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M. Thiers prit à forfait l'éloge de l'Université et la censure du Clergé. La proscription des enfants de Loyola fut offerte comme arrhes aux deux parties contractantes sur l'autel de la liberté d'enseignement.

Quand il s'agit de sa personne, M. Thiers, dont les instincts égoïstes et mercantiles prennent toujours les grandes questions par les petits bouts, possède un rare talent de mise en scène. Il avait décidé dans les coulisses parlementaires qu'il serait nommé rapporteur du projet de loi sur l'instruction publique, et, désirant que son dernier coup de foudre contre la Société de Jésus fût annoncé par quelques éclairs précurseurs de la tempête, il commanda le Juif Errant dans les ateliers du Constitutionnel. C'était une mauvaise action en dix volumes, un outrage au bon sens ainsi qu'à la littérature, et dont, pour fermer à tout jamais la bouche à la calomnie, les Jésuites devraient imposer la lecture à leurs adversaires les plus aveugles. Le Juif Errant patrona le rapport de M. Thiers. Le rapport de M. Thiers commenta les impuretés de M. Eugène Süe. L'un se confectionna un Catholicisme de hasard, il parla de l'auguste religion de ses pères pour tromper les simples; l'autre se créa humanitaire et socialiste dans le but de faire descendre l'imposture jusqu'au fond du cœur des artisans séduits par cette décevante pitié. Le Constitutionnel établit une solidarité qui porta malheur au romancier et à l'homme politique.

Les Jésuites avaient été subitement élevés au rang de ces puissances fatidiques que le moyen âge pressentait dans de superstitieuses terreurs. Pour donner une idée de l'effroi que leur nom provoquait, M. Michelet, s'appuyant sur les fantômes entrevus dans le délire, disait, aux applaudissements de ses auditeurs1 : « Le Jésuitisme, l'esprit de police et de délation, les basses habitudes de l'écolier rapporteur transportées du Collège et du Couvent dans la société entière, quel hideux spectacle!... tout un peuple vivant comme une maison de Jésuites, c'est-à-dire du haut en bas occupé à se dénoncer. La trahison au foyer même, la femme espion du mari, l'enfant de la mère... Nul bruit, mais un triste murmure, un bruissement de gens qui confessent les péchés d'autrui, qui se confessent Des Jesuites, par MM. Michelet et Quinet, p. 12.

les uns les autres et se rongent tout doucement. Ceci n'est pas, comme on peut croire, un tableau d'imagination. Je vois d'ici tel peuple que les Jésuites enfoncent chaque jour d'un degré dans cet enfer de boues éternelles. >>

A la même époque cependant, ces Prêtres, qui ont un pied dans chaque famille, une oreille ouverte à tous les secrets, un espion et un dénonciateur à chaque porte, sont inopinément dépouillés par un vol domestique d'une somme de plus de 200,000 francs. Jean-Baptiste Affnaer, d'une famille belge où la probité et la religion étaient héréditaires, frappe, vers le mois de janvier 1841, à la maison de la rue des Postes. Il est sans ressources, sans pain; il se dit malheureux. Les Jésuites auxquels un ecclésiastique, son compatriote, le recommanda, l'accueillent avec charité. Il a été condamné dans la Flandre occidentale comme faussaire et banqueroutier frauduleux; il cache cet épisode de sa vie, et, par d'hypocrites démonstrations, il capte peu à peu la bienveillance des disciples de l'Institut. Placé à l'économat, sous les ordres du Père Moirez, il a des appointements aussi modestes que ses fonctions; il vit dans une retraite absolue qui convient, dit-il, autant à sa fortune qu'à sa piété. Tandis qu'il berce les Jésuites de son détachement des plaisirs du monde, Affnaer commence dans Paris une existence de luxe et de ruineuses prodigalités. Pour subvenir à ses folles orgies, il place sous sa main la caisse où sont contenus les titres de rente et les diverses valeurs servant à entretenir les Missions au delà des mers, et à pourvoir les autres Provinces de l'Institut de tous les objets religieux ou scientifiques qu'on ne trouve qu'à Paris. Affnaer vole, il dépense; il vole encore, il vole toujours. Il a des chevaux, des maîtresses, des amis et une fausse clef. Il lacère les feuillets des livres de compte, il transporte, il surcharge les chiffres, afin de ne pas éveiller l'attention. Pendant deux années et demie, il vécut, jusqu'au jour de sa fuite en Angleterre, sur la confiance qu'il inspira. Ces Jésuites, à qui rien n'échappe, restent dans la plus complète ignorance de ce qui se passe à leur porte. Quelques maisons seulement les séparent de celle qu'Affnaer habite, et il ne leur revient aucun bruit, aucun soupçon des débauches que leur argent alimente.

