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me prescrire d'autres dispositions, le ministre décide que l'administration des Archives doit passer en d'autres mains.

« J'avoue que cette décision me paraît, à tous égards, d'une injustice extrême. Mais cette cause, qui est la mienne propre et dans laquelle je puis me tromper encore plus qu'en toute autre, n'est point du tout, Monsieur le comte, celle que je vous prie de défendre. Quoiqu'une destitution soit toujours désagréable et quelquefois périlleuse, la mienne paraît désirée trop ardemment par Son Excellence pour qu'il y ait aucun espoir de lui inspirer d'autres sentiments.

<< Ne pouvant plus prétendre à d'autres fonctions publiques, puisque celles dont je ne suis point incapable dépendraient plus ou moins du ministère de l'intérieur; ayant essuyé, depuis trois ans, des pertes considérables; réduit à de faibles ressources; exposé à perdre, au premier jour, celles qui me restent à l'Institut, je dois pour ma propre conservation, pour celle d'une sœur âgée et de quelques autres personnes dont je prends soin, solliciter une pension de retraite. Trente-six ans de services non interrompus dans l'Instruction publique, dans les Assemblées, à la Bibliothèque du Panthéon et aux Archives, autorisent, je crois, cette demande. Je l'ai adressée au Ministre de l'Intérieur, et parmi les moyens d'en assurer le succès, je mets au premier rang, Monsieur le comte, vos bons offices auprès de Son Excellence, qui va décider sous trèspeu de jours, peut-être dès aujourd'hui, de mon sort.

<< Veuillez agréer, je vous prie, mes respectueux hom

mages.

« Paris, 28 décembre 1815. »

« DAUNOU.

LEOPARDI.

Le nom seul de Leopardi est connu en France; ses œuvres elles-mêmes le sont très-peu, tellement qu'aucune idée précise ne s'attache à ce nom résonnant et si bien frappé pour la gloire. Quelques-uns de nos poëtes qui ont voyagé en Italie ont rapporté comme un vague écho de sa célébrité :

Leopardi dont l'âme est comme un encensoir,

lisions-nous, l'autre jour, dans l'album poétique d'un spirituel voyageur. De telles notions sont loin de suffire. M. Alfred de Musset, il y a deux ans, publiant dans la Revue des Deux Mondes (1) quelques-uns de ces

(1) 15 novembre 1842. C'est dans la pièce intitulée Après une lecture. On se demande après quelle lecture ont été écrits ces vers. Serait-ce après une lecture de Leopardi ? Le début de la pièce ne l'indiquerait guère, quoique la fin semble le faire soupçonner. Tout cela n'est pas expliqué. Les meilleures poésies de M. de Musset sont trop sujettes à ces sortes d'incohérences. Mais assurément (je ne puis m'empêcher encore d'ajouter ceci) la plus criante incohérence, dans le cas présent, c'est d'avoir fait intervenir de but en blanc le plus noble, le plus sobre, le plus austère des

vers aimables et légèrement décousus que lui dicte la fantaisie en ses meilleurs jours, a parlé de Leopardi plus en détail, bien qu'à l'improviste et avec une sorte de brusquerie faite d'abord pour étonner. Le poëte, se fâchant contre les versificateurs et rimeurs qui délayent leur pensée, s'écriait:

Non, je ne connais pas de métier plus honteux,
Plus sot, plus dégradaut pour la pensée humaine,
Que de se mettre ainsi la cervelle à la gêne
Pour écrire trois mots quand il n'en faut que deux,
Traiter son propre cœur comme un chien qu'on enchaîne,
Et fausser jusqu'aux pleurs que l'on a dans les yeux.

O toi qu'appelle encor ta patrie abaissée,
Dans ta tombe précoce à peine refroidi,
Sombre amant de la Mort, pauvre Leopardi,

Si, pour faire une phrase un peu mieux cadencée,
Il t'eût jamais fallu toucher à ta pensée,
Qu'aurait-il répondu, ton cœur simple et hardi?

