صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

Guillemaint, Nisard, Kulak, Buczynski, Markyanowicz et Parkowski étaient à la tête de cette légion de bannis. Les uns se proposaient de passer en Italie; les autres s'acheminaient vers la France; quelques-uns se portaient sur la Gallicie. Ces derniers sollicitent la permission de traverser les États autrichiens. Le baron de Hauer, gouverneur de la province, ordonne de les accueillir comme des persécutés pour la Foi. Les habitants de la ville de Tarnopol s'occupaient dans ce même temps de la fondation d'un Collége; ils demandent au baron de Hauer de faire payer à l'Institut l'hospitalité qu'il lui a si généreusement offerte. Ils désirent qu'un certain nombre de Pères acceptent la mission de féconder l'établissement en projet : ce sera pour toutes les familles un gage de sécurité. Hauer s'adresse à Louis Ankwicz, archevêque de Lemberg. Le Prélat et le gouverneur regardent comme une faveur inespérée de la Providence le passage des exilés de Russie. Hoffmann et Poniatowski, chanoines de la Métropole du rite latin, Samuel Stefanowicz, qui deviendra archevêque de la Métropole arménienne, prennent sous leur patronage ces Religieux sans asile et que les cités catholiques se disputent.

Afin de ne pas être plus long-temps à charge à leurs bienfaiteurs improvisés, le Père Landès se met en route pour Vienne avec une partie du troupeau confié à sa garde. Il arrive dans cette capitale le 7 juin 1820. La Cour d'Autriche donnait bien aux Jésuites la permission de traverser les provinces de l'Empire, mais elle leur refusait de s'y fixer, à moins qu'ils n'abjurassent leur Ordre. Les Jésuites venaient de renoncer à leurs biens, à leurs Colléges, à leurs Missions de Russie pour ne pas accepter ce suicide; leur rétablissement dans les États autrichiens par le successeur de Joseph II ne devait pas s'obtenir à une pareille condition. Le comte de Saurau expose, dans un mémoire à l'empereur François, les motifs qui militent en faveur de l'admission de la Compagnie. Le Prince l'invite à traiter avec le Père Landès. François II avait voulu connaître personnellement les Jésuites: il s'était fait rendre compte de leurs travaux ainsi que de leurs espérances. Dans une audience accordée aux Pères Swietokowski et Landès, il leur dit : « Je sais tout ce que vous avez souffert pour la Religion, et moi, Em

pereur catholique, je ne dois pas rester insensible à vos tourments. Malgré les clameurs de ceux qui vous haïssent sans vous connaître, je vous ouvre mon royaume de Gallicie sous les mêmes clauses qu'il était ouvert à vos anciens Pères. J'assigne des revenus pour cinquante Jésuites, et si quelques statuts essentiels de vos Constitutions ne se trouvent pas en harmonie avec les lois de l'État, je vous autorise à vous pourvoir afin d'obtenir dispense. »>

Le 13 mars 1820, l'Empereur de Russie proscrivait les Jésuites; le 20 août de la même année, l'Empereur d'Autriche leur offre une nouvelle patrie. La tempête qui a si long-temps éclaté sur l'Allemagne gronde encore. La guerre faite au principe démagogique a, par le contact des idées et par l'enthousiasme des peuples, réveillé des sentiments d'indépendance religieuse et d'affranchissement au cœur de la Germanie. Il fallait peu à peu ramener les esprits aux réalités de la vie et aux exigences de la situation. François II est fatigué des secousses qui ont agité la première partie de son règne; le prince de Metternich aspire à calmer l'Europe. Après tant de glorieux déchirements, le Souverain et le Ministre pensèrent que le meilleur moyen d'atteindre ce but était l'éducation. Deux Colléges furent fondés, l'un à Tarnopol, l'autre à Lemberg. En peu d'années ils devinrent si florissants que la population de Tarnopol s'accrut de plus de moitié, et que de toutes les extrémités de la Gallicie les parents accouraient pour confier leurs enfants aux Pères de l'Institut. Les Juifs eux-mêmes se laissèrent entraîner par l'exemple; ils firent taire leurs préjugés de race, et ils voulurent que leurs fils fussent élevés par les disciples de saint Ignace.

