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A peine la Société de Jésus fut-elle reconstituée dans le monde catholique, qu'elle se vit bannie de l'Empire devenu son second berceau par les soins de l'impératrice Catherine et de Paul Ier. Le jour des restaurations était arrivé; les rois de la maison de Bourbon, à l'exemple du Souverain Pontife Pie VII, essayaient de réparer la grande iniquité contre laquelle Catherine de Russie et Frédéric II de Prusse protestèrent si énergiquement. Les Jésuites étaient réhabilités par le Saint-Siége et par les Rois qui avaient proscrit l'Institut; dans le même temps, la Russie, leur patrie d'adoption, les repoussait de son sein. Après les avoir reçus exilés, elle semblait regretter la bonne foi de son hospitalité et dénoncer à l'Europe les Religieux préservés de la mort. Ce revirement d'idées pouvait être fatal à la Compagnie de Jésus; il l'exposait à des soupçons qui, inévitablement, allaient réveiller les vieilles haines; il embarrassait ses premiers pas sur un sol encore mal affermi. Le Czar, au plus haut point de sa puissance militaire et morale, eût été pour les disciples de saint Ignace, ses sujets ou ses hôtes, un ennemi dangereux; Alexandre trouva assez de justice dans son cœur pour ne pas laisser dénaturer les motifs de l'expulsion des Jésuites; il n'en fit pas mystère, il ne s'attacha point à propager contre eux des mensonges que leurs ennemis de tous les temps auraient accueillis avec avidité. Cette expulsion n'eut rien de déskonorant ni pour la conscience ni aux yeux des hommes, elle fut le produit d'une rivalité de religion. L'Empereur et le gouvernement Fusse la présentèrent dans ces termes; l'Europe l'accepta ainsi : pour la faire comprendre, il n'y a donc qu'à développer les événements et les caractères.

Tant que les Jésuites, encore peu nombreux, s'étaient occupés de reconstruire leur Société avec les débris du naufrage, le Clergé russe et le corps enseignant n'avaient fait éclater aucune défiance contre ces proscrits. Sans prendre ombrage de leur aptitude pour élever la jeunesse, on les laissait, au fond de la Russie-Blanche ou au milieu des colonies du Volga, porter l'Évangile et la civilisation. Mais, lorsque l'amitié de Paul Ior pour le Père Gruber et les rapides succès d'une milice à peine réorganisée et toujours aussi mcdérée que savante curent placé les Jésuites sur un plus vaste théâtre, les Popes et les Universi

taires de Vilna sentirent qu'un coup funeste allait être porté à leur omnipotence. La comparaison que toutes les intelligences établissaient tournait à leur détriment. Ils s'avouaient leur infériorité dans les lettres humaines comme dans les sciences divines. Trop humiliés, trop tenus en servitude pour se relever de cet abaissement normal, its ne consentaient pas cependant à perdre le dernier reflet de pouvoir qui assurait leur précaire existence. Le Pope russe n'est pas dans les conditions du Prêtre catholique; il ne peut en avoir l'obéissance raisonnée, il n'en a jamais eu l'éducation, la charité et le zèle. On ne le voit point, aumônier du riche et père du pauvre, inspirer à toutes les classes le respect et la confiance. Le spectacle des vertus que les Jésuites lui donnaient, la considération dont ils jouissaient, cet ensemble de devoirs accomplis, tout cela fit une profonde impression sur le Clergé schismatique. L'admiration dégénéra bientôt en jalousie. Il n'était pas possible d'imiter les disciples de saint Ignace dans l'enseignement et dans l'apostolat : les Prêtres grecs, de concert avec les Universitaires, se mirent à leur déclarer une guerre sourde. On épia leurs paroles, on dénatura leurs pensées, on essaya de rendre suspects leurs actes les plus indifférents; on mit en jeu l'orgueil national, on affecta des craintes chimériques sur la perpétuité de la religion du pays que l'on prétendait menacée par le prosélytisme. Quand ces ferments furent semés dans les cœurs, on attendit l'heure favorable à leur développement; cette heure ne tarda pas à sonner.

