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Pères avaient été, malgré eux, honorés des confidences de Catherine II: ils connaissaient sur le règne de Paul Ier des détails de famille qu'il était bon d'ensevelir dans les ténèbres. Le Père Gruber et les autres chefs de l'Ordre avaient su par ce souverain le dernier mot de beaucoup de transactions diplomatiques. Il les avait initiés de vive voix ou par correspondance aux douleurs de sa vie de grand-duc héréditaire, aux souffrances de sa vie d'Empereur. Les Jésuites avaient été les dépositaires de ses secrets de famille; ils lui avaient rendu de ces services que les rois eux-mêmes ne se sentent pas assez ingrats pour oublier. Cette réciprocité de bons offices avait établi une espèce de solidarité dont aucun des intéressés n'osait briser le prestige. Il y avait, pour ainsi dire, assurance mutuelle des deux côtés. La confiance avait engendré la discrétion, et ce singulier contrat n'a pas même été annulé par l'intolérance. Les Jésuites se sont laissé proscrire par le fils de Paul Ier, et ils ont pris la route de l'exil sans invoquer une vengeance qu'il leur eût été si facile d'obtenir. Ils se sont montrés dignes de l'estime du Czar, à l'heure même où ses ministres cherchaient à les rendre odieux au pays.

Le prince Galitzin et la police russe étaient maîtres de tous les papiers de l'Ordre; ils pouvaient ainsi se mettre à la piste des complots dont on croyait utile de laisser soupçonner les Jésuites. Les plus minutieuses investigations ne firent rien découvrir. Alexandre savait d'avance l'issue qu'elles auraient, il ne daigna même point s'en étonner en public. Aussi, lorsque le Père Bzrozowski demanda que le comte Litta ou un seigneur russe, désigné par lui, assistât à l'examen des archives de la Compagnie, cette proposition, n'ayant rien que de très-naturel, fut-elle rejetée sans examen. Par tradition de famille, l'Empereur connaissait la sagacité des Jésuites: il ne voulait ni leur préparer un triomphe ni se donner un dessous trop éclatant. Des intérêts matériels étaient engagés pour l'Église catholique de Saint-Pétersbourg. Les Pères se sont portés garants envers les bailleurs de fonds. Cette dette est, depuis l'origine, en 1806, reconnue comme dette de l'Église; par un ukase en date du 25 mai 1816, Alexandre déclare cependant : « Que toutes les prétentions pécuniaires qui pourraient avoir lieu contre les Pères

de l'Institut retomberont sur leurs biens-fonds, sans pouvoir être à charge au bâtiment nouvellement construit auprès de l'église catholique. »>

Les Jésuites ne s'effrayaient pas de ces vexations locales qu'un mot aurait pu arrêter. Ce mot coûtait trop à leur discrétion habituelle: ils aimèrent mieux souffrir que de le prononcer. Le 31 août 1816, le Père Bzrozowski écrivit à l'Empereur: « Dans le temps que l'affaire du neveu du Ministre des cultes éclata, je voulus envoyer une supplique à Votre Majesté pour lui exposer les faits, mais les Ministres la rejetèrent, et, en même temps qu'on envoyait à Votre Majesté des accusations contre mon Ordre, on m'ôtait tout moyen de lui faire parvenir ma défense. Ne pouvant faire agréer ma justification pour le passé, je pris des mesures pour l'avenir, et déclarai que, afin d'écarter tous les soupçons, je n'admettrais désormais dans nos Colléges que des élèves professant la Religion catholique. Je remis ma déclaration entre les mains du Ministre de l'instruction publique et du Ministre des cultes; et, depuis le mois de janvier 1815, aucun élève de Religion grecque n'a été reçu dans l'Institut, malgré les vives instances d'un grand nombre de parents... Voilà, Sire, des faits qui prouvent combien je désirais d'éloigner tout ce qui pouvait être suspect au gouvernement. Je supplie Votre Majesté Impériale de m'écouter encore un instant. Si mon Ordre était tel qu'on l'a dépeint à Votre Majesté, on en aurait trouvé quelque preuve dans mes papiers. Voilà huit mois qu'on les examine, et, loin d'y rien trouver qui puisse offenser le gouvernement, on a dû dire à Votre Majesté que, dans ma correspondance la plus secrète, lorsque l'occasion s'est présentée de parler de votre personne sacrée ou de son gouvernement, je l'ai toujours fait avec les sentiments de respect et de vénération qui sont dans mon cœur. Je ne demande pas, Sire, que Votre Majesté revienne sur ce qu'elle a fait; nous nous soumettons avec une entière résignation et sans le moindre murmure à ce qu'elle a prononcé. Que l'Ordre demeure à jamais exclu des capitales de l'Empire, le séjour nous en a été trop funeste. Notre ambition se borne à nous rendre utiles dans les lieux où Votre Majesté daignera nous employer. Votre Majesté sait que nous n'avons pas mis moins d'empressement à nous

