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posants et plus énergiques, mais aucun assurément de plus gracieux :

<< Dans toutes les villes, les temples tombaient à la fois sous la spoliation et l'anathème; il n'en était pas ainsi des campagnes. Là, les croyances étaient des impressions et non des doctrines; elles tenaient moins du raisonnement que de l'habitude. Plus naïves et plus matérielles que dans les villes, elles étaient plus persistantes. Lorsque l'empire officiel presque tout entier s'agenouillait devant la Croix, un édit d'Honorius, publié en 399 (1), proscrivait les libations dans les festins, les torches funèbres, les guirlandes d'Hymen et jusqu'à ces dieux Lares tant chantés par les poëtes et si chers aux descendants des Arcadiens et des Pélages. Inutile défense! on le voit par ces ordonnances mêmes de toutes les empreintes du paganisme, celle-là seule demeurait inaltérable. Le Jupiter d'Olympie était lentement descendu de son piédestal de marbre; la virginité de Minerve ne se manifestait plus dans la blancheur symbolique de l'ivoire; tous les dieux du lectisterne gisaient sans honneur au pied de leur lit de pourpre; mais la Naïade indigène habitait encore sa source, l'Hamadriade locale n'avait point déserté son bois d'oliviers. Ni le glaive ni les édits n'avaient pu dissiper le prestige charmant de ce panthéisme rural, immortalisé par Hésiode et par Virgile l'Ager romanus,les wallons de l'Arcadie ou de la Sabine, conservèrent longtemps ces fêtes gracieuses où Pan et Palès, à l'ombre des platanes, au bruit des fontaines murmurantes, recevaient la brebis marquée de cinabre et la fleur de pur froment. La fiancée, longtemps encore, quitta la maison paternelle au son des flûtes, et,

(1) On peut voir, sur cet édit et sur les circonstances précises, le chap. 1, liv. IX de l'Histoire de la Destruction du Paganisme en Occident, par M. Arthur Beugnot, et aussi la note qui termine le chap. 1, liv. X.

bien avant dans les siècles, la lampe domestique éclaira sous le chaume des dieux Pënates, exigas comme elle et, comme elle, pétris d'argile. Malgré les édits sans nombre, ce riant paysage des Géorgiques ne s'effaça que par degrés et disparut lentement devant le soleil du christianisme. Écrit dans le Ive siècle, et, selon quelques scholiastes, cent ans plus tard, le poëme de Daphnis et Chloé reproduit sous une forme idéale sans doute, mais exacte, l'état religieux des campagnes à la dernière époque du culte des dieux. L'aspect général des localités était encore tout coloré du paganisme. En Grèce, en Italie, telle bourgade, telle petite ville, étaient déjà chrétiennes; la foule se rendait dans les basiliques transformées en églises; les préaux, les chemins, étaient semés de croix; pourtant, au fond du bois, au détour d'un angle caché par les chênes verts, sur le bord du ruisseau ou du lac, on voyait se mirer paisiblement dans l'eau la grotte des Nymphes, grande et grosse roche, ronde par le dehors, au dedans de laquelle se cachaient quelques statuettes en pierre de Naïades ou de Napées, les bras nus,... les cheveux épars sans tresses,... le visage riant et la contenance telle comme si elles eussent ballé ensemble (1). Là, se rendaient les garçons et les filles; ils couronnaient de fleurs les images des Nymphes, non plus par religion, mais par une sorte d'instinct machinal; la douce mythologie, inséparable de toutes les impressions du plaisir, était encore le langage de l'amour; les cœurs demeurèrent longtemps sous la protection de cet enfant jeune et beau, qui a des ailes, et pour cette cause prend plaisir à hanter les beautés ;... qui domine sur les éléments, les étoiles et sur ceux qui sont dieux comme lui. Si le rituel de la théogonie grecque est resté inséparable de toutes les formes de la galanterie; s'il constituait, il y a peu de temps encore, ce qu'on appelle poésie et littérature; si Vénus, Cupidon et les Grâces ont été fêtés dans nos chansons, qu'on juge de leur empire sur ceux

(1) Longus, d'Amyot.

dont, la veille encore, ils étaient le culte et la foi. Semailles, moissons, vendanges, tout relevait, comme par le passé, de Cérès, de Bacchus et de Pomone.