Le bien que les Jésuites faisaient retentit au cœur du prince Raczynski, archevêque de Gnesen et primat de Pologne. Avant la suppression, en 1773, il a été membre de la Compagnie. Sa jeunesse s'écoula dans les travaux qui préparent à la profession ; il s'est engagé par des vœux solennels; il désire reprendre à la fin de sa vie le joug qu'il a porté avec tant de bonheur. Il sollicite, il obtient du Saint-Siége la faveur d'abdiquer les dignités de l'Église. Après quelques années passées au Gésu de Rome, le vieil Archevêque, redevenu Jésuite, prend la route de Gal

licie. Les Pères ont une résidence à Przemysl ; on la lui assigne pour retraite, et il y meurt, tandis qu'Antoine de Gotasza, évêque de la ville, jette les bases d'un Noviciat pour la Compagnie. Un autre se crée à Stara-Wies. Ainsi que le nom l'indique, Stara-Wies n'est qu'un village. En y plaçant un Noviciat, les Pères semblaient transgresser la volonté du fondateur, qui prescrit d'établir dans les cités les maisons où l'on se formera à la vie intérieure. Loyola avait calculé que, pour suivre la carrière ouverte aux Jésuites, les jeunes gens ne devaient pas trop s'accoutumer à la solitude; il leur recommandait de catéchiser la foule, de visiter les hôpitaux et les prisons, de se mettre en contact avec toutes les douleurs et tous les besoins. Un village ne pouvait offrir cette diversité de labeurs; mais les circonstances étaient décisives; il importait de répondre au vœu des populations: la nécessité triompha des conseils de saint Ignace.

Deux ans après son érection, le Collège de Tarnopol comptait plus de quatre cents élèves. Au mois d'octobre 1823, l'Empereur veut encourager par sa présence les maîtres et les disciples. Le Père Pierling le reçoit dans cette maison, qui, après avoir été improvisée, improvise autour de ses murs une nouvelle ville. La génération naissante se façonnait aux idées d'ordre et de travail; les Jésuites, dont le nombre s'accroît d'année en année, étendent le bienfait de leur apostolat ; le peuple les a pris en affection; les Prélats les emploient à toutes les œuvres du ministère; leur action retentit jusqu'aux portes de Cracovie. Pierre Klobuszycki, archevêque de Colocza et leur ancien frère dans l'Institut, les invite à passer en Hongrie. Le prince de Lobkowitz et l'évêque Thomas Ziegler les instalient dans l'ancienne abbaye des Bénédictins de Tyniec. Il s'agit de renouveler un peuple pauvre qui érige l'ivrognerie en système : les Jésuites, encore plus pauvres que lui, se dévouent à cette tâche. On les voit, bravant la rigueur des hivers, rompre à ces hommes grossiers le pain de la parole de vie. Ils savent qu'il leur sera difficile de dompter des vices presque acceptés comme une seconde nature; leur persévérance l'emporta. Ce fut dans ces excursions évangéliques que mourut sous le poids des fatigues Potrykowski, jeune gentilhomme russe qui avait abandonné son pays pour se faire Jésuite. Le cabinet de Vienne suivait d'un

œil attentif les progrès et les tendances de la Société ; il la contemplait aux prises avec les obstacles, et il recueillait de la bouche de ses gouverneurs de province les éloges que chacun faisait de l'Institut. Au mois de novembre 1827, l'Empereur, conformément à un décret de la chancellerie de cour en datedu 22, donne aux Pères une marque officielle de sa confiance.

« Dans l'espoir, ainsi s'exprime le Souverain, que les Jésuites admis dans mon royaume de Gallicie rendront des services utiles par l'instruction et l'éducation de la jeunesse comme aussi par les secours temporaires donnés aux Pasteurs qui ont charge d'âmes; qu'ils mettront un frein salutaire à l'impiété et à la corruption des mœurs; qu'ils feront de leurs élèves de bons chrétiens et des sujets fidèles, et que, par cela même, ils contribueront à la véritable civilisation et au bonheur de mes sujets;

» Je veux bien agréer la demande respectueuse qu'ils m'ont présentée, et je leur permets de pouvoir vivre dans mon royaume de Gallicie, selon les constitutions de leur Ordre et selon les vœux qu'ils ont émis conformément à leur Institut.

