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le mérite conduife aux honneurs, à la confidération, aux dignités, aux titres, en un mot, que le titre le plus glorieux, le plus grand, le plus. révéré, foit le titre d'homme vertueux.

Chaque article que je viens de toucher légérement a une très-grande étendue; mais ce n'eft pas ici le lieu d'entrer dans cet immenfe détail. Je me contente de dire que les Princes qui font affez heureux pour trouver dans cette science de bons guides, font des progrès infinis dans la connoiffance des hommes, découvrent les motifs de leurs actions, jufques dans leur principe; prévoient ce qu'ils feront prefqu'auffi certainement que s'ils étoient appellés à leurs confeils; favent ménager avec une merveilleufe dextérité leurs efprits; les conduifent plus furement par leurs inclinations que par tous les autres moyens; connoiffent ce qu'il leur faut refufer, & ce qui eft innocent: & les préparent, par des vertus moins parfaites, à d'autres plus éminentes.

De cette connoiffance générale de l'homme, qui fait la premiere partie de la morale, le Prince paffe à la connoiffance de foi-même, qui en est la feconde. I defcend dans fon propre cœur, pour en étudier tous les mouvemens, & pour connoître, par cette étude, tout ce qui eft capable de remuer les autres hommes: car ils s'accordent tous, dans certaines chofes, qui les intéreffent également, quoiqu'ils en faffent différens ufa-, ges, & qu'ils fe partagent, entr'eux, par mille diverfités qui ne viennent pas des principes, mais de l'application qu'ils en font.

Il voit, par fa propre expérience, que tous veulent être heureux, que tous n'ont que ce deffein. Dans tout ce qu'ils font, que tous ne s'uniffent que pour y réuffir plus facilement par le mutuel fecours qu'ils fe prêtent; que c'eft par l'efpérance d'être plus fûrement & plus long-temps heureux qu'ils fe foumettent à un Roi qui leur en procurera les moyens, & qui fera en état de lever tous les obftacles que les particuliers ne fauroient furmonter dans l'état de fociété politique.

Le Prince voit, d'abord, les fuites de ces vérités fécondes, dont la méditation eft plus capable de l'inftruire que les livres d'une morale vulgaire. Il étudie enfuite ce qu'il défire lui-même pour être heureux; ce qui eft jufte dans fes défirs, & ce qui ne l'eft pas; ce qui eft poffible en cette vie, & ce qui eft au-deffus de la condition humaine. Et ce qu'il découvre en foi-même, il le conclut de tous fes fujets, même des plus petits, fans crainte de fe tromper.

Il examine auffi tout ce qui manque à fa félicité, & tout ce qui eft capable de le confoler, de le dédommager de ce qu'il trouve lui manquer. Il fent fa mifere même fur le Trône mais il fent auffi l'impreffion que l'amitié, la compaffion, l'intérêt qu'on prend à fes peines, font fur fon efprit, & il devient, par ces réflexions, plus humain, plus compatiffant, plus tendre pour tous ceux qui font dans l'affliction, & qui font privés de tous les biens qui l'environnent.

Il fe rend attentif à mille chofes qui échappent ordinairement aux grands, parce qu'ils ne fe mettent prefque jamais à la place des autres, & qu'ils ne fauroient fe perfuader que les autres hommes aient la même fenfibilité qu'eux & les mêmes befoins. Il voit ce que peut un mot placé à propos, une maniere obligeante, une raifon mêlée au commandement, une grace accompagnée d'un éloge, un refus adouci par des termes honnêtes ; & il voit tout cela dans foi-même, quoique fa condition ne lui permette pas de l'éprouver comme les particuliers, parce qu'il ne fe confidere pas alors comme Roi, mais comme femblable à ceux dont il eft Roi, & qu'en defcendant du Trône en efprit, pour aller fe mettre à la place de l'un de fes fujets, il diftingue nettement dans cette fituation ce qu'il défireroit que l'on fit pour lui.

