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M. de Saint-Priest nous développe sur les vicissitudes de l'idée de royauté en ces siècles obscurs. Aux coups que lui porte Pepin d'Héristal, l'antique suprématie mérovingienne, avec l'espèce de fédération allemande et frisonne qui en dépendait, se détruit et se brise. Sous les Mérovingiens, quand le Mérovée ou le Dagobert régnant était puissant et respecté, il se formait, comme naturellement, un essai de grand empire dont les liens assez vagues, des Pyrénées au Weser, trouvaient pourtant leur force et leur entretien dans une sorte de fidélité traditionnelle, de religion pour la race, et de vieil honneur barbare. Si les Carlovingiens reconstruisirent cette unité, et avec bien autrement de volonté et de puissance, ils commencèrent aussi par y porter la plus rude atteinte. Il fallut tout leur génie et leurs exploits pour rétablir le prestige anéanti et pour suppléer aux nuages des fabuleuses origines. La foi catholique y aida. Pepin d'Héristal et Charles Martel se rapprochèrent de Rome et du parti romain dans les Gaules. Ils favorisèrent les missions apostoliques de Willebrod et de Winfried (saint Boniface) dans la Germanie, alors seulement devenue chrétienne. Pepin, premier roi de sa race, recueillit le prix de cette politique; élu roi à Soissons, il fonde l'ère des royautés nouvelles.

Autrefois (selon la théorie que j'expose) il n'y avait pas d'élection de la part des leudes, il n'y avait qu'acclamation, reconnaissance, adhésion, une pure cérémonie ici le choix formel se déclare et crée le droit qui ne découle plus du sang. Mais ce droit qui naît,

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qui se fabrique à vue d'œil, qui tire toute sa force de l'utilité et de la fonction, est faible à d'autres égards : il a besoin de consécration et de complément religieux. La papauté est là tout à propos, qui appose une espèce de sacrement au fait nouveau, et qui le confirme par l'onction, ce qui ne s'était pas vu pour Clovis. Telle est la théorie. Ainsi la papauté confirme la royauté, cette royauté de seconde formation; mais, pour ce qui est de l'empire, elle fait plus la couronne impériale proprement dite, elle la confère et la décerne. Ce fut donc peut-être une grande faute de Charlemagne que d'avoir prétendu ajouter à sa couronne très-bien posée, héréditaire et dès lors indépendante, ce globe impérial mobile qui allait se prendre à Rome, et qui devint une pomme, de discorde entre les mains de ses descendants. La suprématie de Rome au temporel et les luttes qu'elle engendre, la féodalité européenne qui sort de l'immense anarchie, le rôle et la part des ordres religieux directeurs de l'esprit du temps, le système de falsifications historiques auxquelles ils tiennent la main, ces graves et toujours si difficiles problèmes occupent finalement l'auteur, qui est forcé de subir, après Charlemagne, la loi de son sujet, c'est-à-dire la diffusion. Le tableau de Rome féodale arrête le regard par l'intérêt extrême de la peinture. On atteint enfin au XIe siècle, à cette époque où se reforment partout, et assez petitement d'abord, les royautés politiques; celle de Hugues Capet est de ce nombre, et si, à son berceau, elle n'a pas, à beaucoup près, la splendeur des débuts carlovingiens, aucune imprudence du moins

n'en altère le principe grandissant et n'en compromet

l'avenir.

