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que l'on développa afin de l'amener à sévir contre les Jésuites de son Empire. Il se flattait d'avoir réuni dans un même vou de fraternité les cultes dissidents introduits par lui dans les Sociétés bibliques; elles étaient l'instrument privilégié de la fusion piétiste qu'il rêvait à l'abri de son sceptre. Le Pape ne formait plus le lien de l'Unité ; le règne du Catholicisme faisait place à une union de tous les peuples chrétiens. Alexandre savait que les Jésuites ne se prêteraient point à une pareille utopie; jaloux d'en accélérer les progrès, il laissa aux haines qu'il trouvait si ardentes autour de son trône le soin d'endormir ses justices. On lui parlait de frapper la Compagnie de Jésus, de commencer l'œuvre de proscription par un exil loin de Pétersbourg. L'Empereur, qui n'aurait pas consenti tout d'un coup à cette iniquité, se prêta aux exigences de son Ministre et de ses Popes. Le 20 décembre 1815 il rendit l'ukase suivant :

Revenu, après une heureuse conclusion des affaires extérieures, dans l'Empire que Dieu nous a confié, nous avons été informé par beaucoup de notions, de plaintes et de rapports, des circonstances suivantes :

» L'Ordre religieux des Jésuites, de l'Église catholique romaine, avait été aboli par une bulle de Pape. En conséquence de cette mesure, les Jésuites furent expulsés non-seulement des États de l'Église, mais aussi de tous les autres pays; ils ne purent demeurer nulle part. La Russie seule, constamment guidéc par des sentiments d'humanité et de tolérance, les conserva chez elle, leur accorda un asile, et assura leur tranquillité sous sa puissante protection. Elle ne mit aucun obstacle au libre exercice de leur culte; elle ne les en détourna ni par la force, ni par des persécutions, ni par des séductions; mais en retour elle crut pouvoir attendre de leur part de la fidélité, du dévouement et de l'utilité. Dans cet espoir, on leur permit de se vouer à l'éducation et à l'instruction de la jeunesse. Les pères et les mères leur confièrent sans crainte leurs enfants pour leur enseigner les sciences et former leurs mœurs.

» Maintenant il vient d'être constaté qu'ils n'ont point rempli les devoirs que leur imposait la reconnaissance et cette humilité que commande la Religion chrétienne; et qu'au lieu de demeurer habitants paisibles dans un pays étranger, ils ont en

trepris de troubler la Religion grecque, qui depuis les temps les plus reculés est la Religion dominante dans notre Empire, et sur laquelle, comme sur un roc inébranlable, reposent la tranquillité et le bonheur des peuples soumis à notre sceptre. Ils ont commencé d'abord par abuser de la confiance qu'ils avaient obtenue. Ils ont détourné de notre culte des jeunes gens qui leur avaient été confiés et quelques femmes d'un esprit faible et inconséquent, et les ont attirés à leur Église.

» Porter un homme à abjurer sa Foi, la Foi de ses aïeux ; éteindre en lui l'amour pour ceux qui professent le même culte; le rendre étranger à sa patrie, semer la zizanie et l'animosité dans les familles ; détacher le fiis du père et la fille de la mère; faire naître des divisions parmi les enfants de la même Église, est-ce là la voix et la volonté de Dieu et de son fils divin Jésus-Christ notre Sauveur, qui a versé pour nous son sang le plus pur, afin que nous menions une vie paisible et tranquille dans toutes sortes de piété et d'honnêtetés. Après de pareilles actions, nous ne sommes plus surpris que l'Ordre de ces Religieux ait été éloigné de tous les pays et toléré nulle part. Quel est en effet l'État qui pourra souffrir dans son sein ceux qui y répandent la haine et le trouble?

