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contentement des autres; qu'il aura une infinité de rivaux, dont l'ambition eft infatiable; & qu'il lui fera impoffible de pourvoir aux befoins d'un grand nombre de gens, qui fe promettent tout de fa protection. Ce font des malheurs inféparables de ces emplois publics, dans tous les pays du monde; mais il y en a beaucoup d'autres, & de plus grands, d'attachés à ces fortes de poftes, dans le Gouvernement d'Angleterre, qu'en tout autre État fouverain de l'Europe, fur-tout, parce qu'il n'y a point d'autre nation, qui foit divifée fi également en deux partis oppofés, qu'il eft impoflible de contenter en même temps. Les idées que les Anglois ont du bien public, tant par rapport à eux-mêmes, que par rapport aux étrangers, font d'une nature fi différente, que des mefures, qui paroiffent excellentes à la moitié du Royaume, font ordinairement décriées par l'autre moitié. D'ailleurs, dans le Gouvernement Anglois, il faut indifpenfablement, qu'il fe faffe des actes, qui favorisent un parti, & qui en même temps défobligent leurs antagonistes. De forte que l'adminiftration la plus parfaite, conduite par la probité la plus irréprochable, & par la fageffe la plus confommée, ne peut manquer de produire des oppofitions, des inimitiés & des calomnies de la part d'une multitude de gens qu'elle rend

heureux.

Outre cela, on a de tout temps obfervé, qu'il n'y avoit prefque perfonne chez les Anglois, qui ne fe mêlât de raifonner fur les affaires d'État; & que chacun avoit fon fyftême particulier, qu'il envoyoit préférablement à tout autre, foit que cela vienne de cet efprit de liberté, qui regne parmi eux, ou du grand nombre de perfonnes de Conditions différentes, qui ont de temps en temps quelque part au Gouvernement, & qui par-là font inftruites des affaires de la nation, c'est ce que je n'entreprendrai pas de déterminer. Quoiqu'il en foit, il eft certain, qu'un Miniftre d'État dans la Grande-Bretagne, ne doit pas douter qu'il ne trouve un grand nombre de Cenfeurs, même parmi ceux de fon parti, & il doit être fatisfait, fi en laiffant penser à chaque particulier, que fon plan eft le plus jufte, il peut leur perfuader qu'après le leur, celui du Gouvernement eft le plus

raifonnable.

Ajoutons à ces confidérations qu'en Angleterre il y a une espece de gens d'honneur & bien intentionnés, qu'on ne trouve pas dans les autres pays, & qui fuppofent qu'ils ne courent aucun rifque de fe tromper, tant qu'ils combattent les Miniftres d'État. Ils commencent à regarder de mauvais il ceux qu'on éleve aux places confidérables, quoiqu'ils en ayent admiré l'intégrité, pendant tout le cours de leur vie; quoique ces Miniftres ne démentent en rien leur premier caractere & qu'il n'y ait chez eux, d'autre changement réel, que celui, qu'y apportent les charges dont ils font revêtus. Il y a beaucoup de ces Meffieurs, qui fe font mis dans la tête, qu'il y a une espece d'efclavage à approuver les mesures des grands hommes, & que le bonheur de la nation eft incompatible avec les in

clinations

clinations de la Cour. Ces préjugés ont tant de force fur leur efprit, qu'ils font capables de leur perfuader, qu'on ceffe d'être honnête homme, dès le moment qu'on fe voit en état de pouvoir être plus utile au public. Leurs préventions ne leur permettent pas de confidérer qu'il eft auffi honorable de feconder les efforts d'un bon Miniftre, que de traverfer les deffeins de celui d'un caractere oppofé.

Nous pouvons obferver enfuite qu'il y a parmi eux, plus de gens, qui follicitent les places, & qui font plus capables de les remplir, que dans aucun autre pays. Ajoutons à cela, que, par la nature de la conftitution, il n'y a point de Royaume, où il y ait plus de particuliers en état de rendre le Gouvernement malheureux, que dans celui-ci, lors qu'ils croient avoir lieu de s'en plaindre. C'eft pour cette raison, qu'un Miniftre d'État en Angleterre, doit être affuré, que ceux qui lui marquoient le plus d'attachement, l'abandonneront à la premiere occafion qu'il ne pourra leur accorder ce qu'ils attendoient de lui; puifque, pour me fervir de l'expreffion d'un politique de ces derniers temps, homme des plus entendus à former un parti, il n'y a pas à paître pour tous.

