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Ils ont à subir des vicissitudes de toute sorte, des outrages de toute nature; mais enfin, vers l'année 1810, ils arrivent à la solution du problème. Les colons de Mozdok, vaincus par la persévérance des Missionnaires, leur rendent les armes, et déjà le Père Woyzevillo se jette dans le Caucase pour annoncer aux indigènes le Dieu mort sur la Croix. Des obstacles insurmontables semblent conspirer pour frapper leurs travaux de stérilité. Les Pères Suryn et Gilles Henry en triomphent par des merveilles de patience et de courage. Ils sont les Apôtres de ces hommes à demi barbares; ils deviennent les Anges protecteurs des troupes russes cantonnées au milieu de ces régions, chaque jour exposées au double fléau de la peste et de la guerre.

D'inénarrables privations, d'affreuses souffrances étaient réservées aux Jésuites dressant leur tente dans ces montagnes. A la voix de leur chef, aucun ne recule, et, dans l'abandon de leur correspondance intime, voici de quelle manière ils acceptent cette vie de tribulations. Le Père Gilles Henry, Jésuite belge, écrit de Mozdok, le 29 juin 1814 : « On vient de publier ici l'ordre de renvoyer tous les Polonais. Tout en entrant dans leur joie, je me sens le cœur singulièrement affligé de voir partir ces pauvres malheureux, que nous avons comme régénérés en les transformant en agneaux, d'ours qu'ils étaient. Maintenant mes dépenses me paraissent agréables, et je ne prévois qu'avec peine le moment où je ne devrai plus me priver de mon pain, de mon dîner pour en nourrir l'affamé, de mon manteau, de mes bottes et même de mes bas pour en revêtir les membres précieux, les frères bien-aimés de mon Sauveur. Il me semblera qu'il me manquera quelque chose lorsque je n'aurai plus l'occasion de revenir couvert de vermines. Si j'avais quelque chose à regretter, c'est de m'être trop défié de la Providence, c'est de ne pas m'être privé davantage de mon repos pour alléger leurs douleurs. »

Dans une autre lettre du 13 juillet 1814; ce même Jésuite écrit encore : « On a été dans de grandes alarmes à Astrakhan, on a cru que le révérend Père Suryn était tombé entre les mains des païens. Depuis sept ans, j'ai, chaque jour, de pareilles craintes sur le compte de notre Supérieur. Mais serait-ce donc un malheur, si l'un de nous, en exerçant le saint ministère,

était fait prisonnier? Heureuse captivité qui probablement briserait les chaînes par lesquelles l'enfer tient les Montagnards en captivité! Serait-ce un malheur si l'un de nous était dévoué à la rage des païens? Nous voulons arborer l'étendard de la Croix, et le sang des Martyrs n'est-il pas la semence des Chrétiens? »

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Le 10 août de la même année, le Père Henry n'ambitionne plus le martyre. Il raconte les calamités auxquelles ses pauvres Chrétiens et ses soldats captifs se voient en butte. Ici ce sont des nuées de sauterelles qui dévorent les moissons et empoisonnent l'air; là c'est la peste avec toutes ses horreurs ; puis, après le récit de ces fléaux, le Jésuite ajoute en sollicitant grâce pour sa cbarité: « Il me reste à demander pardon des dépenses que j'ai faites. Comment agir? Quelle règle observer lorsqu'un malade meurt faute de pain, sort de l'hôpital sans chemise ? Qu'auriez-vous fait si vous eussiez rencontré le fils de M. le comte Potocki sans bas, sans souliers, sans culottes, sans chemise? Pourrait-on me reprocher d'avoir demandé son mouchoir à la première dame que je rencontrais, ses bottes à un cosaque, sa chemise à un autre? Mille cas semblables se présentent. Depuis Pâques je suis sans argent, et je dépense par mois trois cents roubles. Grâce à la divine Providence, je n'ai pas de dettes. Personne ne serait resté en vie pour porter de nos nouvelles en Pologne; mais j'ai fait instance auprès du Général, et, quoiqu'il n'y ait ici aucune troupe pour les remplacer, il vient d'envoyer par une estafette ordre de faire partir de suite tous les Polonais de Mozdok, les malades mêmes sur des voitures. Quels douloureux adieux je vais recevoir ! J'en reçois de plus consolants des moribonds qui, au moment de rendre l'âme, tournent encore les yeux vers moi, comme s'ils voulaient me dire « A vous revoir dans le ciel, mon cher Père. »

Telles sont les vastes conspirations dont les Jésuites s'occupent sans cesse. Ce que le Père Henry retrace avec tant de naïveté, tous les autres, dispersés dans l'Empire de Russie, le confirment par leurs écrits et encore mieux par leurs actes. Le jour la nuit ils sont entre les désespoirs de la peste et la pénurie de secours humains. Ils subviennent à tous ces maux; et, lorsque l'arrêt de proscription leur est signifié sur cette terre

désolée, le Père Gilles Henry adresse au Père Grivel sa dernière lettre. Elle est ainsi conçue :

