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Grenade; ils étaient exilés, pauvres et nus. L'aversion instinctive que le peuple espagnol avait conçue pour ses anciens maîtres s'augmenta du spectacle de leur misère. Le fléau les atteignait les premiers. Le peuple rejeta la cause de la maladie sur ceux mêmes qui en étaient les victimes; ils périssaient sans secours et maudits par la foule. Les Jésuites de Salamanque sont témoins de ce délaissement : ils interrompent les cours de leur collége; ils exposent chrétiennement leur vie pour disputer à la mort celle des autres. Barthélemy Canova, leur préfet des études, et plusieurs de ses frères meurent à la peine. La ville d'Alcala est en proie au même mal; elle rencontre dans les Jésuites les mêmes secours. A Guadalaxara, les Nouveaux Chrétiens succombent par centaines dans cet abandon déjà signalé à Salamanque. Les Jésuites changent leur demeure en ambulance, et ils parcourent la ville, recueillant les pestiférés épars dans chaque rue, les chargeant sur leurs épaules et les transportant à l'hôpital improvisé par leur charité. Les paroles les plus éloquentes, les promesses les plus flatteuses n'auraient pas pu leur évoquer des coopérateurs; leur exemple fut plus efficace. En appréciant ce dévouement les Espagnols se dévouèrent, et, quand le fléau eut cessé ses ravages, pour tout salaire de leur zèle, ils prièrent les Jésuites de consentir à ce que la ville fit bâtir un collége à la Compagnie. Dans la cité de Tolède comme dans celles de Guadalaxara et d'Alcala, il en mourut beaucoup victimes de leur humanité. A Tolède, le nombre des pestiférés était si considérable que l'on se voyait obligé de les entasser sur des couches communes. Afin de garder le secret de la confession, il fallait s'étendre au milieu des moribonds et coller son oreille sur leur bouche. Le 29

avril 1571, le Père Jean Martinez resta parmi ces cadavres encore vivants, martyr de la discrétion sacerdotale.

A Cadix, dans cette ville de voluptés et de transactions commerciales, on mourait aussitôt que le mal se déclarait. Le Gouverneur et l'Évêque, le Clergé et les magistrats, tous s'étaient dérobés par la fuite aux atteintes du fléau. Les riches négociants, les hommes de loisir avaient fait comme les autorités; le peuple, là ainsi que partout, restait abandonné à son désespoir. Le Jésuite Pierre Bernard, recteur du collége, réunit les officiers civils que le danger n'a pas effrayés au point de les entraîner à la désertion; un lazaret est établi. Bernard fait appel à Sébastien Diaz, médecin habile et courageux de Séville. Diaz répond à la confiance du Jésuite, et bientôt des secours sont organisés. Un prêtre de Cadix, Roderic Franco, et le Père Jacques Sotomayor se chargent du soin des âmes, le frère Lopez de celui des corps. Le 4 mai, ces deux Jésuites expiraient à côté des mourants. Les Pères venaient de donner leur vie pour le peuple; ils en furent récompensés par la persécution. Ce ne fut pas le peuple qui l'organisa, pour cette fois, il ne consentit point à être ingrat la persécution arriva de l'Autel même.

Un jeune homme d'une illustre famille de Madrid, François d'Espagna, sollicitait depuis long-temps son admission dans la Compagnie; il est enfin reçu au Noviciat. Sa mère avait rêvé pour ce fils bien-aimé tout un avenir de gloire, et ses rêves de tendresse ou d'ambition étaient anéantis. Dans ses élans maternels, elle essaya de disputer son premier-né à Dieu et à la Compagnie de Jésus, qu'elle soupçonnait d'avoir cherché à accaparer au profit de l'Ordre l'immense fortune ré

servée au jeune François. Forte de cet entraînement dont les mères ont le secret, elle se présente au Conseil Royal, qui avait pour chef le Cardinal Spinosa; elle fait parler ses craintes et ses douleurs, elle accuse les Jésuites de captation religieuse. « Ce n'est pas mon fils qu'ils veulent, s'écrie-t-elle, c'est sa fortune; qu'on me rende mon fils pendant quatre jours seulement, et j'éprouverai sa vocation. »

