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parvenir par fes feules forces. Cette témérité feroit donc auffi contraire à l'efprit philofophique qu'à l'efprit religieux: ils s'accordent l'un & l'autre à la condamner.

Cependant il n'eft que trop de gens qui regardent un philofophe, comme un homme incrédule par effence, en matiere de religion. Et fur quel fondement? Sur celui-ci; qu'un philofophe fait profeffion de n'écouter que la raison. O vous, qui accufez ainfi d'irréligion, les plus fages de vos concitoyens, vous connoiffez bien peu la voix de la raifon, fi vous vous imaginez qu'elle foit capable de les conduire à l'incrédulité. Et fi vous n'en jugez ainfi qu'en comparant votre raifon à la leur, il faut que l'une foit aufli corrompue que l'autre eft droite. Ecoutez-les s'en expliquer eux-mêmes : ils vous diront que cette même raifon qui leur apprend, & les invite à ufer de la liberté naturelle & inaliénable, de philofopher fur tout ce que le Créateur a foumis à leur intelligence, leur dit de ne point étendre leurs fpéculations à ces myfteres refpectables, qui font des fecrets cachés dans le fein de la divinité. Comment donc ofez-vous prétendre que la liberté philofophique foit incompatible avec la foumiflion religieufe? Elles émanent toutes les deux d'un même principe qui ne peut être en contradiction avec lui-même. L'Eternel a dit : Je te livre le monde, & tu difputeras; je te révele mes myfteres, & tu croiras. L'impie difpute, & ne croit pas. Le peuple croit, & ne difpute pas. Le philofophe remplit le double devoir que lui impofa l'Eternel. Le monde eft le champ de fes difputes les myfteres font pour lui un objet de foi. Je vous le demande encore, par quelle prévention injufte prétendre qu'il ne puiffe croire, avec toute la déférence requife, les myfteres révélés, & aimer à raisonner, avec toute la liberté permife, fur tout le refte? Ne croyez pas qu'accoutumé à fe donner carriere dans les matieres purement philofophiques, il ufurpera le même droit fur celles de la religion. S'il l'ofoit, leur infcrutabilité l'avertiroit de fon audace facrilege & fuffiroit pour la réprimer. Mais ne craignez rien de pareil. II écoute la raison, & la raifon ne décide rien fur ce qu'elle ne comprend Si quelque chofe eft capable d'empêcher le philofophe, de foumettre à fes fpeculations ce qu'il doit croire fans difputer, c'eft l'exercice libre & indépendant qu'il fait de la faculté de penfer fur tout ce qui n'eft pas religion car fon efprit actif comme le feu a befoin d'aliment; & plus il trouvera dans la nature de quoi s'exercer, moins il fe portera fur les matieres religieufes. Vous dites qu'il fouffre impatiemment le joug, ne lui impofez donc que celui qu'il peut & doit porter. Vous êtes de mauvaise foi pour le trouver coupable, vous confondez deux chofes qui n'ont rien de commun; lorfqu'il fe borne à parler en philofophe, vous le jugez en théologien. Le philofophe peut aufli légitimement traiter de Dieu & des principes de la morale felon les lumieres de la raifon, que le théologien felon les lumieres de la révélation; & le premier reftant toujours en deçà de celle-ci, ne peut la contredire. Il ne la contredit pas on ne peut pas

pas.

dire auffi qu'il la rejette, parce qu'il n'en parle pas. Ce n'eft pas fon devoir d'en parler. Pour qu'on ne prenne pas le change, il déclare qu'il parle comme philofophe & non comme théologien il ne fe contente pas de le déclarer une fois, il le redit souvent, il en avertit fur-tout dans les matieres délicates, où la fubtilité des nuances qui féparent le philofophique du théologique, rendent la précaution plus néceffaire. Qu'y a-t-il de plus raifonnable que de donner les fpéculations pour ce qu'elles font. Il fe le doit à lui-même pour mettre fa réputation à couvert. Il le doit aux foibles qui prennent aifément l'alarme, fe font un épouventail d'un rien, & cherchent des impies par le plaifir de déplorer leur aveuglement. Il le doit aux gens mal intentionnés, pour qui fon filence feroit une preuve tacite de l'irréligion qu'ils lui fuppofent. Il le doit enfin à la religion, qui par fa réserve, eft hors de toute atteinte.

