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duifoit le monde entier en efclavage, que pour obtenir plus de gloire qu'aucun homme de fon fiecle. La guerre qu'il avoit réfolu de déclarer aux Parthes, n'avoit d'autre but que de fatisfaire fon efprit inquiet & turbulent, & d'occuper les Romains pour les empêcher de veiller de trop près fur fes actions. Tout cela étoit un fecret qu'il n'étoit pas poffible de leur révéler; mais il étoit effentiel de les amufer & de les exciter par les grands termes d'honneur & d'avantages. Mais la vérité eft que les Romains n'euffent retiré de cette expédition, ni profit, ni gloire. Ĉar dans la fuppofition où ils euffent conquis tout le Royaume des Parthes, ce qui n'est pas vraisemblable, Rome n'en eut pas été plus heureuse. Elle n'eut fait que facrifier des milliers de fes citoyens à l'orgueil de Céfar.

Olivier Cromwell cherchoit le Seigneur en toute occafion, & tout ce qu'il faifoit étoit regardé comme l'opération de Dieu même. Parce que plufieurs bigots le prêchoient, la multitude y ajouta foi. Cependant, quoique cette politique ne fût qu'une impudence affreufe & capable de révolter tout homme fage, elle ne laiffa pas de lui former un parti. En général les partis agiffent implicitement. Un langage mystique paffe chez eux pour raifon, & ils trouvent beaucoup de conviction dans des paroles emphatiques. Les Partisans de Céfar tâcherent de lui mettre la Couronne fur la tête, en répandant parmi le peuple cette ancienne & ridicule prophétie, de laquelle on n'avoit jamais entendu parler jufqu'alors; favoir, qu'il n'y avoit qu'un Roi qui pût conquérir l'Empire des Parthes. Certainement il ne leur eut pas été poffible de faire choix d'un meilleur argument. Ils perfuaderent la multitude, & chacun s'empreffa à y faire une réponse qui marquoit bien la décadence de la République.

Si Cromwell eût été déclaré Roi, je ne doute pas que fes Prédicateurs n'euffent trouvé quelque révélation pour autorifer cet acte; & il eft vraifemblable que le difcours de la cérémonie du couronnement eût été farci de textes qui lui euffent donné le diademe. Ce n'eût point été, ni la premiere, ni la derniere fois, qu'on eut fait de la Bible, un grand Courtisan, & qu'on eut rendu le Ciel complice de la fourberie & du menfonge.

Les Princes doivent toujours dire quelque chofe pour juftifier leurs meilleures comme leurs pires actions. C'eft une confeffion de laquelle ils ne font pas auffi exempts, que certaines perfonnes le voudroient faire croire. Leur réputation eft à la merci de leur peuple; & quand une fois ils font diffamés, il leur eft bien difficile de jouir en paix, ni avec fureté de leur Couronne, Ainfi il n'y a rien de plus délicat que la réputation d'un Prince, & rien ne doit exercer davantage fes penfées & fes craintes. Il ne doit pas juger de la réputation dans le public par les difcours de ceux qui font payés pour les flatter, ou qui n'oferoient lui dire la vérité par la crainte de perdre leur falaire. Il vaudroit bien mieux pour lui qu'il n'ignorât rien de tout ce que l'on dit à fon défavantage; car tant qu'on ne ceffera de lui dire que tout va bien, il ne penfera jamais à changer de fyftême, quel

qu'abfurde qu'il foit; & ainfi il fe précipitera d'erreur en erreur, faute d'avoir été bien informé. Voilà ce qui a été caufe de la ruine de bien des Princes. Ils ne peuvent apprendre la vérité au-dehors & rarement ils l'entendent dans leur Palais. Ils fe trouvent donc à l'extrémité de leur terme, dans le moment qu'ils fe croyoient le plus en fureté. Si par hazard il arrive qu'on leur dife une partie de la vérité, ce n'eft jamais fans qu'on l'ait bien déguifée. Les plaintes du peuple, accablé fous l'oppreffion, leur font représentées comme les clameurs de quelques mécontens, ou comme la voix d'une faction; s'il eft vrai qu'une faction s'éleve quelquefois fans aucun fondement, mais il eft très-vrai auffi qu'une faction tire fouvent fon origine des plaintes méprisées ou punies mal à propos.