>> Constamment occupé à veiller au bien-être de nos fidèles sujets, et considérant comme un devoir sage et sacré d'arrêter le mal dans son origine, afin qu'il ne puisse mûrir et produire des fruits amers, nous avons, en conséquence, résolu d'ordonner :

» I. Que l'Église catholique qui se trouve ici soit rétablie de nouveau sur le pied où elle était durant le règne de notre aïeule de glorieuse mémoire l'impératrice Catherine II, et jusqu'à l'année 1800;

II. De faire sortir immédiatement de Saint-Pétersbourg tous les religieux de l'Ordre des Jésuites;

» III. De leur défendre l'entrée dans nos deux capitales. » Nous avons donné des ordres particuliers à nos Ministres de la police et de l'instruction publique pour la prompte exécution de cette détermination et pour tout ce qui concerne la maison de l'Institut occupée jusqu'ici par les Jésuites. En même temps, et afin qu'il n'y ait point d'interruption dans le service divin,

nous avons prescrit au Métropolitain de l'Église catholique romaine de faire remplacer les Jésuites par des Prêtres du même rite qui se trouvent ici, jusqu'à l'arrivée des Religieux d'un autre Ordre catholique, que nous avons fait venir à cet effet.

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On eût dit que la mission de conserver les Jésuites en Russie était accomplie. Le Czar ne jugeait plus nécessaire d'abriter des proscrits qui avaient joui d'une si généreuse hospitalité sous le sceptre de Catherine II et de Paul Ier. Il les repoussait à son tour; mais, par un sentiment de convenance et de justice dont un prince schismatique donna l'exemple à plus d'un souverain catholique, Alexandre ne voulut étayer son décret de bannissement que sur des motifs religieux. Il répugnait à sa conscience de faire appel aux passions ou à la calomnie; il ne chercha point à flétrir par de mensongères accusations les Prêtres que naguère encore il honorait de sa bienveillance. Il resta équitable dans les sévérités mêmes de son ukase. L'archevêque de Mohilow, qui avait tant contribué à maintenir la Société de Jésus au moment de sa suppression, sous Clément XIV, exécuta à la lettre les ordres que Galitzin lui intima. Il prit des mesures pour que le culte public n'eût point à souffrir de l'enlèvement des Jésuites, et, dans la nuit du 20 au 24 décembre, le général de la police fit irruption dans leur Collège à la tête de la force armée. Il s'empara de toutes les issues; puis, sans avoir interrogé un seul Père, sans même leur dire les causes de cette invasion, on les garda à vue, tandis que le ministre lisait à Bzrozowski le décret d'èxil. Le chef des Jésuites était vieux, mais il savait le prix des ignominies. En les acceptant avec joie, il se contenta de répondre : « Sa Majesté sera obéie. » La nuit suivante on dirigea tous les Pères vers Polotsk. On avait mis les scellés sur leurs correspondances ainsi que sur leurs manuscrits; on confisqua leurs meubles, leur bibliothèque, leur musée et leur cabinet de physique.

Le 20 février 1816, le Père Thadée Bzrozowski écrivait au Père de Clorivière, à Paris : « Votre lettre du 8 janvier m'est parvenue à Polotsk, où je suis depuis six semaines. Notre situation dans ce pays est bien changée depuis la dernière lettre

que je vous ai écrite. Les feuilles publiques ne vous auront sans doute pas laissé ignorer notre expulsion de Saint-Pétersbourg. Elle a eu lieu le 3 janvier en vingt-quatre heures de temps. Cela suppose que nous avons été jugés bien coupables aux yeux du gouvernement. Voici les deux griefs qui sont exprimés dans le décret de notre expulsion : 1o d'avoir attiré à la Religion catholique les élèves confiés à nos soins; 2° d'avoir également attiré à la Religion catholique quelques femmes d'un esprit faible et inconséquent. A l'égard du second point, il peut y avoir eu quelques imprudences de faites à mon insu et contre ma volonté, qui, selon les règles ordinaires, n'auraient dù compromettre que celui qui en était l'auteur. Pour ce qui est du premier grief, il est entièrement supposé, et on a représenté les choses à S. M. I. autrement qu'elles ne sont. Non-seulement nos Pères n'ont point cherché à attirer nos élèves à la Religion catholique, mais même, lorsque quelques élèves ont manifesté le désir de se faire Catholiques, ce qui a dû arriver quelquefois, dans un espace de treize ans, dans un pensionnat mélangé et où tous les maîtres étaient Catholiques, nos Pères se sont constamment refusés à les admettre à la participation des Sacrements. Voilà la vérité; mais il est bien rare que la vérité soit connue; et telle est la condition des meilleurs princes, que le plus souvent ils la connaissent encore plus difficilement que les autres hommes. Cet événement est bien triste et fâcheux pour la Compagnie, mais il nous a médiocrement étonnés. Depuis long-temps nous avons vu l'orage se former, et nous savions bien qu'il ne tarderait pas d'éclater un peu plus tôt ou un peu plus tard. >>