Tel eft l'excès de la haine, que l'on porte au nom de philofophe, que l'on ose pervertir fes intentions les plus droites. Lors même qu'il fe déclare pour chrétien, que plein de refpe&t & de foumiffion pour le chriftianifme. & craignant que l'on ne dos à fes affertions plus d'étendue qu'elles n'en ont réellement & dans fon prit, il dit dans la fincérité de fon cœur qu'il va parler des loix, de l'efprit, des mœurs, de la liberté, des paffions, des vices, des vertus, dans l'ordre purement naturel, & felon les feules lumieres de la raifon, qu'il laiffe aux théologiens à en difcourir felon la loi de grace & dans les principes du chriftianifme; qu'il parlera en homme à l'homme, fans prétendre nier ce que croit le chrétien; cette dif tinction, toute pieufe & fincere qu'elle eft, eft traitée de frivole & d'illufoire par les plus modérés; mais le zele méchant s'écrie dans les transports de fa haine vous êtes un impofteur, un impie, un athée. Cette précaution eft une vieille rufe des écrivains licentieux, qui ne fe donnent jamais pour meilleurs chrétiens, que quand ils écrivent contre la religion. Ćes attentions pleines d'artifice pour diftinguer la fonction du philofophe de celle du théologien, n'ont pour but que de pouvoir attaquer le chriftianifme, en paroiffant fe renfermer dans les bornes de la pure philofophie.

Qu'auroit-on dit, fi les auteurs, moins attentifs, n'avoient pas témoigné fi formellement leur eftime & leur déférence pour la doctrine évangelique, comme ils pouvoient après tout s'en difpenfer; un traité philofophique n'étant pas une profeffion de foi? On les auroit accufés de fe déchaîner à forces ouvertes contre le Chrift & fa Sainte Religion, bien qu'ils n'euffent touché directement ni indirectement à tout ce qu'enseigne l'Evangile, ne raifonnant jamais que fur des principes qui n'élevent point l'efprit jufques-là. Les voilà donc obligés de déclarer leur chriftianifme. Ils le font dans les termes les moins équivoques, non-feulement au commencement d'un livre; ils le répetent encore de temps en temps, pour rappeller le lecteur à l'hypothefe où ils fe font mis, de peur qu'il n'en forte. Vaine précaution, que l'on taxe de langage infidieux, de haine cachée du chriftia

nifme,

nifme, de deffein fourd & pallié, d'éteindre dans tous les efprits, la lumiere divine dont Jefus-Chrift eft l'auteur! O fombres dévots, quelle injuftice eft la vôtre ! Si l'on ne fait pas une profeflion ouverte de fa foi, l'on eft impie fi on la fait, on l'eft encore.

Le Roi d'Espagne inftruit des abus qui s'étoient gliffés dans l'instruction des procès pour la profcription des livres, adreffa, il y a quelques années, à l'Inquifiteur-Général de fon Royaume, une déclaration dont voici la teneur. ».... A l'égard de tout bref du Pape qui regardera la défenfe des li>vres, on observera les regles prefcrites par l'Auto acordado 14. tit. 7. » liv. I; l'Inquifiteur-Général devant faire examiner de nouveau le livre » profcrit, &, fi l'ouvrage le mérite, le défendre de fa propre autorité, » fans inférer le bref du Pape. D'ailleurs l'Inquifiteur-Général ne publiera » aucun décret, index général ou expurgatoire, qu'il ne m'en ait rendu » compte par l'entremife de mon Secrétaire de grace & de juftice, & » du Secrétaire d'État qui fera près de ma perfonne, & qu'il ne foit in» formé que je confens à la publication. Enfin lui & le tribunal de l'inquifition, avant que de condamner quelque livre ou écrit, feront obli»gés d'entendre les défenfes que les parties intéreffées voudront produire, » & de les citer à cet effet, &c. «