Les hommes, fur-tout les grands hommes, n'aiment point à entendre parler de leurs fautes; mais les Princes ne fauroient recevoir de meilleures leçons de Gouvernement que par les fatyres qu'on fait contre eux; cela leur vaut mieux infiniment que tous les panégyriques dont on les encenfe. Les panégyriques, en confacrant leurs mauvaises actions, les autorifent dans leurs vices; au lieu que la fatyre leur difant quelque vérité, c'est un grand bien pour eux.

II eft de l'intérêt d'un Prince de connoître ce que fes fujets pensent de lui & de fon gouvernement. Il fe le doit à lui-même & à eux. Peut-être entendra-il faire beaucoup de plaintes fur des malverfations qu'on lui attribue, & dont il ne fauroit être refponfable; mais il eft vraisemblable en même-temps, qu'il entend des plaintes qu'il dépendra de lui de faire ceffer ou d'adoucir. Qu'un Prince faffe tout pour le bien, il s'attirera beaucoup d'ennemis; mais ce ne doit pas être une raison pour lui de ne pas chercher à en diminuer le nombre, en en diminuant la cause autant qu'il eft en fon pouvoir.

Il est bien dur pour un Prince, j'en conviens, d'apprendre d'un étranger à diftinguer fon véritable caractere, il vaudroit beaucoup mieux qu'il l'apprit de lui-même, par les deffeins qu'il forme, & par les effets qu'ils doivent produire fur l'efprit & la fortune de fes fujets. Ses amis exalteront ou pallieront fes plus grandes fautes, & fes ennemis lui feront un crime de fes plus belles vertus. S'il fe montre trop attaché à une fuperftition dominante, les fages le mépriferont; & s'il a du mépris pour cette fuperftition, les bigots qui forment toujours le plus grand nombre, le couvriront de blâme. Quelque foin qu'il prenne pour bien adminiftrer & gouverner fon Royaume, ils trouveront toujours à redire à fa conduite, à moins qu'il n'affaisonne fon administration du fang des infideles & des hérétiques; & qu'il n'exclue de tout emploi & de fes bonnes graces une grande partie de fes fujets; & s'il le fait, il s'attire à jufte titre leur indignation & le mépris de ces derniers. Ainfi pour être faint d'un côté, il faut qu'il foit diable de l'autre; caractere fort ordinaire dans le fiecle où nous vivons. S'il n'épouse pas la rage des enthoufiaftes, il doit s'attendre à devenir la

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victime de leur fureur, & à voir traiter d'athéifme fa fageffe & fon humanité. Maffacrer ou être maffacré, eft le lot d'un Prince qui regne fur des bigots. L'inquifition eft regardée comme une boucherie eccléfiaftique, comme un tribunal affreux établi contre la vie, la confcience & les fa cultés des hommes. Cependant il n'y a pas de Roi dans les pays où elle eft établie, qui ofe tenter de la fupprimer, à moins d'être réfolu à courir les plus grands rifques.

Telle eft donc la Condition des Princes arbitraires : ils ne peuvent faire tout le bien qu'ils voudroient; & le bien qu'ils font ils n'ofent l'avouer. Souvent ils font déteftés pour leurs meilleures actions, & fouvent on les affaffine à caufe de leurs belles qualités. S'ils gouvernent par leurs foldats, ils font obligés d'opprimer leurs peuples, & s'ils favorisent leurs fujets, ils font en danger de la part de leurs foldats. Quant aux Princes limités qui ont les loix pour regles de leurs actions, qui reglent leurs actions fuivant ces loix, & qui s'étudient fans ceffe à faire le bonheur de leurs peuples, ils n'ont rien à craindre de ces malheurs, inféparables de toute Monarchie abfolue.

De la Condition d'un Miniftre d'Etat.