Alexandre avait suivi, à l'égard des Jésuites, la ligne de conduite adoptée par son aïeule et par son père. Il les protégeait, il les encourageait, et, en 1811, il leur avait ouvert la Sibérie. Une Mission s'était formée dans ces déserts inhospitaliers, car l'âme chrétienne de l'Empereur n'osait pas abandonner sans secours religieux les Catholiques exilés ou ceux que l'appât du gain retenait au milieu des glaces. Trois Pères de la Compagnie, désignés par le Monarque, se rendirent à ses vœux ; dans la même année d'autres partaient pour Odessa. Cette naissante colonie devait à deux Français la part la plus merveilleuse de ses prospérités. Le duc de Richelieu et l'abbé Nicolle, voyaient, chacun dans sa sphère, triompher le plan de gouvernement et d'éducation qu'ils avaient proposé. Ils demandèrent des Jésuites pour donner à leur œuvre

l'extension dont elle était susceptible; il fallait agrandir le cercle des progrès sociaux. Les Missionnaires de l'Institut avaient le don des langues. Par la persuasion ou par la charité ils prenaient un ascendant irrésistible sur les Barbares; ils les réunissaient en famille afin de leur apprendre peu à peu à bénir le joug de la civilisation. L'Empereur voulut s'associer aux projets de Richelieu et de Nicolle d'autres enfants de saint Ignace furent envoyés par lui à Odessa. Cette ville devint le centre d'une nouvelle Mission qui répandit en Crimée le bienfait du Christianisme.

Le Père Thadée Bzrozowski étudiait le travail de l'Ordre dont il était le chef; il connaissait la pensée dominante de l'Empereur, pensée ne tendant à rien moins qu'à propager l'instruction dans les terres les plus reculées. Afin de seconder un aussi louable projet, Bzrozowski ne craignait pas de s'engager dans un conflit avec les ambitions universitaires. Doué d'une rare intelligence, esprit tenace et patient, il se sentait appuyé par un homme qui jouissait à la cour de Russie d'une autorité plutôt due à son génie qu'à son titre diplomatique. Le comte Joseph de Maistre, ambassadeur de Sardaigne auprès du Czar, s'était, avec la franchise de ses convictions et la roideur un peu absolue de son caractère, prononcé en faveur des Jésuites. Il les soutenait comme une des clefs de la voûte sociale; et, dans ce laborieux enfantement d'un plan d'éducation populaire, il excitait Bzrozowski à créer à son Institut une position indépendante. Les Maisons des Jésuites étaient subordonnées aux Universités de leur ressort. Il importait d'affranchir les colléges de ces tiraillements intérieurs que l'esprit de monopole ne cesse de susciter, et qui compromettent l'avenir. Des discussions s'étaient plus d'une fois élevées entre l'Académie de Vilna et les Pères de Polotsk. L'Université désirait, à force de surveillance chicanière et de prescriptions minutieuses, altérer dans son essence l'éducation donnée par les Jésuites. Elle les entravait dans leur marche et leurs progrès, elle voulait que les jeunes gens sortis du collège de la Compagnie vinssent recevoir dans son sein le complément de l'instruction.

L'Université de Vilna, renforcée d'un grand nombre de docteurs étrangers et de régents cosmopolites, affichait alors des