En examinant fon efprit, il voit par quels moyens il s'ouvre à la vérité, quelle route il faut prendre pour le perfuader : comment une Connoiffance prépare à l'autre, quelle faute on commettroit, fi l'on vouloit commencer par ce qui eft le plus difficile & le moins clair; & il apprend ainfi, comment il faut ménager les efprits des autres, & réserver` beaucoup de chofes à un temps où elles feront mieux reçues.

Il étudie avec foin ce qui partage les hommes en divers sentimens, & comment, avec une lumiere fupérieure, on peut ordinairement les réunir, en uniffant les vérités particulieres qui les divifoient. Il reconnoît en lui-même, qu'on ne fe rend pas fi facilement à la vérité, qu'à la maniere dont elle eft dite; qu'il eft rare que celui qui fe trompe, se trompe en tout, & qu'il n'eft pas difficile de lui faire abandonner l'erreur, fi on lui rend juftice, en avouant qu'il a vu une partie de la vérité. Il fent en lui-même les principes fecrets de toutes ces foibleffes, & il en profite pour inftruire les autres, & pour les conduire, par des voies naturelles, où l'autorité n'eft prefque jamais néceffaire.

Je ne finirois pas, fi je voulois suivre le Prince dans les retours qu'il doit faire fur lui-même, pour apprendre ce que font les autres hommes. Il me fuffit de l'avoir averti que c'eft une fource de lumiere & de prudence pour lui, pourvu que fes recherches & fes réflexions ne fe terminent pas à le rendre fimplement philofophe, au lieu de le rendre un philofophe Roi, un grand Roi.

Un quatrieme moyen qui contribue beaucoup à faire connoître les hommes, eft d'être attentif, à tout ce qu'on voit & qu'on entend, & à y faire réflexion. C'eft cette expérience non-feulement de tous les jours, mais de tous les momens, qui eft plus capable d'instruire le Prince, que tous les avis qu'on lui donneroit.

Car tous les hommes ne peuvent pas toujours fe déguiser, ni vivre dans la gêne. L'artifice eft moins perfévérant que le naturel; & quand un Prince a des yeux attentifs, il trouve enfin ce qui eft fimple & vrai, & le diftingue de ce qui étoit affecté. Les paffions changent, & en changeant

elles fe trahiffent. Il n'y a que le vrai qui foit toujours le même. La vertu n'a qu'un visage le mérite n'a point d'autre intérêt que d'être ce qu'il est', foit qu'on le connoiffe, ou qu'il demeure inconnu, mais tout ce qui s'efforce de lui reffembler, eft trop inquiet pour lui reffembler long-temps.

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Le Prince n'auroit donc qu'à tenir toujours les yeux ouverts, & fe bien fouvenir de ce qu'il auroit vu pour connoître à fond les hommes qui l'approchent mais rien n'eft plus rare que la réflexion. La diftraction fait perdre le fruit de tout. On ne fait point unir plufieurs obfervations pour en former un jugement fûr; & l'on vit quelquefois long-temps fans avoir acquis par l'expérience plus de folidité d'efprit & plus de fageffe pour conduire les hommes, que lorfqu'on commençoit à régner.

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A l'expérience de tous les jours, un Prince doit joindre celle de tous les fiecles, & apprendre dans l'hiftoire ce que font les hommes aujourd'hui, par ce qu'ils ont toujours été. Mais il ne faut pas qu'il se borne aux grands évenemens, qui font rares & qui inftruifent peu. C'eft aux caracteres des hommes qu'il doit être attentif. C'eft leurs motifs leurs intérêts les moyens qu'ils ont employés pour réuffir, qu'il doit principalement examiner. C'eft aux différences entre un mérite fuperficiel, & un mérite accom-. pli, entre un homme inquiet & ambitieux qui paroît grand par ses paffions, & un homme véritablement grand par fes qualités réelles, qu'il doit toute fon attention. Il confidere les Princes & les fujets. Il compare leurs inclinations oppofées, leurs fautes mutuelles, leurs méprises; & il voit dans les regnes paffés, ou bons ou mauvais, ou mêlés de bien & de mal, tranquilles ou agités, ce que font les peuples, & ce que doivent être ceux qui les gouvernent. C'eft dans cette vue & fur ce plan qu'ont été composés tous les Articles hiftoriques de cet ouvrage, pour apprendre à l'Homme-d'État à connoître & à gouverner les hommes.