Affnaer est de retour à Paris; les Jésuites ont dénoncé son larcin Affņaer est arrêté le 28 juin 1844. Ce n'était qu'un vagabond spéculant sur l'incommensurable bonne foi de ses dupes. A peine la Justice lui a-t-elle fait subir un premier interrogatoire que le fripon se transforme en misérable. Il sait qu'il rencontrera dans la presse de complaisants échos pour reproduire ses délations. Il ne manquera pas d'appui pour étayer un échafaudage d'impostures. La presse révolutionnaire en effet prend le voleur sous son patronage. Elle devient son courtisan à la geôle; elle dramatise ses mensonges; elle s'efforce de poétiser le rôle infâme que cet homme a joué. Elle menace la Compagnie de Jésus de toutes les révélations qu'il peut faire; bientôt, dans le Constitutionnel, Affnaer arrive au niveau de la grandeur de M. Thiers et de la véracité de M. Süe, On lui fabrique une gloire qui éclipse momentanément celle des Cousin, des Quinet et des Dupin. Les Jésuites étaient victimes d'un de ces abus de confiance qui frappent les honnêtes gens seuls; la presse révolutionnaire plaignit le fripon. Par la plus cynique de toutes les aberrations d'esprit, elle tenta d'accréditer les rumcurs qu'elle inventait sur un événement aussi simple.

La justice était saisie par les Jésuites eux-mêmes : la justice informa. Affnaer comparut enfin les 8 et 9 avril 1845 devant la Cour d'assises de la Seine. De toute cette fantasmagorie qui avait cherché à égarer la crédulité publique, il ne resta plus alors qu'un voleur de bas étage dont le courageux réquisitoire de l'avocat général, M. de Thorigny, brisa pour jamais le masque constitutionnel. Affnaer fut flétri par le jury et oublié par les hommes qui avaient voulu le doter d'une impudence à laquelle la fermeté des magistrats le contraignit de renoncer. Pour instruire ce procès, pour démontrer que toutes les versions de l'accusé étaient autant de fables, il avait fallu que l'oeil investigateur des juges d'instruction et des membres du parquet étudiat les registres de la Compagnie. On descendit jusqu'aux plus minutieux détails de ses affaires. Le voleur s'était imaginé que les Jésuites ne consentiraient jamais à livrer le secret de leur existence à un pouvoir qui ne demandait pas mieux que les saisir en faute. La publicité devait, selon lui, effrayer les Pères; ce fut cette idée qui le ramena audacieusement à Paris.

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On leur imputait tous les crimes; dans le même moment, ils ouvrent aux préventions de la Magistrature le plus court chemin pour les dévoiler. La Magistrature se tut. Ce silence, en face de l'ardente hostilité des partis, est le plus significatif des éloges pour la Compagnie.

