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der qu'on en a la vérité? Eft-ce que la vertu même n'eft qu'un nom, & qu'elle n'a rien de réel? Mais alors que veut-il qu'on penfe de lui? Et à quoi aboutiffent tous fes foins, pour n'être pas trompé, puifqu'il ne peut éviter de l'être, tout ce qui ne paroîtra pas mauvais, l'étant encore plus que le refte, puifque l'hypocrifie y fera jointe? Et d'ailleurs que peut-on choifir où tout eft corrompu? Et quel fuccès peut-on attendre d'une précaution qui fe termine à tout rejetter?

Il eft vifible que la défiance portée jufqu'à cet excès, conduit aux mômes inconvéniens qu'une imprudence aveugle, puifqu'elle ôte le difcernement du vrai & du faux, du vice & de la vertu, du mérite & de l'hypocrifie, & qu'elle confond tout en prétendant tout discerner.

Un Prince bien intentionné n'examine pas ce qui eft bon & vertueux, par la crainte de le trouver. Il le cherche au contraire par le défir & l'espé rance d'y réuffir; & quand il le rencontre il fait bien quel en eft le prix. C'est par une eftime fincere du mérite qu'il craint de s'y méprendre, & il ne fe défie avec tant de foin de ce qui n'en a que l'apparence, que parce qu'il fait en quoi confifte la vérité.

C'est donc à la vertu qu'il appartient de connoître la vertu. Le vice ne la connoît point, & il ne fe connoît pas foi-même. C'est à la lumiere à juger des ténébres, & à la fageffe à difcerner l'imprudence. Tout le favoir des perfonnes qui ne font inftruites que par leur malignité, n'eft que baffeffe & ténébres. Ils s'applaudiffent mutuellement quand ils font ensemble, & qu'ils enchériffent fur les foupçons les uns des autres en calomniant la vertu; mais quand ils parlent devant des hommes qui ont de la probité & des lumieres, ils paffent dans leur efprit pour des infensés & des aveugles, à qui la juftice eft inconnue, & qui attribuent aux autres les criminelles difpofitions de leur cœur.

Un fage Payen a fait avant nous toutes ces réflexions. Ce font fes expreffions dont je me fuis fervi, & je crois devoir ajouter ce qu'il dit encore fur cette matiere, parce qu'il eft fort propre à l'éclaircir. Il feroit à propos, dit Platon, que dans un Etat bien réglé, ceux qui en auroient la conduite fuffent âgés, & en même-temps très-vertueux, afin qu'ils connuffent par eux-mêmes le bien, & qu'ils ne fuffent inftruits du mal que par une longue expérience qui les auroit forcés à le remarquer dans les autres. En cela, ajoute-t-il, ils feroient abfolument différens des médecins, qu'il faudroit choifir jeunes & d'une foible complexion, afin que, par leur propre expérience & une longue étude des maladies, ils devinffent plus habiles, & fuffent plus appliqués à chercher des remedes.

La fageffe de ce grand philofophe doit couvrir de honte ceux qui fe croient habiles, parce qu'ils font corrompus, & qu'ils jugent de la probité des autres par la dépravation de leur propre cœur. Un Homme d'Etat infecté de cette malheureufe difpofition, très-ordinaire dans la cour des Grands, ignoreroit toute fa vie ce que font les hommes, & il ne jugeTome XIII.

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roit bien tout au plus que de ceux qui lui reffembleroient. J'infifte beau coup fur ce point, non-feulement parce qu'il eft capital, mais auffi parce qu'il feroit aifé fans cette précaution, de confondre un grand vice avec une grande vertu, & de porter un Prince à la malignité en l'exhortant à bien examiner les hommes, & à bien approfondir leur mérite.

