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qu'on le confrontât avec ses accusateurs; ce qui était son droit, et ce qui, cependant, lui fut constamment refusé.

Ce n'est pas tout; après avoir entendu les témoins à charge, le tribunal refusa d'entendre les témoins à décharge.

Ce refus n'éveilla qu'un sourire de mépris sur les lèvres dédaigneuses de l'accusé.

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Je croyais être jugé par le Châtelet de Paris, dit-il, je me trompais; je suis jugé, à ce qu'il paraît, par l'inquisition d'Espagne.

La seule accusation qui se produisit contre lui fut une lettre d'un M. de Foucault qui lui demandait :

« Où sont vos troupes? par quel côté entreront-elles à Paris? Je désirerais y être employé. »>

Une seule séance suffit pour mener l'affaire à bout. Introduit devant ses juges à neuf heures du matin, le lendemain, à dix heures du matin, Favras entendit la lecture de son arrêt.

Il devait faire amende honorable devant Notre-Dame, et ensuite être pendu en Grève.

Le marquis écouta cet arrêt avec le plus grand calme, quoiqu'il y eût, pour un homme de noblesse, un mot terrible dans l'arrêt: Pendu!

-Oh! monsieur, dit-il, je vous plains d'être obligé de condamner un homme sur de pareilles preuves.

Le rapporteur lui ayant dit alors :

Monsieur, vous savez qu'il ne vous reste plus d'autres consolations que celles de la religion?

- Vous vous trompez, monsieur, répondit le condamné, il me reste encore celle que je puise dans ma conscience.

Au surplus, le temps qui devait s'écouler entre l'arrêt et son exécution était court. Il s'agissait pour messieurs du Châtelet de reconquérir leur popularité perdue, et, puisque Favras était condamné, autant valait l'exécuter tout de suite.

D'ailleurs, le peuple n'était pas disposé à laisser passer la nuit sur le jugement; il savait trop ce qu'on peut faire pendant une nuit.

L'exécution fut donc annoncée pour le jour même.

La nouvelle, il faut l'avouer, répandit une grande joie dans Paris. On eût dit d'un triomphe.

Il y avait dans les rues des gens qui demandaient des pourboires aux passants.

- A quel propos? répondaient les passants.

A propos de l'exécution de M. de Favrás.

A trois heures de l'après-midi, la potence était dressée, et le tombereau attendait le condamné à la porte du Chatelet.

Le marquis y monta en chemise, tête et pieds nus. Il portait à la main un cierge de cire jaune et avait déjà au cou la corde avec laquelle il devait être pendu.

Le bourreau en tenait le bout.

Arrivé devant Notre-Dame, le patient descendit et se mit à genoux.

Comme il accomplissait ce mouvement, l'église s'ouvrit à deux battants, et, de la place, on put voir le fond du maître-autel éclairé par une multitude de cierges.

Le greffier du Châtelet s'apprêtait à lire le jugement, mais Favras le lui prit des mains, et le lut à haute voix. Puis, après avoir lu :

- Prêt à paraître devant Dieu, dit-il d'une voix ferme, je pardonne aux hommes qui, contre leur conscience, m'ont accusé de projets criminels. J'aimais mon roi, je mourrai fidèle à ce sentiment; mais il n'y a jamais eu en moi ni moyen ni volonté d'employer des mesures violentes contre l'ordre nouvellement établi. Je sais que le peuple demande ma mort à grands cris. Eh bien, puisqu'il lui faut une victime, je préfère que son choix tombe sur moi plutôt que sur quelque innocent, faible peut-être, et que la présence d'un supplice non mérité jetterait dans le désespoir. Je vais donc expier des crimes que je n'ai pas commnis.

Puis, s'étant incliné devant l'autel qu'il avait en perspective, il remonta d'un pas ferme dans le tombereau. Arrivé sur la place de l'Hôtel-de-Ville, en face de l'instrument du supplice qui pouvait faire naître en lui de nouvelles idées, le condamné, d'habitude, était conduit dans une chambre pour y faire ses dernières déclarations.

Mais le marquis de Favras n'était pas de ces hommes à qui la crainte descelle le cœur. Sa déclaration, nous devrions dire son testament de mort, reçue par Jean-Nicolas Quatremère, conseiller du roi en son Châtelet de Paris, et qui fut imprimée quelques jours après, est un modèle de dignité.

Cette déclaration dictée, Favras prit la plume des mains du greffier et corrigea trois fautes d'orthographe faites par ce dernier.

Lorsqu'il reparut sur les marches de l'hôtel de ville, le peuple battit des mains, comme il avait fait à sa sortie du Châtelet, comme il avait fait devant Notre-Dame.

Cette joie du peuple ne parut ni l'irriter ni l'affliger; sa contenance était celle d'un homme parfaitement calme. Cependant la nuit était survenue, et l'on avait distribué des lampions sur la place de Grève; on en avait mis jusque sur la potence, qui dessinait dans la nuit sa silhouette de feu.

Favras marcha d'un pas ferme vers l'échelle. Au moment où il l'atteignit, une voix cria :

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Favras demeura insensible à la raillerie comme il était resté insensible à l'injure; au pied du gibet seulement, il éleva la voix en disant :

Citoyens! je meurs innocent; priez Dieu pour moi ! Au second échelon, il s'arrêta, et, d'un ton aussi ferme et aussi élevé que la première fois :

- Citoyens! répéta-t-il, je vous demande le secours de vos prières, je meurs innocent.

Enfin, arrivé au dernier échelon :

Citoyens! redit-il une troisième fois, je suis innocent; priez Dieu pour moi!

Puis, au bourreau :

Fais ton devoir, dit-il.

A peine Favras avait-il prononcé ces paroles, que le bourreau le poussa et que son cadavre se balança dans le vide.

Le peuple cria: Bis!

Ainsi ce n'était point assez pour le peuple, tant sa haine contre l'aristocratie était grande, qu'un aristocrate innocent fût pendu une fois.

L'exécution faite, le cadavre de Favras fut livré aux sieurs Mahi, baron de Connère, et Mahi de Chitenay, ses frères. Mais il fallut soutenir une lutte terrible. Le peuple voulait traîner par les rues ce cadavre, comme il y avait traîné ceux de Fiesselles et de de Launay.

On se hâta de l'inhumer dans l'église de Saint-Jean-enGrève, tandis qu'à la porte de l'église, la garde nationale contenait le peuple.

Une phrase du mémoire de Favras est restée, accusation terrible contre Monsieur.

Voici cette phrase :

« Une main invisible, je n'en doute pas, se joint à mes accusateurs pour me poursuivre; mais qu'importe? Celui qu'on m'a nommé, mon œil le suit partout: il est mon accusateur et je ne m'attends pas à un remords de sa part. Un Dieu vengeur prendra ma défense, je l'espère du moins, car jamais, non jamais, des crimes comme les siens ne sont restés impunis. »

La marquise de Favras, enfermée dans les prisons de l'Abbaye, y demeura jusqu'après l'exécution de son mari, quoiqu'il ne fût présenté aucune charge contre elle.

Nous avons souligné le mot pendu.

En effet, c'était une grande nouveauté que la pendaison d'un noble; c'était l'application du décret de l'Assemblée nationale, en date du 21 janvier 1790, qui proclamait l'égalité dans le supplice.

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