<«< Depuis seize ans que nous sommes à Mozdok, au pied du mont Caucase, nous avons tenté inutilement de pénétrer dans l'intérieur des terres occupées par des gens barbares, Païens ou Mahométans, qui regardent comme une bonne œuvre le massacre d'un Chrétien. Cependant nos travaux n'ont pas été inutiles et pour les colons du pays, et surtout pour les troupes qui passent sans cesse en ce pays, de la mer Caspienne à la Mer Noire et de Mozdok à la Géorgie. Depuis l'invasion de la Russie par les Français, nous n'avons pas eu un moment de repos. Le gouvernement russe a envoyé ici douze mille Polonais prisonniers, sans foi, sans mœurs; mais l'exil et les maladies les ayant attaqués, nous en avons profité pour les ramener à de meilleurs sentiments, et Dieu a béni nos travaux.

» A Mozdok, nous avons deux cents Catholiques, Arméniens fidèles; et, comme il passe ici beaucoup d'étrangers qui vont ou reviennent de Russie en Géorgie ou en Chine, et qu'on ne trouve ni hospice ni hôtellerie, nous avons bâti un grand hospice où tous les voyageurs sont admis indifféremment, et gratis autant que nous pouvons. Nous avons eu occasion de donner l'hospitalité à plusieurs Anglais. Nous avons élevé une grande église. Après avoir tant travaillé pour le bien de cet État, on veut nous renvoyer comme tous les autres Jésuites. Mais, non contents de nous chasser, on voudrait nous déshonorer en nous rendant apostats. On nous a fait des promesses et des menaces. Nous avons répondu qu'avec la grâce de Dieu, nous voulions vivre et mourir dans la Compagnie de Jésus. »

On les expulsait du Caucase au moment où l'Asie allait se rouvrir devant eux. Les Arméniens, délivrés du joug des Perses et tombés sous la domination de la Russie, montraient une vive répugnance à embrasser le schisme des Grecs. Ils invoquaient des Missionnaires pour se confirmer dans leur Foi. La Perse faisait le même vœu ; elle demandait les membres de la Société de Jésus que l'empereur Napoléon lui avait fait entrevoir un jour. Lorsque le Général Gardane conclut, au mois de janvier 1808, alliance avec la Perse, Napoléon, qui voulait se faire accepter en Asie comme l'héritier direct des Rois ses prédéces

seurs, fit insérer dans le traité une clause vraiment extraordinaire. Il exigea protection pour les Jésuites que la France aurait le droit d'envoyer en Perse, et cela au moment même où ils étaient bannis de son Empire et où le Pape ne les avait pas rendus à l'existence. Mais ce nom de Jésuite retentissait au loin; il portait avec lui une signification que les Orientaux se montraient heureux d'admettre. Napoléon, au témoignage du colonel Mazorewicz, ambassadeur de Russie à Téhéran, se garda bien de laisser échapper ce moyen d'influence.

On avait calomnié les disciples de Loyola passant leur vie dans les glaces de la Sibérie et dans les montagnes du Caucase, entre la misère des indigènes et les langueurs des exilés. Lorsque le gouvernement apprit que la détermination de ces Pères était aussi immuable que celle de leurs compagnons, Galitzin, qui sent le besoin de les conserver, leur propose une dernière transaction. Ils sont libres de rester fidèles à leurs vœux, on les accepte comme Jésuites; ils doivent seulement se dépouiller de leur habit et de leur nom. Les Missionnaires, encore plus attachés à leur Institut qu'au calvaire sur lequel ils se placent volontairement, calvaire qui ne leur manquera pas ailleurs, refusent le compromis. Les négociations durèrent plus d'un an ; et, lorsqu'ils partirent de ces lieux, où ils avaient adouci tant de souffrances, les Gouverneurs-Généraux les comblèrent de témoignages d'estime. Dans la Crimée comme sur les bords du

Le traité conclu entre la France et la Perse contient, à l'article 15, les clauses suivantes :