Il y a dans plufieurs une forte de défiance, différente de celle qui a des racines dans la corruption du cœur, parce qu'elle ne vient que de l'irréfolution & des ténébres de l'efprit. Ils favent en général qu'ils peuvent être trompés; que les dehors les plus fpécieux ne les doivent pas raffurer, que ceux dont ils pourroient prendre confeil ne font pas incapables de les jetter dans l'erreur, ou à deffein, ou par ignorance. Ils demeurent ainfi flottans, & défireroient d'y demeurer toujours, s'il étoit poffible mais la néceffité des affaires les contraignant à fe déterminer, ils choififfent, par une espece de fort, ce qui s'offre à eux fans le connoître, auffi préparés à condamner leur choix qu'à le foutenir, & ne fachant fi c'eft fur un homme de mérite, ou fur un indigne qu'il est

tombé.

De tels Princes font fouvent injure à la vertu, en la rejettant, & honneur au vice, en le mettant en place; & ils les confondent toujours par une défiance égale, & par l'impuiffance de les démêler. Il ne faut attendre de leur conduite ni fermeté, ni lumiere. Leur efprit demeurera ouvert à tous les foupçons, & à toutes les calomnies. On leur rendra trèsfacilement le mérite fufpect : & comme la vertu eft fimple, & le vice plein d'artifices, quelque homme ambitieux & adroit fe faifira d'un Prince foible & timide, & prendra hardiment fur lui toutes les décisions dont il verra fon maître importuné.

Un troisieme obftacle, auffi oppofé à la Connoiffance des hommes que ceux que je viens de marquer, eft la perfuafion que tous les hommes font à-peu-près femblables, & qu'il importe peu par conféquent d'examiner ce qu'ils font & quelle différence leurs qualités perfonnelles peuvent mettre entr'eux, parce que cette différence eft peu de chofe, qu'ils ont tous quelque bien & quelque mal dans une proportion affez égale: que les talens & les défauts font mêlés dans tous, & qu'on a droit d'efpérer qu'ils réuffiront également dans tous les emplois comme on a fujet de craindre de tous qu'ils s'en acquittent mal.

Par une fuite de cette difpofition, l'on eftime & l'on méprife également tous les hommes; & l'on ne voit jamais de grandes raifons, ni pour les placer, ni pour les révoquer, parce qu'on ne fe fie pas véritablement à eux, & qu'on fe défie également des fucceffeurs qu'on leur

donneroit.

C'est par cet injufte préjugé que la plupart des Princes se croient difpenfés d'étudier les hommes avec foin, & qu'ils fe tiennent en repos fur le choix qu'ils font des uns plutôt que des autres, perfuadés dans le fond,

qu'après beaucoup de recherches, ils ne feroient pas mieux fervis, & qu'ils fe donneroient une peine inutile.

Mais quiconque fait la diftance prefqu'infinie qu'il y a fouvent entre un homme & un homme pour l'églife, pour la juftice, pour la guerre, pour les finances; entre un homme digne de la confiance du Prince, & un homme qui en abufe; entre un homme zélé pour le bien public, & un homme qui en eft ennemi: quiconque connoît ces différences peut juger de l'aveuglement d'un Souverain qui ne les connoit pas, & des fuites affreufes d'un tel aveuglement.

On eft conduit à cette malheureuse difpofition par la pareffe, qui eft un quatrieme obftacle à la Connoiffance des hommes. Un Prince veut régner & être en repos. Il veut être le maître, & ne fe donner aucun foin. Dès-lors il eft de fon intérêt de fe faire des maximes qui s'accordent avec l'amour de fa tranquillité; & il n'y en a aucune fi commode pour fon repos, que l'égalité du mérite & de l'imperfection des hommes. On peut fermer les yeux & les placer fans crainte, puifqu'ils ont tous les mêmes talens on peut encore fermer les yeux & les deftituer, parce qu'ils ont tous les mêmes défauts. La volonté du Prince, où tout eft égal, eft la feule chofe qui foit décifive aller par-delà, c'eft une vaine fubtilité & une inquiétude inutile.

