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Les soldats crièrent qu'ils étaient volés; il y avait longtemps qu'ils s'en apercevaient; seulement, c'était la première fois qu'ils osaient le dire tout haut.

« Voyant qu'on ne s'inquiétait point de leurs réclamations, les soldats, dit M. de Bouillé, retenez bien ce nom que nous avons déjà écrit une ou deux fois, et qui va grandir en fatale célébrité, les soldats, dit M. de Bouillé, formèrent des comités, choisirent des députés qui réclamèrent auprès de leurs supérieurs, d'abord avec assez de modération, des retenues qui avaient été faites. Leurs réclamations étaient justes, on y fit droit. »

M. de Bouillé n'est pas partial en pareille matière, on peut donc croire M, de Bouillé. Les soldats réclamèrent donc. Du moment que les soldats réclamaient, ils accusaient. Et qui accusaient-ils? Leurs officiers.

Nancy fut le principal théâtre de cet étrange procès, où la ville était juge.

Naturellement amis du soldat, les bourgeois donnèrent raison au soldat contre l'officier, qui les vexe avec ses plumets flottants, qui les étourdit avec ses éperons, et qui se fait des maîtresses avec ses femmes et ses filles.

Les officiers trouvèrent mauvais qu'on voulût leur contester ce qu'ils regardaient comme d'impérissables priviléges.

Ils cherchèrent querelle aux bourgeois, ne négligeant aucune occasion d'insulter ou de battre.

Les soldats, à leur tour, prirent parti pour leurs amis les bourgeois.

Les officiers ne pouvaient tirer l'épée contre leurs sol

dats; mais il y avait de par la ville et dans les environs des maîtres d'armes qui pouvaient mettre les drôles à la rai

son.

A Metz, par exemple, il y en eut un qui, payé par les officiers, déguisé par eux, tantôt en bourgeois, tantôt en garde national, amassait chaque soir deux ou trois querelles, qu'il vidait le lendemain ; trois ou quatre soldats furent tués ou blessés dans ces duels inégaux. Et cependant, tout homme portant uniformé était forcé de demander satisfaction de l'insulte reçue, où il y avait, le lendemain, les railleries du corps de garde, pires que la mort.

Heureusement, les soldats reconnurent le piége; ils prirent le soldat et le forcèrent d'avouer sa mission.

Ils pouvaient le tuer à leur tour; les représailles eussent été justes. Ils se contentèrent de lui attacher les mains derrière le dos, et de le promener par la ville avec un bonnet de papier sur lequel était écrit le nom de Judas

Puis ils le conduisirent hors des portes et le lâchèrent dans les champs, en l'invitant à aller se faire pendre où bon lui semblerait.

Les officiers dénoncés émigrèrent, et s'engagèrent dans les troupes que l'Autriche dirigeait sur le Brabant.

L'empereur Léopold, sur ces entrefaites, avait demandé le passage pour une armée autrichienne qui allait soumettre les Pays-Bas.

Il y avait un antécédent : Charles-Quint n'avait-il pas demandé passage à François Ier pour le même motif, et François Ier ne lui avait-il pas accordé ce passage?

il est vrai que c'était le passage d'un homme et non celui d'une arméë.

Louis XVI ne vit point la différence ou la vit trop : il accorda le passage à l'armée autrichienne.

De là, comme on le comprend bien, grande fermentation dans tous les départements de l'Est et du Nord. Les Autrichiens, entrés à Mézières ou à Givet, en sortiraientils, une fois entrés?

N'était-ce pas le cas de dire à l'oreille du roi la fable de la Lice et sa Compagne, du bon la Fontaine?

Le roi fit le sourd. Heureusement, l'Assemblée avait l'oreille fine. Au moment où la population des Ardennes mettait trente mille hommes sur pied pour marcher contre les Autrichiens, si les Autrichiens, sous un prétexte quelconque, entraient en France, l'Assemblée nationale leur refusa le passage.