DANS l'article précédent nous avons confidéré les malheurs qui accom

pagnent ordinairement la Royauté; je vais maintenant faire quelques réflexions fur la Condition des Miniftres, qui n'eft certainement pas auffi heureufe qu'elle paroît l'être. Ceux qui ne les voient que dans l'éloignement ne peuvent juger de leur bonheur que par l'élévation de leur rang, les titres dont ils font décorés & quelques autres apparences faftueufes qui en impofent au vulgaire, telles que les louanges que leur prodiguent ceux qui en attendent quelque grace, la foule des courtifans qui les fuit, l'obéiffance & le refpect qu'on leur rend. Ils concluent de tout cela qu'un Miniftre doit être fort heureux. Cependant telle eft la fatalité attachée à cette pompe menfongere, qu'il n'y a pas dans le monde de gens plus malheureux, que ceux qui paroiffent abonder en félicité, parce que cette abondance de félicité, qu'ils regardent comme le comble du bien-être, confifte dans une multitude d'objets qui entraînent néceffairement après eux des foins, des peines, des inquiétudes, des chagrins, en un mot des maux de toute efpece. Les richeffes & le pouvoir que l'on confi ere généralement comme les principales caufes du bonheur, ne font pas plus en état de le procurer comme de donner la fanté, la force ou la beauté. Au contraire, il est bien des circonftances où ces objets deviennent des infortunes réelles & la fource de la plus grande mifere.

Un Miniftre en pourfuivant la place qu'il ambitionne, éprouve souvent les rebuts les plus humilians, & les difgraces les plus facheufes. Les objets qui font tous les défirs, font ceux qui lui échappent pour l'ordinaire. Les hommes d'un rang inférieur, & de petits accidens qui ne feroient rien

dans

dans un état moins élevé, lui caufent fouvent beaucoup d'inquiétude & de peine; & la chance d'un jour fuffit pour anéantir les projets de plufieurs années. Ceux qui font fes égaux, feront tous leurs efforts, pour ne pas voir à leur tête un homme qu'ils regardent comme leur femblable; le moindre pas qu'il fera pour fortir de cette égalité, les rendra jaloux & envieux. Jamais ils ne fe réfoudront à voir leur égal devenir leur maître; & ceux qui font au-deffus de lui, ne voudront pas qu'un homme qu'ils dominent devienne leur femblable; ils craindront qu'il ne cherche par la fuite à devenir encore plus grand.

Telle eft communément l'origine de ces confpirations nombreuses qui se forment contre un Miniftre confpirations qui épient fes démarches retardent fon avancement traverfent fes vues, noirciffent peut-être fa réputation, lui fufcitent des affaires dangereufes, laffent fa patience & le dégoûtent d'un pofte qu'il avoit ambitionné. Souvent les gens les plus malintentionnés fembleront le favorifer pour hàter fa chûte en le portant à de fauffes opérations.

Ainfi l'élévation d'un Miniftre eft une route femée de périls apparens ou cachés. Cette grandeur à laquelle il a fi laborieufement afpiré, n'eft qu'une vaine pompe, & un vain titre, la réputation du bonheur fans le bonheur : i effuye des mortifications auxquelles il n'étoit pas fujet dans fon caractere d'homme privé, & dont il n'avoit pas même d'idée avant fon élévation. Il lui eft impoffible de rendre fervice à tous ceux qui peuvent lui faire du mal, s'il ne les oblige pas; ni d'épouvanter tous ceux qui lui cauferont du défagrément, s'il ne les retient pas dans la crainte. S'il a le malheur de penfer que fon pouvoir l'autorife à exiger des foumiffions & des refpects, il trouvera fouvent dans fon chemin des gens qui, à fon gré, auront trop peu d'égard à fa dignité; & s'il eft affez peu politique pour vouloir leur faire fentir fon pouvoir, il fe fera des ennemis dangereux, des rivaux, peut-être qui le fupplanteront, ou au moins des jaloux qui faifiront toutes les occafions de le mortifier; & elles font fans nombre dans les grandes places.