Comme l'Histoire Sainte eft regardée comme très-propre à faire connoître à fond l'efprit & le cœur des hommes; à faire juger fainement de leurs bonnes ou de leurs mauvaifes qualités; à faire difcerner leurs véritables vertus, des vices qui en prennent les apparences; à dévoiler les caufes fecretes de tous leurs mouvemens; à faire connoitre toute la profondeur de leurs pensées, & de leurs confeils; & à montrer l'infinie variété des caracteres qui les diftinguent, nous en avons donné un précis affez étendu. Nous donnons aussi des extraits des livres de la Sageffe, livres très-capables d'inftruire un Prince de ce qu'il y a d'utile dans la Connoiffance des hommes. L'Homme-d'Etat doit en faire une étude réfléchie, parce qu'ils confiftent en des fentences courtes, & en des obfervations fimples en apparence, mais remplies d'un grand fens, qui ont befoin d'être approfondies. L'Hiftoire profane, moins merveilleufe parce qu'elle eft toute humaine n'en eft pas moins instructive. Tout y eft même à la portée ordinaire des hommes, & conféquemment d'une inftruction plus immédiate & plus pratique. Nous nous fommes plus étendus fur l'Hiftoire moderne que fur l'Hiftoire ancien

ne, parce que les événemens femblent d'autant plus inftructifs, qu'ils font plus près de notre temps; & que les exemples font ordinairement plus d'impreffion à mefure qu'il font plus voifins de nous. Le jugement favorable que le public éclairé a porté fur les Articles hiftoriques que nous avons publiés dans les volumes précédens, nous autorise à affurer que nous avons raffemblé dans cet ouvrage tout ce que les Hiftoires facrée & profane, ancienne & moderne, contiennent de plus propre à donner à l'Hommed'Etat la Connoiffance des hommes & des événemens, à diriger fa conduite, & affurer fes pas dans la carriere du Gouvernement.

TOUT

Des Connoiffances néceffaires à l'Homme-d'Etat.

OUT homme qui fe voue aux affaires devroit commencer, s'il eft poffible, par fe dépouiller de l'amour-propre, & confulter fon génie, l'activité de fon efprit, fon affiduité, fon tempérament & fes forces, avant que d'embraffer un emploi fi difficile & fi important. Il y a tant d'autres occupations dans le monde où la médiocrité des talens fuffit; pourquoi en choifir qui exigent une fagacité dont à peine la nature humaine eft fufceptible? Si l'Homme d'État fe trompe, s'il prend de fauffes mesures, tout un peuple en reffent les funeftes effets.

La naiffance, l'enchaînement bifarre des événemens, le caprice des Princes, le hafard conduisent fouvent au miniftere un homme qui réuffiroit très-bien dans toute autre place, mais qui eft trop foible pour porter le fardeau du Gouvernement. On voit tous les jours des pays tomber en décadence par cet inconvénient. Mais s'il eft dangereux de choifir foimême la profeffion d'Homme d'État par une trop grande préfomption de fes talens, il eft bien plus ridicule encore quand les parens deftinent un enfant, prefque dès le berceau, à un emploi fi confidérable, & qu'ils dirigent toutes les études vers ce but, fans donner une attention continuelle aux progrès qu'il y fait, & fans réfléchir fi le fuccès répond à leurs vues. Encore un coup, il n'eft pas néceffaire d'être Homme d'État, non plus que Poëte il faut y apporter trop de talens; & tel auroit brillé dans toute autre carriere, qui s'éclipfe dans le maniement des affaires publiques. Suppofons que les difpofitions foient trouvées dans un génie heureux, il faut que l'éducation & l'ufage du monde achevent en lui ce que las nature a commencé. La politeffe, l'aménité de l'efprit, la douceur, l'art de gagner les cœurs, fi effentiel pour réuffir, ce font là tout autant de qualités qui ne s'acquierent que dans la jeuneffe; & dans tous les âges, le monde eft la meilleure école de politique. Une grande application à l'étude peut faire acquérir les Connoiffances néceffaires à l'Homme d'État; mais les livres n'enfeignent pas à connoître le cœur & les différens caracteres des hommes; & cette Connoiffance eft une des plus utiles pour lui. Les exemples vivans, qui naiffent, pour ainfi dire, fous nos yeux,