<«< Dans cette pastorale exquise, toute la population des campagnes romaines ou grecques est fidèlement reproduite. C'est un mélange singulier des fleurs idéales de l'imagination et des hideuses réalités de la vie servile. On y voit le colon, l'esclave, porter un esprit subtil dans un corps robuste, baigné de laborieuses sueurs. L'extrême nonchalance s'allie au travail excessif, une sécurité complète aux périls les plus imminents. Tant que durent la jeunesse et la beauté, l'existence n'est qu'une fête, par la protection souvent coupable d'un maitre. Sous le plus doux ciel du monde, le berger joue de la flûte le long du jour, accoudé sur les rochers et regardant la mer de Sicile. Vienne la vieillesse ou le dégoût du patron, au loisir succède le labeur, à la flûte l'émondoir, à l'indulgence les ergastules et le fouet. La religion n'est plus une croyance, mais une suite de coutumes puériles et gracieuses, renouvelées à des époques précises. Le christianisme ne prit pas d'emblée ces têtes légères, préoccupées de mille petites divinités riantes et protectrices; il s'y insinua doucement comme une clarté sagement ménagée dans des paupières longtemps aveugles et encore débiles.

<< En consultant le roman comme peinture de mœurs, on reconnaît dans Daphnis et Chloé des traces sensibles de la période païenne. La passion n'y est pas toujours délicate dans son langage, ni naturelle dans son objet. Cependant, si les vices qui ont déshonoré la Grèce s'y retrouvent dans toute leur laideur, ils ne s'y montrent plus dans leur audace; ils ne sont plus attribués qu'à des êtres difformes ou ridicules, placés par l'esprit, le cœur et le sang, au dernier degré de l'échelle sociale. La jeunesse imprévoyante et frivole se rit encore de ces aberrations, mais ne les partage plus; Astyle raille Gnathon sans songer à devenir son complice. La révolution opérée dans les mœurs ne se fait encore sentir que par d'imperceptibles nuances; toutefois elle apparaît

évidente dans une autre partie du tableau: Gnathon l'esclave est en plein polythéisme; Astyle, le jeune patron, s'amuse et se divertit encore aux gaietés païennes; les amours naïves et sensuelles des deux bergers flottent entre les deux croyances; mais Cléariste et Dionysophane, le vieux patricien et l'antique matrone, ont déjà la dignité, le calme, la grâce sévère de la famille chrétienne. En croyant les faire païens, Longus, ou l'auteur, quel qu'il soit, de Daphnis, faisait Dionysophane et Cléariste chrétiens à son insu. »

Ce sont de vraies oasis que de telles pages en si grave sujet. Ces restitutions rapides, ces plaisirs de coup d'œil, ces inductions avenantes, font précisément le triomphe et le jeu de la critique littéraire. L'histoire. en a profité cette fois, mais elle les admet peu en général; son front, d'ordinaire impassible, ne laisse guère monter jusqu'à lui les mille éclairs sous-entendus et les sourires; et voilà pourquoi, en pur critique littéraire que je suis, j'ai toujours crainte de m'approcher, comme aussi j'ai peine à juger du masque de cette muse sévère.

1er juillet 1842.

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L'abus violent qu'on a fait de certains dons, la volonté ambitieuse et bruyante qu'ont marquée certains esprits de conquérir, d'afficher du moins ce qu'ils n'avaient pas naturellement, la perturbation qui s'en est suivie dans les genres les plus graves, bien des circonstances contribuent aujourd'hui à donner un prix tout nouveau et comme un attrait particulier à ces physionomies d'écrivains calmes, modérées, ingénieuses, à ceux qui ont uni l'élévation ou la distinction de l'idée à la discrétion du tour, qui, en innovant quelque peu à leur moment, n'ont détruit ni bouleversé les grandeurs et les vérités existantes, qui se sont mûris à leur tour dans des applications diverses, et ont su imprimer à l'ensemble de leur vie et de leur œuvre la règle souveraine de la bienséance et une noble unité.

M. de Barante est de nos jours un des rares écrivains dont la carrière, non pas entièrement close, mais tout à fait définie, se dessine le mieux sous cet aspect. Cette mesure de nouveauté et de retenue, il l'a

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