En Russie on ne blâme jamais le pouvoir, il est à peine permis d'approuver par écrit les actes de l'autorité; elle ne laisse jamais discuter les mesures qu'elle a prises. C'est le gouvernement de l'arbitraire, le règne du silence, et, en fin de compte, il n'a peut-être pas plus de victimes à enregistrer que les royaumes où la liberté de parler repose sur une constitution dont les plus forts ou les plus astucieux interprètent à leur gré chaque article. Cependant les numéros des 3 et 15 mars 1816 de l'Invalide russe continrent, par une exception inouïe, des attaques contre les Jésuites. Le Général de l'Institut charge le Père

Rozaven de venger ses confrères des outrages dont cette feuille ne craint pas d'accabler les bannis. Le Père Rozaven défendit son Ordre avec une logique de faits plus éloquente que tous les discours; il fut clair et sensé, habile et profond. Sa réponse avait été envoyée au Ministre des Cultes, pour qu'il en obtînt l'insertion dans l'Invalide. Elle était trop péremptoire, Galitzin la condamne au silence. La querelle s'engageait entre le pouvoir et la Compagnie. La Compagnie n'ignore pas que l'ukase du 20 décembre 1815 n'est que le prélude d'une proscription plus décisive; mais, forte de son innocence, elle ne veut pas laisser à l'imposture ministérielle le droit de calomnier.

Dans ce conflit élevé entre l'autorité civile et la Société de Jésus il règne, en dehors des usages de chancellerie, une certaine égalité qui ne se rencontre pas ordinairement dans les rapports de persécuté à persécuteur. On sent que les Jésuites ne désespèrent jamais de la justice d'Alexandre, et dans tout ce qu'ils écrivent ils paraissent plutôt dicter la loi que la subir. Il y a entre le Czar et les enfants de saint Ignace quelque chose de mystérieux qui ne se révèle même pas au ministre favori. Les deux partis le laissent pousser sa vengeance jusqu'à une certaine limite; mais on dirait qu'il ne lui est pas permis de la franchir, et qu'il la respecte par intuition. Un si étrange concours de circonstances se trahit à chaque phase de ce bannissement. Les idées novatrices d'Alexandre sont dévoilées; il sait que les Jésuites seront pour elles un obstacle éternel; cependant il ne prend pas de prime abord la résolution de les chasser de son Empire. Il traite ses exilés avec bienveillance; l'hiver est rigoureux, la route longue et pénible : l'autocrate ordonne de couvrir les Jésuites de pelisses et de fourrures. Pour réchauffer leurs membres que le froid engourdira, il fait distribuer de l'arack à chacun d'eux. Il ménage ses coups lorsque chacun l'excite à être sans pitié; il commande d'apposer les scellés sur leurs archives, et on n'y découvre aucune trace de complot, aucun vestige de conversion, aucun papier ayant trait, de près ou de loin, à la politique.

Ce mystère a besoin d'éclaircissements: nous les donnerons aussi clairs que l'exigera l'intérêt de l'histoire. La famille des Romanoff devait beaucoup à la Compagnie de Jésus. Quelques

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