Les paysans avaient bien raison de ne s'en rapporter qu'à eux de repousser l'ennemi. L'armée, par la division qui s'était introduite entre les soldats et leurs chefs, était complétément désorganisée. Les duels continuaient ou plutôt augmentaient dans une proportion effrayante à Nancy; les soldats allaient se battre quinze cents contre quinze cents, lorsque l'éloquence fraternelle d'un soldat parvint å faire remettre tous ces sabres au fourreau. Une autre tactique, avait en outre, été employée à l'approche des Autrichiens; on croyait encore au passage de l'empereur Léopold, on donna tous les congés qui furent demandés.

Il est vrai que beaucoup de ces congés n'étaient autre qu'une cartouche jaune, c'est-à-dire une note infamante.

Sur ces entrefaites, un des trois régiments qui se trouvaient à Nancy, le régiment du Roi, les deux autres étaient Mestre-de-camp et Châteauvieux, ce dernier suisse; -sur ces entrefaites, disons-nous, le régiment du Roi demanda ses comptes à ses officiers.

Les officiers rendirent les comptes, et payèrent: chaque homme eut soixante et treize livres quatre sous.

L'eau en vint à la bouche de Châteauvieux, qui avait des -comptes très-embrouillés; le pauvre régiment suisse se crut français, et, fils d'une république, il crut qu'il pouvait prendre exemple sur les fils de la monarchie.

Il envoya deux députés pour apprendre du régiment du Roi comment ils s'y était pris pour se faire rendre ses comptes.

Les deux envoyés remplirent leur mission, reçurent les renseignements et les transmirent à leurs camarades.

Les officiers apprirent la démarche, et, en pleine parade, firent sortir des rangs les deux soldats et les firent passer par les courroies.

Les officiers français avaient été invités à la fête et battirent des mains.

Mais il n'en fut pas de même des soldats, ils comprirent qu'ils venaient de recevoir le fouet sur le dos des Suisses.

Il y avait, d'ailleurs, un vieux motif de sympathie entre ce régiment et les nôtres : c'était Châteauvieux qui tenait le Champ de Mars, lorsque, le 14 juillet de l'année précédente, les Parisiens avaient été prendre les fusils des Invalides; sommé de tirer sur le peuple, il avait refusé.

Que serait-il arrivé si, au lieu de refuser, il eût obéi?

Puis il faut encore remarquer une chose : Châteauvieux était recruté, non pas dans les cantons allemands, mais dans la Suisse française, à Vaud, à Lausanne, à Genève; c'était notre France en Suisse; la France qui nous a donné Calvin et Rousseau.

C'étaient donc deux Français que l'on venait de fouetter publiquement.

Cette sévérité révolta tout le monde; les officiers furent insultés pour avoir commandé cette exécution; les soldats furent hués pour l'avoir laissé faire.

Mestre-de-camp et le régiment du Roi envoyèrent une députation aux casernes de Châteauvieux.

Cette députation fait émeute; les soldats se soulèvent; les portes de la prison sont forcées, les deux Suisses sont tirés de leurs cachots; on les promène en triomphe par la ville; on donne à l'un asile dans les rangs du régiment du Roi; à l'autre, dans ceux de Mestre-de-camp : l'insubordination monte sans cesse; un souffle sur la flamme qui fait bouillir cette colère, et elle débordera.

Le 6 août, l'Assemblée nationale, apprenant à la fois et la justesse des plaintes des soldats, et la pénurie des caisses, avait fait un règlement provisoire; dans ce règlement, elle cherchait à concilier ce qu'elle devait aux soldats, hommes et citoyens, tout soldats qu'ils étaient, avec la discipline militaire et la sûreté de l'État; elle ordonnait le maintien de l'ancien régime jusqu'à la promulgation du nouveau, dont elle promettait de s'occuper avec activité; elle cassait tous les comités de soldats, incompatibles avec la subordination due par des inférieurs; elle introduisait

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