L'expérience qui paroît juftifier cette fauffe maxime eft un cinquieme obftacle. J'ai cru au commencement de mon regne, dit un Prince, qu'il falloit difcerner les hommes & les bien connoître mais l'ufage m'a détrompé. Je n'ai connu perfonne qui valût beaucoup plus qu'un autre. Le temps a découvert dans tous des défauts cachés. J'ai appris de tous les mêmes chofes, & reçu les mêmes plaintes, & fouvent ceux que j'ai choifis prefqu'au hafard, ont mieux réuffi que les autres. C'eft donc un travail très-infructueux que celui de vouloir tout approfondir. C'est l'erreur & la chimere des commençans: l'ufage les en défabusera.

Cela eft vrai jufqu'à un certain point & le fera toujours, quand on ne cherchera le vrai mérite qu'à la cour, & qu'on fe contentera d'examiner les hommes fur le rapport de fes Miniftres, & fes Miniftres fur l'idée qu'on s'eft fait dès l'enfance de ce qui eft néceffaire aux places qu'ils occupent; mais quand le Prince aura de juftes idées de tout, qu'il cherchera parmi les hommes tout ce qui en approche le plus; qu'il employera à cela un foin perfévérant, comme on le dira dans la fuite; il découvrira bientôt, qu'une expérience défectueufe n'étoit pas une regle, & qu'il y avoit dans fon Royaume plus de véritable mérite qu'il ne penfoit.

Pour cela il faut avoir de l'élévation & de la grandeur dans l'efprit & les fentimens car, où chercher ce qu'on ne connoît point? Et comment le difcerner quand on le trouvera, fi l'on n'en a aucune idée? C'eft donc un efprit borné & médiocre qui borne la Connoiffance des hommes & qui mer un obftacle invincible au difcernement qu'un Prince en doit faire.

Tout eft court & limité pour celui qui l'eft. Il ne croit pas réel ce qu'il ne voit pas. Il trouve tout égal, parce que fes yeux ne font pas affez clairvoyans pour obferver des différences qui leur échappent, & excepté le cercle étroit de ce qui l'environne, tout le refte eft confus pour lui, & fe perd dans l'obscurité.

L'indifférence pour le bien public, eft un obftacle encore plus dangereux qu'un efprit médiocre & borné. Avec le plus excellent génie, on peut ignorer les hommes & leur mérite, parce qu'on examine peu ce qui touche peu. C'est l'amour de la République qui rend attentifs à tour, ceux qui font capables de la fervir ou de lui nuire; c'est son intérêt qui agite le Prince, & qui le met en inquiétude; c'eft pour elle qu'il défire de trouver du fecours dans ceux qui partagent fes foins. Autrement il s'endort, ne fait aucun ufage de fes lumieres, & compte pour perdu tout ce qui ne fe termine pas à lui-même.

Enfin c'eft la baffeffe du cœur qui met un dernier obftacle à la connoiffance des hommes. On fe foucie peu qu'ils aient ce qu'on n'a pas : on le craindroit même s'ils l'avoient; & l'on feroit plus capable de jaloufie, fi l'on étoit forcé de le voir, que de défir de le trouver. Ainfi l'on eft bien-aife de ne point tant examiner & de laiffer tous les hommes dans une espece d'oubli, qui enfeveliffe les grandes qualités de quelquesuns, & qui cache la différence qu'elles mettroient entr'eux, & le Prince qui ne les a pas.

CELA

Rien n'eft plus difficile que de bien connoître les Hommes.

ELA feroit vrai, quand il ne s'agiroit que d'une connoiffance qui fe termineroit à l'efprit, & dont on ne feroit point obligé de faire ufage : car dans les ouvrages de Dieu, il n'y a rien de plus grand que l'homme, qui contienne plus de merveilles, & qui cache par conféquent plus d'obfcurités. Mais ce n'eft point à une connoiffance ftérile de l'homme que le Prince doit fe borner. Il eft obligé d'entrer dans le détail, & d'appliquer ce qu'il fait. C'eft pour la République, & non pour fa fatisfaction, qu'il étudie ce nombre infini d'hommes qui lui font confiés, & qu'il doit conduire les uns par les autres. C'eft pour leur bien qu'il tâche d'entrer dans leurs plus fecretes inclinations, & de découvrir les plus fecrets refforts qui les font agir, afin de marquer à chaque perfonne fa place; de donner de l'autorité à proportion du mérite; de faire concourir le bien particulier au bien public; & de conduire l'État par un mouvement fi réglé, que tout fe lie & s'entretienne, & que la force des uns ne foit employée que pour l'utilité des autres.

