'était rencontré à la campagne avec ce compagnon d'Ignace de Loyola. Pendant trois jours, nous apprend l'avocat de l'Université, Brouet, l'homme le plus discret de tous les Jésuites, auxquels jusqu'à présent on n'a guère reproché leur indiscrétion, Brouet s'expliqua avec lui sur ce qu'il y a de plus intime dans l'Institut, il lui développa avec complaisance les projets vastes et profonds que l'Ordre avait conçus.

Étienne Pasquier nota sur-le-champ, ajoute-t-il, ces conversations, sans prévoir qu'il dût jamais avoir occasion d'en faire usage. Ce plan de l'Institut, confié à des oreilles si délicates, dormit dans son cabinet; et quand il se chargea de la cause de l'Université, il n'eut plus, pour démasquer les Jésuites, qu'à mettre en œuvre les révélations de Brouet. L'avocat était bien sûr alors de ne pas recevoir un démenti du Jésuite il plaidait en 1565, et le Père était mort en 1562.

En lisant ce récit, mot pour mot extrait de la Correspondance, des Plaidoyers et du Catéchisme de Pasquier, on conviendra qu'il faut être bien avocat pour faire aiusi l'histoire.

il n'est attesté que par un personnage dont il est impossible d'évoquer la foi, et, par malheur pour la véracité de l'écrivain, ce récit se trouve en complet désaccord avec tous les historiens portugais et espagnols.

Comme la version inventée par l'auteur du Catéchisme des Jésuites flattait les animosités universitaires et qu'elle était impossible, elle a été adoptée, à cause même de son impossibilité. On n'y croit plus, on s'en sert encore dans les circonstances difficiles. L'avocat Linguet, ennemi des Jésuites, mais d'une autre façon que Pasquier, fait en ces termes justice de tant de misères de l'intelligence: « Cette calomnie, dit-il dans son Histoire impartiale des Jésuites', est si absurde qu'elle n'a pas besoin d'être réfutée; ou le marquis de Pisani s'est trompé, ou, ce qui est plus probable, le calomniateur, qui est assez hardi pour inventer une fausseté, a pu l'être assez pour s'autoriser par un grand nom. J'ai sous les yeux, ajoute Linguet, une autre de ces productions méprisables; il y a un chapitre intitulé: Meurtre des petits enfants-trouvés commis par les Jésuites. Il n'y a rien à répondre à cette espèce d'écrivains et à ceux qui les copient; on ne leur doit tout au plus que de la compassion.

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Linguet se trompe en ceci. Quand la calomnie vient d'un homme prétendu sérieux et accepté comme tel par un parti depuis trois cents ans, l'histoire doit, dans l'intérêt de la vérité, soumettre ses dires à un examen approfondi. Si Pasquier sort meurtri de cet examen, ce sera moins à son mensonge qu'à ses panégyristes qu'il faudra s'en prendre.

Le meilleur moyen d'éclaircir la question c'est d'expliquer les faits par la chronologie, car le premier soin

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