font dans notre efprit des traces plus profondes, que tous ceux que nous trouvons dans notre cabinet chez les morts. En un mot, pour parvenir à fon but, il faut gagner les hommes; & pour gagner les hommes, il faut favoir vivre.

Mais, outre le favoir vivre & l'ufage du monde, l'Homme d'État a befoin de Connoiffances. On l'a dit, & on ne fauroit trop le répéter; il eft dangereux d'employer aux grandes chofes des gens fuperficiels. Le vrai favoir ne s'acquiert que par degrés. Quelle eft la profeffion qui ne demande la réunion de plufieurs fciences & de plufieurs talens? Auffi la politique exige-t-elle plufieurs études préliminaires. C'eft un fanctuaire dont il n'eft point permis d'approcher fans préparation, & fans avoir l'efprit orné des plus belles fleurs de la littérature dépouillée du pédantifme.

On ne veut pas s'abaiffer à dire qu'il faut favoir parler, lire & écrire; mais on ne peut s'empêcher non plus de remarquer qu'il faut avoir appris à bien parler, à bien lire, & à bien écrire : talens d'autant plus difficiles, que chacun croit les avoir. Tout le monde danfe le menuet. C'eft une chofe fi fimple, fi triviale, qu'on n'oferoit pas même fe fervir de cette comparaison, fi elle n'étoit annoblie par la force de l'à-propos. Le but de la danfe eft de plaire. Entre tant de millions d'hommes, combien peu y en a-t-il qui danfent avec grace, qui plaifent?

L'étude des langues eft néceffaire fur-tout au négociateur. Il ne fauroit fe paffer du latin. Nous avons dans cette langue non-feulement d'excellens ouvrages qui fervent à former le goût, mais auffi la plupart des traités, au moins jufqu'à la fin du fiecle paffé, font écrits en latin, & encore aujourd'hui il y a des nations avec lesquelles on ne fauroit négocier qu'en cet idôme. Enfin on ne peut faire de bonnes & folides études fans favoir la langue latine; & quand il n'y auroit que cette feule raifon elle fuffit pour prouver qu'il eft indifpenfable de la favoir à fond. Le François eft devenu la langue univerfelle des cours & des affaires, & c'eft une grande commodité pour toute l'Europe. On apprend plus facilement une Langue vivante qu'une morte. La Françoise eft aifée, agréable; avec elle on voyage, on négocie depuis le Portugal jufqu'en Mofcovie. On ne doit donc pas négliger d'en faire une véritable & férieuse étude. Il n'eft plus permis aujourd'hui, qu'un homme employé dans les affaires, eftropie le François, & le prononce mal. On a vu des Miniftres publics fe donner un grand ridicule par l'ignorance de cette Langue; ce qui n'a eu que trop d'influence fur le mauvais fuccès de leurs négociations: outre qu'étant obligés de faire à leurs Cours des relations en François fur des matieres fuccin&tement, importantes, il faut qu'ils fachent s'exprimer clairement, avec force & jufteffe. Il ne fuffit donc pas d'avoir appris la Langue Françoife fimplement par un maître, de l'écrire & de la parler le dictionnaire la grammaire à la main ; il faut la pofféder. L'Allemand, l'Anglois,

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