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Nous l'avons dit justement parce que le fameux Livre rouge a été publié, et que nous l'avons vu dans le Livre rouge. Mais, à l'époque où nous sommes arrivés, époque à laquelle aucun œil profane n'avait encore osé sonder les pièces officielles de ce terrible déficit, on ne savait rien de positif.

On se disait seulement que, depuis vingt ans, les ministres exploitaient la France comme une mine inépuisable; que les favoris, convaincus que tant de prodigalités ne pouvaient durer, ou craignant que quelque ministre honnête homme ne les forçât un jour à dégorger l'or reçu, se mettaient, par tous les moyens possibles, à couvert - d'une restitution.

En effet, les uns faisaient convertir leurs pensions en un capital payé par le trésor royal; d'autres les faisaient recevoir comme argent comptant daus les nombreux emprunts qui se négociaient à cette époque; d'autres enfin poussaient l'impudence jusqu'à faire des soumissions pour ces emprunts, et, quoiqu'ils n'eussent rien payé, se faire servir l'intérêt des sommes qu'ils avaient promises. Mais voilà tout. On ne savait où chercher les traces de toutes ces déprédations, lorsqu'on apprit enfin qu'il existait un registre particulier sur lequel étaient consignées toutes ces impuretés, et que ce registre s'appelait le Livre rouge.

Les premières instances de l'Assemblée furent inutiles; cependant, comme l'Assemblée insistait d'autant plus qu'elle sentait une résistance, le roi finit par céder.

Il fut convenu qu'il donnerait connaissance du Livre rouge aux commissaires que lui enverrait l'Assemblée,

mais à cette condition qu'ils ne rechercheraient pas les dépenses du règne précédent.

Petit-fils pieux, il ne voulait pas laisser lever le linceul qui mettrait à nu les ulcères de Louis XV.

La première communication de ce fameux registre fut faite aux commissaires, le 15 mars, après midi, chez M. Necker, en présence de M. de Montmorin.

Mais, ainsi que la chose avait été convenue, on se borna à examiner les dépenses de Louis XVI; toute la portion qui avait rapport au règne de Louis XV fut scellée d'une bande de papier.

Le livre était composé de cent vingt-deux feuillets, et était relié en maroquin rouge; on avait, pour sa confection, employé du papier de Hollande, de la belle fabrique de D. et C. Blaeuw. Et, à travers le papier exposé à la lumière, on pouvait lire la devise, étrangement souillée par ce qui avait été écrit aux deux surfaces:

Pro patria et libertate.

Les dix premières feuilles renfermaient les dépenses relatives au règne de Louis XV, et celles-là, comme nous l'avons dit, étaient sous les scellés; lės trente-deux suivantes appartenaient au règne de Louis XVI; les autres étaient encore en blanc..

Le premier article, en date du 19 mai 1774, portait deux cent mille livres pour une distribution faite aux pauvres à l'occasion de la mort du feu roi.

Le dernier article, à la date du 16 août 1789, énonce la

somme de sept mille cinq cents livres, pour un quart de la pension de madame d'Ossun.

Le total des sommes portées sur le Livre rouge, sommes puisées en dehors des pensions et des apanages du roi et des princes sur le trésor royal, montaient, du 10 mai 1774 au 16 août 1789, au chiffre effrayant de deux cent vingtsept millions neuf cent quatre-vingt-cinq mille cinq cent dix-sept livres.

Sur cette somme, les dettes de Monsieur et de M. le comte d'Artois, payées deux fois par le roi, avaient enlevé celle de vingt-huit millions trois cent soixante-quatre mille deux cent onze livres.

En même temps qu'on creusait cet abîme, on mettait en vente les biens du clergé, évalués à quatre cents millions de livres; la seule ville de Paris en acheta pour deux cents millions.

Ces biens servirent d'hypothèques à l'émission du papier-monnaie créé par l'Assemblée.

Comme si l'on eût compris déjà que l'avenir s'obscurcissait, les députés continuaient à émigrer de leur côté, comme de leur côté faisaient aussi les nobles. Nous avons signalé la fuite de Lally et de Mounier: Mirabeau jeune les rejoignit bientôt; il avait eu si grande hâte de partir, et était parti avec tant de trouble, qu'il avait emporté les cravates du régiment qu'il commandait; aussi l'appela-, t-on Riquetti-Cravate.

Aussi, un journal se fâche; c'est l'Étoile du matin, ou les Petits Mots de madame Verte-Allure.

<< Chaque jour, dit l'ex-religieuse, quelque membre de

l'Assemblée, soit sous prétexte de maladie, soit en alléguant des affaires, demande un congé; mille noms d'un amour, si les femmes se conduisaient ainsi, on les traiterait d'inconséquentes! Une femme sera déshonorée pour, au bout de dix mois et souvent davantage, donner une légère atteinte au serment conjugal; et des députés de la nation, des législateurs français ne rougissent pas d'oublier le fameux serment du Jeu de Paume. »

Il est vrai que, si les députés s'en vont, le 5 juin, le duc d'Orléans revient. Le jour où il paraît à l'Assemblée, Bailly propose le plan d'une grande fédération générale, laquelle fédération est votée d'enthousiasme.

Est-ce pour combattre le retour du prince, son ennemi, que la dédaigneuse Marie-Antoinette fait un pas vers cet homme qu'elle méprise et qu'elle hait si fort, et qui s'appelle Mirabeau ?

-Pauvre reine! c'est que le peuple a été toujours se désaffectionnant; c'est qu'elle a su que l'Assemblée nationale avait discuté, lorsqu'il avait été question de lui faire la visite du jour de l'an, si on l'appellerait majesté, reine, ou tout simplement madame; c'est qu'elle a compris que l'inspection du Livre rouge a brisé les derniers liens des derniers cœurs qui tenaient encore à elle.

Pauvre femme! il faut qu'elle soit bien désespérée pour tourner à Mirabeau.

Mais, quelle que fût la sympathie de Mirabeau pour la royauté, car, au fond, Mirabeau était un aristocrate, Mirabeau n'était pas très-rassuré; Mirabeau, très-bien payé par le duc d'Orléans, s'il se vendait au roi, voulait se bien ven

Mirabeau réfléchissait qu'en même temps que la cour lui faisait des ouvertures, elle livrait à l'Assemblée le fameux Livre rouge.

Quelle assurance avait-il que quelque Livre noir où serait inscrit son contrat avec la royauté ne serait pas, un jour, confié à trois commissaires, comme il venait d'être fait pour le Livre rouge?

Au lieu de se vendre au roi, Mirabeau eût presque autant aimé se donner à la reine.

D'ailleurs, Mirabeau commençait à perdre de sa popularité. Pour qu'il reprît son influence sur l'Assemblée, il lui fallait de ces coups de foudre comme lui seul en savait lancer. La question de la guerre préoccupait Paris. La France avait tendu la main à la Belgique, ou plutôt la Belgique avait tendu la main à la France, et l'Angleterre s'était alarmée. L'Irlandais Burke, élève des jésuites de Saint-Omer, avait lancé aux Chambres anglaises une terrible philippique contre la Révolution.

L'Angleterre abandonna la Belgique à Léopold, et s'en alla chercher querelle à l'Espagne.

Le roi prévint l'Assemblée nationale qu'il armait quatorze vaisseaux.

Il s'agit de savoir alors à qui appartiendrait désormais l'initiative de la guerre.

Serait-ce au roi? serait-ce à l'Assemblée ? La discussion dura quatre jours.

Mirabeau attendit quatre jours avant de parler.

Le quatrième jour, il soutint les prétentions de la cour contre les patriotes.

I

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