>> En conséquence, je leur permets de continuer, sans qu'on puisse les inquiéter, à correspondre pour le maintien de la discipline avec le Général de leur Ordre sur les objets qui ont rapport à leur régime intérieur et à leurs Constitutions approuvées par l'Église.

» Néanmoins, quant à ce qui concerne les fonctions sacerdotales, la célébration du service divin, la prédication, le ministère de la confession et les secours temporaires donnés aux Pasteurs des âmes, les Jésuites doivent être soumis aux Évêques; en sorte que leur seul régime intérieur et le maintien de la discipline soient réservés aux supérieurs de l'Ordre, selon leur Institut.

» Cependant, de peur que les membres de l'Ordre envoyés au dehors ne deviennent étrangers à la vie de communauté, les secours donnés dans le saint ministère en Gallicie doivent avoir lieu d'une manière conforme aux statuts de l'Ordre, c'est-àdire sous la forme de Missions. Et le Père Provincial s'entendra avec les ordinaires des lieux, tant par rapport aux personnes qui y sont employées que pour la durée des Missions.

» Pour ce qui regarde les études théologiques faites dans les

Maisons de l'Ordre, ils continueront à se conformer à ma décision du 24 août 1827.

>> Quant aux autres études, je permets qu'ils suivent la méthode prescrite par leur Institut, et que la direction en soit confiée aux supérieurs de l'Ordre. Cependant les livres classiques dont ils se serviront dans leurs écoles doivent être soumis à l'inspection et à l'approbation des autorités compétentes; et leurs écoliers subiront les examens de la manière qui est prescrite dans mes États. »>

Ainsi la Société de Jésus commençait à se reconstituer en Allemagne, elle y acquérait droit de cité, elle pouvait se propager à l'abri du sceptre impérial. Quelques années paisibles s'écoulèrent sous le provincialat du Père Loeffler; mais au mois de mai 1831 le choléra envahit la Gallicie. Devant ce fléau encore inconnu, les populations restaient muettes; l'épouvante régnait partout. Le peuple des campagnes se précipitait dans les villes pour invoquer des secours; le peuple des villes fuyait dans les campagnes afin d'éviter la contagion. La seule Gallicie a déjà perdu plus de quatre-vingt-dix-sept mille de ses enfants, et l'active charité des Jésuites semble se multiplier comme la terreur. Tout à coup un nouveau désastre frappe les Galliciens et les Pères. Un seul membre de la Compagnie, nommé Wiesiclewicz, qui s'est dévoué à servir les soldats atteints du fléau, périt au milieu d'eux 2. Les autres, soutenus par leur courage,

Avant les ravages que le choléra-morbus exerça en 1831 et 1832, l'Europe ne le connaissait pas comme maladie épidémique. Ce fléau parut pour la première fois au mois d'août 1817, dans un village de l'Indostan situé sur un terrain marécageux, non loin des bouches du Gange. L'humidité qui pénétra dans les obscures habitations de ce village à la suite de pluies torrentielles fut, dit-on, l'origine de cette maladie. A la vue du premier qui en fut atteint, à ses vomissements, à ses contractions de nerfs, aux épouvantables symptômes qui précédèrent la mort, les Indiens crurent au poison. Mais le fléau se propagea si rapidement qu'il fallut bien l'accepter comme une épidémie. La terreur fut grande. Elle dispersa les habitants, qui portèrent partout le germe du mal. Dans l'espace de six ans, le choléra envahit une largeur de mille lieues de France sur deux mille huit cents de longueur, et il tua neuf millions de créatures humaines. Après avoir visité la Chine, les empires de Siam, du Bengale, de Perse et plusieurs autres contrées de l'Asie, il gagna en 1828 les troupes russes guerroyant dans la Géorgie. Avec elles, il passa en Russie, et de là il fondit sur la Gallicie.

2 Passerat, Vice-Général des Redemptoristes, en Autriche, écrivait le 2 juillet 1831 au Jésuite Nisard, qui se trouvait à cette époque en Gallicie : « Je vous félicite, mon Révérend Père, et toute votre sainte Société, de la protection spéciale que la divine Providence vient de vous accorder dans la calamité qui afflige vos contrées et menace les nôtres. Mais n'était-il pas juste que l'ange exterminateur eût pour le nom de l'Agneau que vous portez autant de respect qu'il en eut jadis pour la figure de son sang?"

« السابقةمتابعة »