C'est pour cette raifon que la moindre difgrace dans les plus petites chofes donne fouvent beaucoup de peine & de mortifications; ce n'eft pas par la valeur de la chofe qu'on en juge, mais par la valeur qu'on y met. Les grands hommes ne font pas de conftitution à s'eftimer moins que les autres; au contraire ils fe mettent toujours au-deffus du niveau, & cela à proportion de leur grandeur. La vigne d'un particulier ne devoit pas être d'une grande importance pour un Roi; mais un Roi crut que c'étoit d'une grande importance qu'on la lui eût refufée, fur-tout après avoir témoigné qu'on lui feroit plaifir de la lui donner. Achab ne put endurer un pareil refus de la part de Naboth. Le chagrin dans le cœur il retourne dans fon Palais, fe jette fur fon lit, fe cache le vifage, & refuse absolument toute nourriture, Laud, Prélat Anglois, ayant été plaifanté par ArTome XIII.

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chy, Bouffon du Roi, à l'occafion des tentatives infructueufes que fa grandeur avoit faites contre la religion en Ecoffe, en conçut un fi vif chagrin, que fa fanté en fut altérée. Cependant Archy paffoit dans toute la Cour pour un bouffon dont les bons mots amufoient fans offenfer il avoit lâché même plufieurs railleries fanglantes contre le Roi qui ne l'en avoit pas puni. Mais tel étoit le caractere emporté & hautain de l'Archevêque, qu'il ne put jamais digérer une plaifanterie; il s'en plaignit avec une telle violence que le pauvre Archy, fut difgracié & banni de la Cour, Cet exemple nous prouve que les moindres bagatelles font capables de mortifier les hommes les plus élevés, parce qu'ils s'imaginent que leur place doit les mettre au deffus de toute plaifanterie; de toute oppofition & de toute contradiction. Obligés par leurs charges de s'embarquer dans un grand nombre d'affaires importantes; ils ont befoin de grands moyens; & faute de cela leurs deffeins avortent. Ils font portés à attribuer ce défaut de réuffite à la foibleffe de leur autorité qui fe trouve fouvent combattue ou réprimée. Il eft affez naturel qu'ils cherchent des expédiens pour l'augmenter. Si ces expédiens les trompent, comme cela arrive fouvent, alors pour y remédier ils fe plongent d'abîmes en abîmes, & ils ne font qu'accroître leurs défagrémens & leurs inquiétudes. S'ils réuffiffent, leurs fuccès leur font des ennemis, & leur attirent les reproches du peuple alarmé. Quant à leurs amis ils n'en ont de fideles, qu'autant qu'ils fe dépouillent d'une partie de leur pouvoir en leur faveur, & qu'ils ont soin de fatisfaire leurs défirs ambitieux.

Je parle ici des Miniftres que leur rang, leurs qualités perfonnelles ou les fervices de leurs peres placent dans les premieres charges de l'État; mon deffein n'eft pas de m'arrêter à ceux qui, devenus follement l'objet de l'affection du Prince, n'ont qu'une élévation précaire, parce qu'elle n'eft point fondée fur leur mérite. Le Roi Jacques fit fon premier Miniftre le jeune Villiers, homme fans nom & fans expérience, & qui ne réuniffoit en fa perfonne d'autre qualité, que celle d'une jolie phyfionomie. Mais ce jeune Miniftre éprouva bientôt qu'il étoit bien plus facile d'obtenir la premiere place du Royaume, que de s'y maintenir. Quoiqu'il fût revêtu de toute l'autorité de fon maître, & qu'il jouît en effet des prérogatives de la royauté, quoique ce Roi foible & timide n'ofât lui rien refuser, quelque abfurdes, quelque extravagantes, quelque arbitraires que fuffent fes demandes; quoique les liftes civiles & militaires ne fuffent remplies que des noms de fes parens & de fes créatures, cependant il étoit fi cruellement tourmenté par fon ambition, qu'il ne ceffoit d'importuner le Prince. Tous ceux qui réclamoient fa protection, l'obtenoient par la crainte qu'il avoit qu'un refus ne lui fit un ennemi capable de le précipiter du faîte de la grandeur où il étoit parvenu fans titre. Il ne ceffoit d'importuner le Prince. Si Charles I, qui le prit auffi pour fon Miniftre, ou plutôt pour fon maître, ne l'eût pas plus aimé qu'il n'aimoit la confti

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