Enfin la Condition d'un Miniftre d'État, en Angleterre, eft expofée à tant de difficultés & de chagrins, que nous voyons, que depuis la conquête fous prefque tous les regnes, les premiers Miniftres ont été des gens de fortune, ou qui de fimples gentils-hommes fe font élevés aux plus hauts poftes du Gouvernement. Il y en a eu plufieurs, dont l'extraction n'étoit pas fort diftinguée & qui n'ont pas laiffé derriere eux une famille fort confidérable. Ils font de cette claffe de perfonnes illuftres dont parle Bacon & qui, femblables à des cometes, attirent l'attention de tout leur fiecle fans que qui que ce foit puiffe favoir, d'où ils font fortis & ce qu'ils font devenus. Ceux qui avoient des titres & des biens héréditaires n'ont pas marqué trop d'empreffement, pour s'engager dans les peines & les inquiétudes, attachées au miniftere; ils ont dédaigné de courir les rifques d'une Condition épineuse. Plufieurs même de ceux qui n'ont hérité, ni grandeur, ni fortune, & qui avoient des qualités & des occafions propres à les élever à ces poftes d'honneur & de confiance, ont perdu l'envie de les rechercher, à la vue des difficultés & des chagrins, qui en font inféparables. Ils ont préféré la liberté au pouvoir & à l'éclat ; & pour parler leur langage, ils ont cru qu'il valoit mieux être dans un carroffe , que d'avoir le foin de le mener. En général, la Condition de Miniftre d'État eft fujette à bien des difficultés & des peines; mais en Angleterre, fur-tout, elle eft expofée à mille chagrins & mille hafards particuliers à cette nation. Aujourd'hui principalement, c'eft un pofte environné de précipices, parce que la nation se trouve dans un moment de crife, dans un état de divifion & de mécontentement, où l'a jettée une guerre auffi opiniâtre que malheureuse, dont elle rejette toute la faute fur fes Miniftres.

Tome XIII.

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L'hiftoire d'Angleterre nous apprend que le premier Monarque de chaque nouvelle branche a toujours été celui, qui a rencontré les plus grandes oppofitions; & que ce n'a été que par degrés, qu'il a pu venir à bout de faire rentrer fon peuple dans le devoir, & de gagner l'affection de fes fujets. Dans une pareille conjoncture le Gouvernement eft fujet à bien des convulfions, avant que d'être bien affermi. Les profondes racines, qu'ont jettées les préjugés dans l'efprit des peuples, & l'artifice des ennemis domeftiques ont forcé leurs conducteurs à employer, pour les réduire à l'obéiffance, des moyens, dont le fuccès après tout, eft peut-être dû plutôt au temps, qu'à la politique. Dans des cas, où l'État eft agité de troubles d'une nature extraordinaire, la conduite du Gouvernement doit auffi fortir de fes bornes accoutumées. Le remede doit être felon le mal; & je ne vois point de conjonctures plus épineuses, pour un Miniftre d'État, que celles où il eft obligé d'avoir recours à des moyens extraordinaires, fans qu'il puiffe en employer d'autres, que ceux que lui prefcrivent les loix établies par la conftitution. Il eft quelquefois abfolument néceffaire dans ces occafions de prendre des mefures, & de faire voir une févérité qu'on n'approuveroit pas, dans un temps de tranquillité & de paix.

On a fouvent remarqué, qu'en Angleterre les Miniftres n'étoient jamais plus à leur aife, que, quand elle avoit la guerre avec quelque autre Puiffance, parce que cette guerre faifoit diverfion aux haines & aux animofités particulieres de la nation, & qu'elle lui faifoit tourner tous fes efforts contre l'ennemi commun. Mais il n'en eft pas ainfi d'une guerre nationale, où quelle qu'en foit l'iffue, les Miniftres doivent s'attendre à être les premieres victimes que le parti vainqueur sacrifiera à son reffentiment.

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CONDUITE, f. f.

De la Conduite Politique des Souverains.

N entend ici par le mot de Conduite politique, l'attention conftante que doit avoir un Souverain de régler toutes fes actions, foit dans fa vie privée, foit dans la direction des affaires publiques, de maniere qu'elles tournent au maintien & à l'accroiffement de fa propre grandeur, ainfi qu'à Pavantage de fes fujets. Or, comme la Souveraineté dans un Etat réfide tantôt dans le Monarque ou Prince feul, tantôt dans un Sénat composé de plufieurs membres de la République, & tantôt dans l'affemblée de tous les citoyens, il s'enfuit que cette conduite doit varier dans le Gouvernement monarchique, ariftocratique & démocratique.

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§. I.

ANS le Gouvernement monarchique même, il y a plufieurs diftinc tions à faire pour la conduite politique, qui doit fe régler fur le degré de puiffance que poffede chaque Souverain; & quoique le plus petit Prince indépendant jouiffe des mêmes droits que le plus grand Monarque, il n'a pas les mêmes moyens de les faire valoir, & doit par conféquent fe gouverner fur des maximes fort différentes. Il eft cependant plufieurs points à l'égard defquels tous les Souverains ont les mêmes principes à fuivre, & que nous commencerons à rapporter avant que de développer les objets pour lesquels leur conduite doit être diffemblable.