dévouer au service pénible des Catholiques de la Sibérie qu'à accepter des emplois moins obscurs et plus agréables. Notre dévouement sera toujours le même, et le plus ardent de nos vœux est de prouver à l'univers que le souvenir des bienfaits de Votre Majesté est gravé dans nos cœurs en caractères ineffaçables. Mais nous avons besoin aussi d'avoir quelque assurance que nos efforts sont agréables à Votre Majesté Impériale, et qu'elle ne nous regarde pas comme des cœurs ingrats, indignes de ses bontés. J'ose lui en demander un gage, en la suppliant de m'accorder une grâce que je sollicite inutilement de ses Ministres depuis plus de dix-huit mois, c'est de pouvoir faire, avec deux Pères de mon Ordre, le voyage de Rome. Ma reconnaissance envers le Souverain Pontife et les affaires essentielles de mon Ordre m'y appellent depuis long-temps. Je me croirai heureux de manifester dans les pays étrangers ce que mon Ordre doit à Votre Majesté et les sentiments dont je suis pénétré. »

Ce voyage à Rome, la dernière pensée, le rêve suprême du vieux Bzrozowski, dérangeait les espérances piétistes de l'Empereur. Ce prince est dans la première ferveur de la SainteAlliance, c'est-à-dire il cherche, par cet acte de fédération, à réunir tous les cultes dans un seul qu'il entrevoit en songe et qui réalisera la tolérance universelle. Bzrozowski, proscrit de Pétersbourg et de Moscou, était prisonnier dans l'Empire russe. Alexandre s'occupe, avec une fébrile activité, de l'émancipation religieuse et constitutionnelle du monde entier, et il contraint un Général des Jésuites à mourir dans ses États, lorsque les affaires de la Catholicité et celles de son Institut l'appellent à Rome.

Du fond de la Russie-Blanche, Bzrozowski continua de gouverner les enfants de saint Ignace il dirigea leurs efforts, il assista à leurs premiers combats, il ouvrit leurs Missions transatlantiques; puis, le 5 février 1820, il expira, en désignant pour Vicaire le Père Mariano Pétrucci, recteur du Noviciat de Gênes. Cette mort, depuis long-temps prévue, faisait cesser une anomalie que, par déférence pour le pouvoir, les Jésuites avaient toujours respectée.

Il n'était pas possible que le Général d'une Société répandue sur tous les points du globe et partant du principe catholique

comme de sa source, pût résider ailleurs qu'au centre même de la Catholicité. Les Profès s'avouaient bien que le séjour du Général à Polotsk ou à Witebsk était un obstacle aux labeurs de leur Ordre et à la diffusion de l'Évangile. Ils se soumirent cependant sans murmure. Dans la personne de Bzrozowski, ils honoraient tous ces Pères, qui n'avaient jamais douté du rétablissement de la Compagnie et qui s'étaient efforcés de la maintenir dans son intégrité.