Le Conseil Royal condescend à ce vou. Il délivre un ordre par lequel il est enjoint aux Pères de remettre pendant quatre jours le novice entre les mains de ses parents. François d'Espagna était à la Maison d'Alcala. Le suffragant de l'Archevêque de Tolède, administrateur du diocèse, était l'allié de cette pauvre mère : il réclame en son nom le jeune François. Les Jésuites n'avaient pas attendu si long-temps pour se laver d'une pareille inculpation. Au premier bruit de l'affaire, ils avaient forcé leur novice à partir pour Madrid. Là, en toute liberté, il devait se justifier lui-même et la Société devant le Conseil Royal. Cependant le Prélat, accompagné d'une troupe nombreuse, pénètre dans la Maison des Jésuites, il demande le jeune homme; on lui répond qu'il est à Madrid auprès du Cardinal Spinosa. Le Prélat croit que cette réponse est un subterfuge; dans un premier moment d'irritation, il lance l'interdit sur le College. Le bruit se répand par la ville que les Jésuites sont placés en état de siége. Les habitants et les écoliers de l'Université prennent les armes ; ils accourent, ils accourent, offrant aux Pères leur appui.

Une sanglante collision pouvait naître de l'exaspération des esprits. Le Provincial veut la conjurer; il s'engage à faire revenir de Madrid, dans le plus bref délai, le novice, cause innocente de ce conflit. François d'Espagna arrive

en effet ; il est rendu à sa mère. Supplications, menaces, ofr es brillantes, larmes, tout fut mis en jeu pour ébranler sa résolution. Il persiste plus que jamais dans ses projets. Sa famille, en lui permettant d'accomplir le sacrifice, manifeste la crainte de voir sa fortune passer entre les mains de la Compagnie. François répond qu'il est en âge de disposer de son patrimoine ainsi qu'il l'entend, et qu'il en restera le seul maître.

Les Jésuites cependant comprennent qu'il faut acheter la paix. La brebis, à leurs yeux, était beaucoup plus précieuse que la toison: ils amènent le novice à un abandon de tous ses biens en faveur de sa famille. A ce prix, les parents, la mère exceptée, laissèrent toute latitude au jeune homme.

Quelques Jésuites, étrangers à l'Espagne, avaient observé que les combats de taureaux étaient une des causes déterminantes de ce caractère de froide férocité tant reproché aux basses classes de la Péninsule. Ce plaisir national, qui inspire l'amour du sang, était depuis longtemps condamné par les Pères; mais pour en priver les Espagnols il fallait user de prudence et de ménagements. Interdire au peuple le spectacle de cette lutte toujours sanglante entre l'homme et la bête, c'était porter atteinte à ses priviléges et le froisser dans ses plus ardentes voluptés. Pie V avait apprécié les motifs d'humanité mis en avant par les Jésuites. Un décret pontifical fut adressé aux habitants de Cordoue; il prohibait les combats de taureaux ; il en faisait ressortir l'horreur pour des Chrétiens. Le jour fixé pour une de ces représentations approchait, et les jeunes Cordouans avaient sollicité de l'Évêque l'abrogation au moins tacite du bref de Pie V. L'Évêque céda; mais le Père François Gomez, consulté, déclara que l'humanité et l'autorité du Saint-Siége ne

devaient pas être vaincues dans une semblable occurrence. A l'appui de son opinion, il apporta des motifs si plausibles, il sut si bien s'emparer des esprits, que les Cordouans renoncèrent à ces jeux où la vie de quelques hommes se trouvait exposée pour la satisfaction des

autres.

Pendant ce temps, le cardinal Alexandrini et Borgia parvenaient aux frontières de la Péninsule. Le 30 août 1571, ils arrivaient à Barcelone. Le souvenir de l'ancien vice-roi de Catalogne n'était pas effacé dans les cœurs. Les Catalans retrouvaient dans le Général des Jésuites le prince dont le commandement avait toujours été si doux. La reconnaissance encore plus que la piété les porte audevant de Borgia, que son fils, le duc Ferdinand, venait saluer au nom de Philippe II. Le roi d'Espagne lui écrivait pour le féliciter sur son entrée dans le royaume; il lui disait la joie qu'il ressentait en songeant que deux vieux amis allaient se revoir. Au milieu des fêtes données au légat, le Général saisit l'occasion d'être utile à l'Église et à son pays.

Un grave différend s'était élevé entre tous les chapitres de la province et les officiers royaux. Il s'agissait de l'interprétation des droits que les uns et les autres s'attribuaient. L'Évêque de Majorque et de Minorque avait été désigné commissaire par le Pape pour terminer cette affaire. Son intervention fut inutile. Les deux partis s'exagéraient plus que jamais leurs prérogatives, lorsque la présence de Borgia leur fit naître une pensée de conciliation. Ils le choisissent pour arbitre; ils s'obligent d'avance à se soumettre au jugement qu'il prononcera. Borgia termine ce procès ecclésiastique et civil à leur commune satisfaction.

L'Inquisition, dans des jours de trouble, avait décrété

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