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« Les Prêtres qui se trouveront en Perse pour instruire et diriger les Chrétiens seront honorés de toute la bienveillance de Sa Hautesse, à condition qu'ils ne s'ingéreront point dans ce qui regarde la Foi musulmane, et qu'ils ne se permettront rien de contraire à cette Religion. Les Prêtres, Moines et Religieux de la loi de Jésus qui habiteront la Perse pour remplir les fonctions de leur culte, se trouvant à l'ombre de la protection impériale, ne seront vexés ni tourmentés par personne, et eux-mêmes ne mettront jamais le pied hors le sentier du devoir, et ils ne devront jamais rien faire qui puisse blesser et contrarier la croyance musulmane; et si un Musulman, des Arméniens ou des Européens se comportaient avec irrévérence envers des Prêtres, le juge de l'endroit, après la vérification des choses les punirait et les remettrait dans le devoir, de façon que dorénavant ils ne leur manquassent plus de respect. Les juges ne trouveront pas mauvais que les Chrétiens habitant les contrées du Daghestan, de Tauricz et de Kara Bagh, de l'Yrak, du Farsistan et autres provinces de l'Empire, portent du respect aux Prêtres. Personne non plus ne contrariera les Arméniens et enfants d'Arméniens qui seront auprès des Prêtres, soit pour s'instruire, soit pour les servir. Si les Prêtres désirent construire soit une église, soit une chapelle, personne ne les en empêchera, et on leur donnera aussi un terrain, conformément à ce qui est énoncé en l'article 2. » (Recueil des traités de commerce et de navigation entre la France et les puissances étrangères entre elles, par M. le comte d'Hauterive.)

Volga, la séparation fut aussi cruelle. Le marquis de Pallucci avait déploré leur retraite, le général del Pozzo, qui commandait à Astrakhan, mourut de douleur, et les Chrétiens du Caucase essayèrent de désobéir à l'ordre de l'Empereur. On chercha en Allemagne et en Pologne des Ecclésiastiques pour remplacer les Jésuites qui évangélisaient ces montagnes, il ne s'en présenta point.

Les affiliations bibliques triomphaient en Russie sur les débris de la Compagnie de Jésus; leur victoire ne fut pas de longue durée. Sous le règne d'Alexandre, elles avaient pris de vastes développements, mais peu à peu le Czar s'avoua qu'il s'était donné des maîtres. Son âme inquiète cherchait partout la vérité comme un aliment nécessaire à ses pensées; il essaya de comprimer l'essor de ces Sociétés, dont le but n'était plus pour lui un mystère. Lorsque, aux portes du tombeau, il confessa, dit-on, la divinité et la prééminence du Catholicisme 1

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Ce retour vers l'unité catholique ne se trouve confirmé par aucun acte officiel, par aucun témoignage public. Le caractère d'Alexandre, son penchant pour la vérité religieuse et les tristesses de ses dernières années ont sans doute contribué à accréditer un bruit qui jusqu'ici n'a peut-être d'autres fondements que l'entrevue du Czar avec le prince abbé de Hohenlohe, dont le nom est si célèbre en Europe. Dans ses Lichtblieken und ergebnissen, le Prince raconte ainsi lui-même cette

entrevue:

S. M. l'empereur Alexandre vint à Vienne au mois de septembre 1822. Ce Monarque, qui avait voué une amitié sincère à la famille princière de Schwarzenberg, manifesta au prince Joseph de cette illustre maison le désir de me connaître.

"L'audience que S. M. devait me donner fut fixée au 21 septembre, à sept heures et demie du soir. Ce jour sera toujours pour moi un des plus remarquables de ma vie. J'adressai la parole en français à S. M., et je lui dis :

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Sire, la divine Providence a placé V. M. sur un des degrés les plus élevés de "la grandeur terrestre ; c'est pourquoi le Seigneur exigera aussi beaucoup de "V. M.; car la responsabilité des rois est grande devant Dieu. Il a fait choix de "V. M. comme d'un instrument au moyen duquel il a voulu donner le repos et "la paix aux nations européennes. De son côté, V. M. a répondu aux vues de la "Providence, en exaltant la bénédiction de la Croix et en relevant par votre "puissante volonté la Religion qui était renversée. Je regarde le jour d'aujour"d'hui comme le plus heureux de ma vie, parce que j'ai le bonheur, dans ce "moment, de témoigner à V. M. le profond respect dont je suis pénétré pour "elle. Que le Seigneur vous confirme par sa grâce, et qu'il vous protége par ses "saints anges! Telle sera l'humble prière qu'à partir d'à présent j'adresserai au "ciel pour V. M. "

"Ces paroles furent suivies d'une pause pendant laquelle l'Empereur ne cessa de me regarder; puis il se jeta à genoux en me demandant la bénédiction sacerdotale. Il me serait difficile d'exprimer par des paroles l'émotion que j'éprouvai dans ce moment. Voici tout ce que je pus lui dire de la plénitude du cœur :

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« Je dois permettre qu'un aussi grand Monarque s'abaisse de la sorte devant moi, parce que le respect que V. M. me témoigne ne s'adresse pas à moi, mais à celui que je sers et qui vous a délivré par son sang précieux, ô grand prince, " comme il nous a délivrés tous. Que le Dieu triple et un répande donc sur " V. M. la rosée de sa grâce céleste! Qu'il soit votre bouclier contre tous vos en"nemis, votre force dans chaque combat! Que son amour remplisse votre cœur,

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