L'auteur, on le voit, s'est tracé un vaste cadre, et il a eu force d'exécution pour le remplir. Jusqu'à quel point, dans cette longue étude du passé monarchique, a-t-il été préoccupé du présent, de ce qui nous touche, et jusqu'à quel point a-t-il pu l'être légitimement ? De tels travaux, si lointains et si purement historiques qu'on les fasse, ont presque toujours leur point d'appui, leur point de départ dans les questions modernes, et leur inspiration première, leur verve, si j'ose dire, vient de là. M. de Saint-Priest a vu sans doute l'idée monarchique beaucoup plus désertée en théorie qu'elle n'est peut-être perdue en fait, et il m'a l'air de ceux qui ne désespèrent pas précisément de son lendemain. La France a longtemps été monarchique; elle a toujours assez et trop aimé, sauf les intervalles, aller à un seul, obéir à quelqu'un; et cette idée, qui trouverait ses retours jusque dans le triomphe de la démocratie, vaut bien la peine qu'en temps régulier, et même à travers l'apparente défaveur, on s'y arrête encore : l'observer à loisir et la reconnaître, c'est le bon moyen d'en moins abuser. Historiquement, on peut trouver que, dans les remarquables travaux de l'école moderne, la royauté n'a pas été traitée assez équitablement; la plupart des historiens de cette école, en effet, sont entrés dans l'étude par la polémique, et leur impartialité, même en s'élargissant graduellement, a toujours gardé le premier pli. M. de Saint-Priest se sera dit qu'il y avait là un sujet tout neuf : retrouver les vieux titres

de nos races monarchiques et ceux aussi de l'Église à ces époques. Un livre, j'imagine, n'aura pas laissé d'exercer de l'influence sur la conception du sien. La Démocratie, de M. de Tocqueville, paraissait avec éclat vers le temps où lui, d'autre part, il commençait à méditer sa Royauté. Le désir d'opposer à l'ouvrage en vogue, sinon un contre-poids, du moins une contrepartie et un pendant, dut le séduire. Plus la forme. était différente et plus le terrain des deux sujets éloigné, plus aussi la noble lutte avait tout son jeu. A une démocratie présente et imminente, dont les États-Unis nous offraient à leur manière l'active, la grandiose, mais assez terne image, il était piquant de restituer pour vis-à-vis l'ancien fond monarchique dans son relief le plus coloré. Entre ce double antagonisme, tel que je le suppose, plus à distance avec M. de Tocqueville et plus rapproché avec M. Thierry, la pensée originale avait de quoi s'exciter dans son entrain naturel et ne pouvait qu'acquérir vite tout son ressort.

Ce qui me frappe surtout dans le cours de l'ouvrage, c'est la quantité d'esprit que l'auteur y a versée, je veux dire la quantité de vues, d'aperçus, d'ouvertures de toute sorte et de rapprochements. Je suis fâché pour l'érudition, qui y est fort étendue et de source, que certains détails de reproduction matérielle aient fait défaut. La ponctualité matérielle même (il ne faudrait pas l'oublier) est une partie, non-seulement de la solidité, mais aussi de l'élégance en ces sortes d'ouvrages. Le talent d'expression y est éminent; je ne serais pas étonné que par endroits, pour quelques yeux

chagrins, će talent ne voilât presque, ne déguisât dans de trop riches images le fin de l'esprit et le réel de l'érudition. Plus d'un aperçu ingénieux aurait gagné, je le crois bien, à être rendu d'une manière plus simple, plus purement spirituelle, et avec l'habitude si française de l'auteur. Au reste, ce qui est éclatant, noble et d'une élévation éloquente, je l'accepte de grand cœur et le salue. En fait de talent, le luxe n'est pas déjà chose si vulgaire. Assez d'honnêtes gens dans ces doctes matières s'en scandaliseraient volontiers, et pour cause; ce serait le cas de leur répondre avec le poëte: « Ah! cesse de me reprocher les aimables dons de Vénus; les dons brillants des immortels ne sont jamais à dédaigner; eux seuls les donnent, et ne les a pas qui veut. » Je ne voudrais décidément rabattre dans la manière de l'auteur que ce qui semblerait trahir le voisinage d'une fausse école dont son excellent esprit n'est pas. M. de Saint-Priest possède à un haut degré les qualités littéraires : il en faisait déjà preuve dans sa jeunesse, et, quoiqu'il l'ait sans doute oublié luimême aujourd'hui, d'autres que l'inexorable Quérard se souviennent encore de gracieux essais par lesquels il préludait avec aisance et goût dans la mêlée, alors si vive. Je regretterais trop de quitter ses savants volumes sans donner idée du caractère animé, brillant et tout à fait heureux de bien des pages, et je détache de préférence, comme échantillon, celles où il nous exprime l'état vivant des croyances et des mœurs rustiques dans le midi de l'empire au lendemain de Théodose. On pourrait citer d'autres passages plus im

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