principes anti-catholiques. Elle avait le droit incontesté de professer la Religion de l'État, d'exiger même que cette Religion fût respectée dans toutes les chaires; mais ce droit ne s'étendait pas jusqu'à discuter la foi des autres sujets russes et à chercher à la tuer sous l'arbitraire. Les Jésuites, là comme partout, invoquaient la liberté. Soumis à l'inspection des visiteurs universitaires, les Pères ne s'opposaient point aux rigoureux examens dont leurs élèves étaient l'objet. Cet état d'infériorité légale ne nuisait en aucune façon à la Société de Jésus; mais il entretenait dans les esprits une irritation qui, à la longue, pouvait empêcher les Novices de la Compagnie et les professeurs de Vilna de se livrer à des études sérieuses. Cette question de prééminence avait souvent été traitée aux deux points de vue. Le débat l'avait agrandie; peu à peu elle était devenue une question d'État. Le Père Bzrozowski s'efforçait de mettre un terme à cette instabilité, et, le 24 août 1810, il écrivait au comte Rasoumoffski, ministre de l'instruction publique : « Deux corps en rivalité s'empêchent mutuellement de nuire. Il est sans doute très-important que la jeunesse de l'État soit élevée dans des principes de patriotisme, dans des sentiments de soumission, de respect et de dévouement pour la personne du Souverain; mais quelle certitude a-t-on que ces sentiments soient soigneusement inculqués dans les Universités, dont beaucoup de professeurs ne tiennent à l'Empire que par les appointements qu'ils reçoivent, qui ont des intérêts différents et indépendants de ceux de l'État, et qui, par là même, paraissent plus propres à éteindre qu'à enflammer le patriotisme dans le cœur de la jeunesse ? »

Le mode d'enseignement des Jésuites et ses résultats se trouvaient attaqués par tous ces hommes appelés de l'Orient et de l'Occident pour féconder la Russie. Les enfants de Loyola défendaient leur Ratio studiorum. L'Université, jalouse de ses priviléges et se confiant dans son monopole pour immobiliser le progrès littéraire ou scientifique, demandait à assujettir les Pères à ses lois et à ses règlements. Les Jésuites, au contraire, prétendaient que du libre concours des diverses méthodes il devait surgir une génération plus forte. Dans le but de stimuler l'émulation, sans faire écraser l'un par l'autre, ils proposaient à l'Empereur d'ériger leur Collége de Polotsk en Université, sous la

surveillance immédiate et spéciale du gouvernement. Le 11 septembre 1811, le Général de l'Ordre adressait au comte Rasoumoffski une note dans laquelle on lit : « Nous ne demandons absolument rien que d'être maintenus dans la possession des biens dont nous jouissons actuellement. Ce qui rend les Universités si coûteuses à l'État, ce sont les honoraires des professeurs que l'on est souvent obligé de faire venir à grands frais des pays étrangers. Quant à nous, notre Ordre fournit tous les professeurs dont nous avons besoin, et chacun de ces professeurs donne tous ses soins et tout son travail sans aucun salaire, sans aucune vue de récompense temporelle, et uniquement pour satisfaire au devoir de sa vocation. »>

Cette correspondance du Père Bzrozowski avec le ministre du Czar, ces notes qu'Alexandre consultait, et qui s'accordaient si bien avec son esprit de justice et les prières de ses sujets catholiques, ont quelque chose de réellement habile; elles forment une véritable théorie de l'éducation. Ce que les Jésuites et les habitants de la Russie-Blanche sollicitaient était de toute équité. Alexandre le comprenait ainsi; mais, autour de lui et dans les régions inférieures du pouvoir, il existait des préjugés, des ambitions, des rivalités de secte ou de culte s'opposant à cet acte d'émancipation. Les uns montraient la Religion grecque en péril, les autres proclamaient que bientôt les Jésuites auraient envahi les diverses branches de l'administration publique; tous s'accordaient à dire que la Compagnie abuserait de la liberté pour étouffer les autres corps enseignants. Il paraissait à peu près impossible aux enfants de Loyola d'obtenir ce qu'ils demandaient, lorsque le comte Joseph de Maistre se jeta dans la mêlée avec son éloquence incisive et sa raison allant toujours au but, sans se préoccuper des obstacles.

Le comte de Maistre était plutôt un grand écrivain, un hardi penseur, qu'un diplomate. Il y avait dans son esprit et dans son cœur une telle surabondance de vie, un dévouement si complet à l'idée qui lui paraissait être la vérité révélée ou démontrée par le raisonnement, qu'il la portait en triomphe aussi loin qu'il est permis à la faiblesse humaine. Les demi-mesures de l'esprit de parti, les atermoiements de l'intelligence, les difficultés de temps ou de lieu, rien ne faisait obstacle à cette sève de génie débor

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