Telle fut la vigueur de ton sobre génie,
Tel fut ton chaste amour pour l'âpre vérité,
Qu'au milieu des langueurs du parler d'Ausonie,

Tu dédaignas la rime et sa molle harmonie,

poëtes, pour appuyer une théorie où il est surtout question de Lisette et de Margot, et où, pour tout idéal d'art sérieux, l'enfant d'Épicure et d'Ovide s'écrie :

Vive d'un doigt coquet le livre déchiré

Qu'arrose dans le bain le robinet doré!

En vérité il semble, à voir cette théorie d'alcôve et de baignoire, que M. de Musset n'ait pas fait une seule lecture, mais deux lectures à la fois, et qu'il ait commencé avec Crébillon fils la boutade à la Gavarni qu'il couronne par Leopardi.

Pour ne laisser vibrer sur ton luth irrité
Que l'accent du malheur et de la liberté.

De tels traits, à coup sûr, sont caractéristiques du noble talent que le poëte français invoque ici en témoignage. Pourtant, si l'on a trouvé singulier que Boileau, s'adressant à Molière, lui dise tout d'abord par manière d'éloge:

Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime,

il peut sembler également assez particulier que le premier éloge accordé ici à Leopardi soit de s'être passé de la rime, ce qui est possible en italien, mais à de tout autres conditions qu'en français, et ce qui d'ailleurs ne paraît point absolument vrai du savant poëte dont il s'agit. Dans tous les cas, il y a sur Leopardi, comme sur Molière, bien d'autres caractères distinctifs qui frappent à première vue.

Trop étranger que je suis habituellement à l'étude approfondie des littératures étrangères, persuadé d'ailleurs que la critique littéraire n'a toute sa valeur et son originalité que lorsqu'elle s'applique à des sujets dont on possède de près et de longue main le fond, les alentours et toutes les circonstances, il semble que je n'aie aucun titre spécial pour venir parler ici de Leopardi, et je m'en abstiendrais en effet si le hasard ou plutôt la bienveillance ne m'avait fait arriver entre les mains des pièces manuscrites, tout à fait intéressantes et décisives, sur l'homme éminent dont il s'agit, et ne m'avait encouragé à une excursion inaccoutumée, pour laquelle je vais redoubler d'attention en même temps que je réclame toute indulgence.

Le comte Jacques Leopardi naquit, le 29 juin 1798, à Recanati, dans la Marche d'Ancône; fils aîné du comte Monaldo Leopardi et de la marquise Adélaïde Antici, des plus nobles familles du pays, il reçut une éducation soignée sous les yeux de son père. Un prêtre de l'endroit, l'abbé Sanchini, lui enseigna les premiers éléments du latin; quant au grec, l'apprenant dès l'âge de huit ans dans la grammaire dite de Padoue, l'enfant jugea cette grammaire insuffisante, et, décidé à s'en passer, il se mit à aborder directement les textes qu'il trouvait dans la bibliothèque de son père; il lut ainsi sans maître, et bientôt avec une surprenante facilité, les auteurs ecclésiastiques, les saints Pères, tout ce que lui fournissait en ce genre cette très-riche bibliothèque domestique; le premier débrouillement fait, il lut méthodiquement, par ordre chronologique, plume en main, et, de même que chez Pascal, avec qui on l'a comparé, le génie mathématique éclata comme par miracle; ainsi le génie philologique se fit jour merveilleusement chez le jeune Leopardi; il devint un véritable érudit à l'âge où les autres en sont encore à répéter sur les bancs la dictée du maître.

On a souvent remarqué cette alliance, au premier abord singulière, du génie poétique et du génie philologique; mais ici elle a cela de plus particulier encore que le poëte énergique et brûlant qui va nous apparaître ne finit point par la philologie, ne s'y retira point après son premier feu jeté, mais qu'il débuta par là, et que, si ses souffrances précoces ne l'avaient impérieusement détourné des études suivies, c'est de ce côté sans

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