Si, comme cette déclaration l'infinue, une bulle ou un bref du faint Siege qui profcrit un livre, n'eft pas une marque abfolument fûre, que Pouvrage mérite de l'être, un arrêt peut bien tomber auffi dans le même inconvénient; & s'il eft permis aux parties intéreffées d'en appeller du jugement de Rome, ils peuvent bien en appeller pareillement d'un autre, fur-tout lorfque la confcience leur dit intérieurement qu'ils n'ont jamais eu en vue rien de ce dont on les accufe, & qu'aucune de leurs propofitions n'avoit dans leur efprit, le fens qu'on lui a prêté.

Ce qu'il me paroît y avoir de plus étrange dans tout ceci, c'est que dans une matiere la plus fufceptible d'excufe, on condamne en France & ailleurs un homme fans l'écouter, tandis que dans toute autre circonftance, on permet à un accufé de fe défendre. Perfonne ne fait mieux ce qu'un écrivain a voulu dire que lui-même, ou plutôt perfonne ne fait au jufte ce qu'il a voulu dire que lui-même, au moins fur les fujets un peu délicats. Il eft donc le feul en état de bien inftruire fon procès. Il y a une injuftice manifefte à le condamner à fon infu, fans lui laiffer la liberté de fe défendre. J'ofe dire qu'on n'alléguera jamais de raison qui justifie une femblable jurifprudence.

Le Roi d'Espagne n'a fait que renouveller un réglement plus ancien, mais que la précipitation du tribunal de l'inquifition avoit rendu fans effet, fous des prétextes auffi frivoles que ceux dont on voudroit fe fervir ailleurs, pour empêcher un auteur de fe défendre, & qui n'ont pas été jugées valables par le miniftere Espagnol, & le font peut-être encore moins

en France.

Tome XIII.

Iii

Que rifqueroit le Confeil de rendre une déclaration telle que celle qu'on vient de lire, au moins en ce que la cour, avant que de condamner quelque livre ou écrit, feroit tenue d'entendre les défenfes que les parties intéreffées voudroient produire, ce qui s'obferveroit de même dans tout tribunal eccléfiaftique, quel qu'il fût.

Un livre eft fouvent anonyme il feroit donc préalablement défendu d'imprimer fans nom d'auteur ou d'imprimeur; parce que fi l'auteur vouloit garder l'incognito, l'imprimeur feroit obligé de répondre pour lui, au cas qu'il fût cité.

Si, les parties intéreffées produifant leur défense, ladite défense étoit trouvée bonne, & capable non-feulement de difculper l'auteur, mais encore très-propre à empêcher le mal que l'on craignoit que le livre ne produisit, ce qui arriveroit très-fouvent, il lui feroit enjoint de la publier, & expreffe défense faite à quiconque de vendre l'ouvrage, fans la défense qui lui ferviroit d'éclairciffement & de correctif par-tout où befoin seroit. Que fi la défense n'étoit pas jugée fuffifante, l'auteur n'ayant rien de mieux à dire, le livre ou écrit feroit condamné. Certainement un arrêt prononcé après ces formalités feroit tout autre qu'il n'eft aujourd'hui fans elles. Il y a bien des gens qui n'ont point de foi aux arrêts de profcription de livres. Sûrs que quelques arrêts en ce genre ne font point de la cour, mais qu'ils viennent d'une main obfcure, ils ne font pas auffi certains que les autres en foient de plus il eft difficile que la cour ne se trompe lorsqu'elle prononce fur l'accufation, fans ouir l'accufé. Il y a toujours du plus ou du moins. C'eft encore bien peu, fi les qualifications ne different que du plus au moins. Un arrêt, tel qu'il fe dreffe aujourd'hui, laiffe néceffairement du doute dans les efprits, & il n'en laifferoit point, fi après avoir oui l'homme du Roi, chargé de dénoncer à la cour un ouvrage qu'il juge répréhenfible, elle écoutoit la défense des parties intéreffées. Un jugement prononcé avec ces précautions fortiroit pleinement fon effet. Plus on approfondira ces idées, plus elles deviendront raisonnables.