La mort déplaçait le pouvoir les Jésuites pensèrent que le successeur de Loyola, de Laynès et d'Aquaviva, serait plus à l'aise près de la Chaire pontificale que sous le sceptre des Ro-. manoff. Le lendemain du trépas de Bzrozowski le chef-lieu de l'Institut se transforma en simple province, dont le Père Stanislas Swietockowski eut la direction. Le nouveau Provincial présenta une supplique au Czar. Cette supplique tendait à obtenir la permission d'envoyer des députés à la Congrégation qui allait se réunir à Rome. Toutes les provinces avaient droit d'y voter par leurs mandataires; mais cette élection viciait les conditions d'existence de la Société de Jésus en Russie, telle que Catherine II avait songé à l'établir. Elle privait le gouvernement impérial de cette autorité morale qu'il pouvait exercer sur un Institut qui, de 1786 à 1816, partant du chiffre de cent soixante-dix-huit membres, s'était rapidement élevé à celui de six cent soixante-quatorze 1. Les Jésuites s'échelonnaient de Polotsk à Odessa; on les rencontrait à Witebsk et à Astrakhan, à Ormsk ainsi qu'à Irkoutsk; ils possédaient des Colléges florissants et des Missions où ils avaient eu l'art de se rendre indispensables; plusieurs grandes familles les invoquaient comme précepteurs. Il fallait ou leur fermer la Russie ou circonscrire leur zèle dans l'enceinte de ses frontières. Par l'organe du Père Swictockowski, ils demandent à changer la nature du contrat qui les lie à l'Empire. Galitzin, toujours hostile aux enfants de saint Ignace, conseille au Czar de saisir l'occasion qui lui est offerte, et, le 13 mars 1820, c'est un décret d'expulsion qui répond à leur supplique. Ce décret était précédé d'un rapport du Ministre des cultes. Le prince Galitzin s'y pose en adversaire

Catalogus sociorum et officiorum Societatis Jesu in imperio Rossiaco in an

num 1816.

trop intéressé de la Compagnie de Jésus pour que ses assertions puissent faire foi au tribunal de l'histoire; nous les admettons cependant comme un de ces documents officiels qui ne prouvent jamais ce qu'ils prétendent démontrer. On lit dans cette pièce : "Le renvoi des Jésuites de Saint-Pétersbourg ne leur a pas fait changer de conduite. Les rapports des autorités civiles et militaires s'accordaient à prouver qu'ils continuaient à agir dans un sens contraire aux lois. Ils travaillaient à attirer dans leur croyance les élèves du rit grec qui se trouvaient au Collège de Mohilow; et lorsque, pour leur en ôter les moyens, il fut prescrit que des Catholiques romains seuls pourraient dorénavant y faire leurs études, ils commencèrent à séduire les militaires du rit grec cantonnés à Witebsk pour les rendre infidèles à la Foi de leurs pères.

» De même en Sibérie leur conduite ne répond point au but dans lequel ils ont été institués. Sous prétexte de vaquer aux fonctions de leur sacerdoce, ils fréquentent des endroits où aucun Catholique romain n'habite; ils aveuglent les gens du peuple et leur font changer de croyance. Les mêmes principes dirigent leur conduite dans le gouvernement de Saratow. Les bulles des Papes et les lois de l'Empire défendent d'engager les Grecs-Unis de passer au culte catholique romain; cependant le Père Général des Jésuites opposait à leurs règlements une autre bulle qui permet aux Grecs-Unis, à défaut de prêtres de leur rit, de se présenter à la communion par-devant les prêtres catholiques romains. Mais les Jésuites dépassent même les dispositions de cette bulle. Ils répandent leur séduction dans les endroits qui ne manquent pas de prêtres du rit grec-uni. En 1815, j'ai rappelé au Père Général des Jésuites le contenu suivant du décret impérial du 4 juillet 1803 : « Cette tolérance, qui porte le gouvernement à s'abstenir de toute influence sur » la conscience des hommes dans les affaires de Religion, devrait » servir de règle aux autorités catholiques dans leurs relations » avec les Grecs-Unis, et leur interdire toute espèce de tenta» tives pour détourner ces sectaires de leur culte. Si la Religion » dominante ne se permet à cet égard aucun moyen coercitif, » combien plus une Religion tolérée doit s'en abstenir. »

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› Dans les colonies aussi, les Jésuites, en séduisant les indi

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