Voilà le but du Prince, & fans cela il vaudroit mieux qu'il dormît toute fa vie, comme dit St. Auguftin, que de s'agiter beaucoup pour ne rien faire, & qu'au-lieu de charger fes Miniftres d'une infinité d'affaires qui les

occupent jour & nuit, & qui retombent prefque toutes fur le Peuple, les congédiât, comme inutiles au bien public.

Mais par quels moyens un feul homme connoîtra-t-il tout ce qu'il y a de bon & de mauvais dans tous ceux qui lui font foumis? Par quelle lumiere percera-t-il ces profondes retraites du cœur où l'homme fe cache & où il eft fi différent de ce qu'il paroît être? Comment démêlera-t-il tous ces dédales & tous les contours où l'artifice s'enveloppe, & où il s'embarraffe quelquefois de telle forte, qu'il ne fe reconnoît plus & qu'il eft le premier trompé. Les efprits les plus défians & les plus foupçonneux croient ne l'être pas encore affez pour fe précautionner contre l'impofture; & quoiqu'ils aient tort, on doit convenir que l'obfcurité impénétrable des penfées & des fentimens des hommes donne occafion à leur malignité.

Ce feroit un remede, fi l'on pouvoit réduire tous les caracteres des hommes à certains genres, & en faire au Prince une peinture exacte qui lui fervit à les remarquer. Mais les caracteres font infinis & d'une telle variété, que les modeles qu'on en donneroit; n'égaleroient jamais les originaux, & ne ferviroient même qu'à tromper celui qui feroit frappé de quelques traits qui paroîtroient femblables; mais qui feroient joints à beaucoup d'autres très-différens.

Il peut arriver que l'homme de bien conferve quelque chofe qui bleffe, & qui ne donne pas de lui une idée avantageufe. Un excellent efprit n'a pas toujours l'air auffi humble & auffi modefte qu'il le faudroit. Une vertu fincere eft quelquefois plus négligée & plus fimple que celle qui n'en a que l'apparence. Au contraire, un mérite très-fuperficiel peut être relevé par des manieres très-prévenantes; & un homme ambitieux, intéreffé, entreprenant, peut cacher ce mauvais fond, fous des dehors qui feroient une partie du caractere contraire. Comment, en confultant quelques modeles dont on fe fera rempli la mémoire, découvrira-t-on le mérite fous des apparences qui le cachent, & le vice fous une parure qui l'embellit?

Les Princes ont ordinairement un goût fort exquis des manieres, & ils font par-là plus expofés que les autres à fe tromper fur le fond. Ils fentent tout; mais ils ne voient pas toujours tout. Ils font invités ou offens par des chofes qui le méritent, mais qui fouvent ne font pas ce qu'il y a de plus effentiel. Ils jugent promptement de ce qui eft vifible, & pour l'ordinaire le jugement qu'ils en portent eft fort für; mais ce qui eft vifible eft rarement décifif; & quand on a certaines qualités impofantes on eft facilement difpenfé, par eux, d'une épreuve un peu févere.

On dit en général aux Princes qu'ils doivent fe défier des perfonnes artificieuses & d'une profonde diffimulation; mais en combien de manieres peut-on diverfifier ce caractere? La naïveté & la candeur favent le couvrir dans les plus habiles. Ils mettent en apparence leur cœur fur leurs levres, pour le rendre plus inacceffible en effet, & plus ils ont d'efprit & de deffeins, plus ils réuffiffent à cacher un abime profond fous une furface

innocente.

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