Suppofons que l'auteur cité ne comparoiffe pas, alors il fera juftement foupçonné, & fon filence faifant preuve contre lui, il ne pourra pas fe plaindre d'avoir été condamné fans être oui, puifqu'il a été convié, même affigné à fe défendre. Alors plus de murmures légitimes contre l'arrêt, plus de doutes fur la légitimité de la Condamnation.

Un réglement tel que celui que je propofe eft devenu aujourd'hui d'une néceffité indifpenfable; premiérement pour rendre justice aux auteurs à qui on la doit comme aux autres citoyens; fecondement pour défabuser certains efprits qui fe font accoutumés à regarder la profcription d'un livre, comme une cérémonie de pure bienféance, ayant vu des juges préconifer dans le particulier des livres qu'ils avoient profcrits fur les fleurs de lys.

CONDITION, f. f.

Difference des Conditions.

Il n'appartient pas à la politique d'examiner fi la différence des Condi

tions ou de l'état des hommes eft fondée dans le droit rigide de la nature. Il fuffit que cette différence des Conditions foit établie, & qu'elle foit utile, pour ne pas dire néceffaire, au fyftême de la fociété. L'égalité parfaite des hommes feroit auffi nuifible, qu'elle eft impoffible dans la pratique. Un enfant naît avec tant d'imperfections dans le raifonnement, dans la volonté, & dans les facultés corporelles, qu'il faut bien que le pere prenne foin de diriger fes actions, & de pourvoir à fa fubfiftance. Delà réfulte l'autorité des parens, & la fubordination des enfans, & voilà un état abfolument fondé fur la nature. L'établiffement des fociétés, fuppose la fouveraineté & les sujets; voilà un fecond état néceffaire. Un homme a besoin d'être fervi, un autre homme qui peut fervir, & qui a befoin de nourriture, s'offre à le fervir, à condition qu'il lui fourniffe l'entretien; voilà un troifieme état; voilà l'origine des Conditions qui fe développe d'elle-même fans beaucoup de fpéculation. Les paffions, compagnes inféparables de l'humanité, l'avarice, l'ambition, la vanité ont fait le refte, & ont introduit fucceffivement la diftinction que nous voyons établie aujourd'hui parmi les hommes, & qui peut aifément changer, quelque jour, d'une maniere ou d'autre.

On peut diftinguer dans la fociété quatre fortes de Conditions ou d'états, qui méritent d'être confidérés de plus près. La premiere eft l'état que donne la naiffance. Sous cet afpect l'Europe eft divifée en trois claffes d'habitans, en gentilshommes, en bourgeois, & en payfans. Tous ces états font également néceffaires au fyftême de la fociété; & comme le législateur, le Souverain, ne regarde qu'à l'utilité générale, il doit leur accorder, dans le fond, le même degré d'eftime, & leur adminiftrer une juftice égale, quoique les marques extérieures de confidération puiffent

varier.

De la Condition des Rois & fur-tout des Princes abfolus.

Il n'y a pas dans la vie humaine de Condition qui ne porte avec elle

L

quelque défagrément. Il feroit difficile, je crois, de connoître précisément quelle Condition rend l'homme plus heureux, ou le met dans un état de bonheur parfait. Nous portons fouvent envie aux autres dans des chofes qu'ils regardent comme un vrai malheur pour eux; & fouvent nous les plaignons pour des chofes qui font un bienfait pour eux, qui contribuent

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