Rien ne fait plus d'impreffion fur les hommes que l'exemple, & furtout l'exemple de leur maître. Regis ad exemplum totus componitur orbis. C'eft un proverbe qui fe trouve dans la bouche de tout le monde. Un Souverain doit donc pratiquer lui-même les vertus qu'il demande de fes fujets. C'est une légiflation douce; il parvient par ce moyen au but qu'il défire fans violence, fans menaces, & fans châtimens. Il doit donc respecter la religion, les mœurs & les bienféances. On ne prétend pas par cette regle gêner la façon de penfer philofophique d'un Prince, ni l'obliger à vivre dans une auftérité d'Anachorete; fa condition feroit pire que celle du dernier de fes fujets. Mais il doit maintenir & protéger les religions pofitives qui dominent dans fon pays, ou qu'il y tolere, & témoigner des égards raifonnables à leurs Miniftres. Ses mœurs doivent être irréprochables; c'eft une obligation pour tout homme de bien, à plus forte raison pour un Souverain, qui eft en place pour fervir de modele. Mais quand même, par la foibleffe attachée à la nature humaine, fes paffions l'entraîneroient à quelques écarts, il doit toujours fauver les apparences, n'en point faire rade, & garder un dehors décent. A Dieu ne plaife que d'un Prince on veuille faire un hypocrite, & lui donner ce vice de plus! Non; s'il eft na-` turellement vertueux, tant mieux ; mais s'il ne l'eft pas, nous exigeons qu'au moins il ne bleffe pas les yeux du peuple en violant toutes les bienséances.

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La plus belle vertu des Rois eft l'humanité. Nous comprenons fous ce mot la bonté, la douceur, la clémence, & la tendreffe qu'un. Monarque doit avoir pour tous les hommes, pour fes fujets, pour fes ferviteurs, pour ceux qui ont l'honneur de l'approcher, & principalement pour fes parens. La rudeffe, la brutalité, l'infenfibilité font les marques les plus infaillibles du manque d'un vrai courage dans tous les hommes, & fur-tout dans un Souverain qui, étant couvert du bouclier de fa puiffance, peut outrager Jes foibles particuliers fans craindre leur reffentiment. Si les Princes daignoient confidérer qu'un feul acte de cruauté a terni pour jamais l'éclat de toutes les victoires d'Alexandre, ils ne fe laifferoient point entraîner par les premiers mouvemens de leur colere; ils feroient, comme la divinité, dont ils

doivent être l'image, lents à châtier, & prompts à pardonner. Un Monarque doit être bon maître, bon pere, bon fils, bon parent; & tout cela ne lui eft pas difficile s'il a l'efprit jufte & le cœur bien fait.

Le Souverain a encore deux écueils à éviter, c'est la prodigalité & l'avarice. Un Prince qui donne toujours, fe met hors d'état de pouvoir jamais donner à propos. Il doit être ferme contre les demandes indifcretes, & trop fouvent réitérées, de fes courtifans. Les dons exorbitans qu'il leur fait, font toujours pris dans la bourfe des fujets. On a déjà parlé ailleurs de la dépense qu'un Souverain fait pour fon entretien & celui de fa Cour. S'il tire des pays étrangers les matériaux pour un fafte oriental, pour un luxe outré, fa Conduite eft pitoyable; s'il vit avec fplendeur, avec une dignité convenable à fon rang, s'il prend les befoins pour la magnificence dans fes Etats, il agit en bon politique. Mais, d'un autre côté, l'avarice eft de toutes les paffions celle qui dégrade le plus le caractere d'un Monarque. Son effet étant de laiffer le mérite & les fervices fans récompenfe, elle étouffe toute émulation à bien faire en quelque genre que ce foit. D'un autre côté, le défir d'accumuler fans ceffe porte un Prince avare à une épargne qui arrête la circulation des efpeces, & ne fait pas retomber dans la maffe générale tout l'argent qui y devroit rentrer. Double inconvénient, qui fait un très-grand tort à l'Etat en fatisfaisant une petite & vilaine paffion du

Souverain.

On s'eft récrié fi fouvent, fi fortement, & avec tant de raison, contre les flatteurs, qui corrompent le cœur des Princes en excufant leurs défauts, & en donnant à leurs vices un faux coloris de vertus, que nous ne répéterons pas ici tout ce qui a été dit par d'autres fur cette matiere. Remarquons fimplement que ce font les plus cruels ennemis qu'un Souverain ait à combattre, & qu'ils deviennent toujours plus dangereux à mesure qu'ils font aimables & fpirituels. La flatterie groffiere ne féduit que les ftupides, & les grands coups d'encenfoir affomment; au-lieu qu'un encens fin empoifonne fubtilement les plus beaux génies. Mais il faut diftinguer de la baffe adulation une jufte louange à laquelle tout homme de mérite, & furtout un grand Prince, doit être fenfible. Celle-ci eft à la fois une récompenfe & un encouragement pour la vertu & les belles actions. Le Duc d'Olivares, Favori, & Miniftre de Philippe IV, Roi d'Espagne, lui fit prendre le nom de Grand à son avénement à la Couronne, pour l'exciter à mériter ce titre; & nous avons un grand nombre d'exemples où le Duc de Montauzier, auquel Louis XIV avoit confié l'éducation du grand Dauphin, a donné à fon Eleve des louanges auffi belles, auffi mâles, que l'étoient les actions par lefquelles ce Prince les méritoit. Ce Gouverneur, le plus auftere qui fut jamais, étoit fort éloigné de jouer le rôle d'un flatteur; mais fa fageffe lui fit juger que des applaudiffemens légitimes étoient autant d'aiguillons pour faire avancer cet illuftre Eleve dans la carrierę de la gloire.

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