Cependant le Ministère, sans cesse harcelé par les clameurs de l'opposition, résolut de sacrifier les Jésuites. Il ne les avait ni soutenus ni encouragés; mais, dominant de toute la hauteur de sa pensée philosophique ces clameurs auxquelles son protestantisme éclairé répugnait à s'associer, M. Guizot avait jusqu'alors refusé d'immoler la liberté religieuse à d'absurdes préjugés. Il ne se prêtait qu'à contre-cœur aux persécutions dont il confessait l'iniquité; néanmoins, les choses étaient poussées si avant, qu'il fallait offrir une satisfaction quelconque à ces écrivains, à ces orateurs se blessant eux-mêmes sur le champ de bataille où ils ne rencontraient pas d'adversaires. La position des Jésuites vivant en France comme citoyens soumis aux lois du pays était inattaquable. On pouvait les égorger dans une émeute, leur appliquer un des cent mille décrets de proscription oubliés dans les limbes du Comité de salut public, être implacable selon le conseil peu libéral de M. Dupin; mais ces mesures avaient leur côté odieux ou ridicule. Le gouvernement, désintéressé dans la querelle, reculait devant de pareilles violences; il disait avec Portalis, le savant ministre des cultes dans les premières années du règne de Napoléon : « Les lois ne peuvent régler que les actions; la pensée et la conscience ne sont pas du ressort des lois. L'empire sur les âmes est un genre de domination que les gouvernements humains ne connaissent pas et ne peuvent pas même connaître. Les lois ont donc fait ce qu'elles peuvent et tout ce qu'elles doivent pour la liberté humaine lorsqu'elles ont annoncé qu'elles ne reconnaîtraient et qu'elles ne sanctionneraient aucun vœu perpétuel. Elles n'ont pas d'ailleurs à s'inquiéter de ce qui n'intéresse que la conscience; il ne leur appartient pas de forcer le retranchement impénétrable du cœur de l'homme. »>

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Convaincu de cette vérité, le gouvernement avait les mains

Rapport à l'Empereur (24 mars 1807).

liées; il jugea plus opportun de demander au Saint-Siége un service que ses promesses escomptèrent à l'avance. Les Jésuites, n'existant dans le Royaume qu'à l'état d'individus, de prêtres séculiers autorisés par l'Ordinaire, n'avaient rien à démêler avec les chicanes de police administrative. Ils n'appartenaient à l'Ordre de Jésus que dans leur conscience; la loi était donc impuissante à connaître d'un vœu ou d'une intention ne se manifestant point au dehors et ne réclamant d'autres priviléges que ceux dont jouit chaque Français. Il était légalement, constitutionnellement impossible de forcer les disciples de l'Institut derrière ce rempart de la liberté individuelle; on crut que Rome se prêterait, sans trop de difficultés à une complaisance. La mission de M. Rossi fut décidée.

M. Rossi était un de ces condottieri de l'intelligence qui n'ont d'autre patrie que le lieu où il leur est permis d'abriter la fortune sous leur tente. Les premières années d'une vie nomade avaient vu cet Italien professer des doctrines peu en harmonie avec la Foi catholique et les principes conservateurs. A Genève, il avait servi tous les dieux, il aurait courbé la tête sous tous les cultes. Un hasard, heureux pour lui, le poussa vers la France. Il y prit racine; bientôt il fut un des truchements les mieux rétribués du pouvoir. La Faculté de droit, l'Université, la Chambre des Pairs s'ouvrirent devant lui, et, afin de le mettre à même de mériter les faveurs dont on l'avait accablé, on l'envoya négocier auprès du Souverain Pontife l'expulsion à l'amiable des Jésuites.

Jamais ambassade allant proposer un glorieux traité de paix ou tracer la délimitation de provinces conquises ne tira de la presse autant d'importance; jamais nom ignoré ne recueillit en quelques jours autant de félicitations et d'outrages. Il se dirigeait vers Rome pour mendier l'exil ou la mort religieuse des Jésuites français; tous les partis s'occupèrent de lui. Les uns chantèrent son triomphe hypothétique, les autres ne virent dans le nouveau plénipotentiaire qu'un affront jeté au SaintSiége. L'humble étranger qui était venu quelques années auparavant tenter le sort à Paris prenait des proportions colossales. Il grandissait sous les vœux des adversaires de l'Église, comme sous les malédictions des Catholiques. On le fit tout à la fois

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