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où elle se présentait, avait quelque chose d'éminemment utile; elle pouvait porter d'heureux fruits, car le Libéralisme n'avait pas eu le temps d'infiltrer au cœur des provinces son ignorance égoïste et ses étroites préventions. Il était donc fondé à redouter ces adversaires, qui s'emparaient des multitudes par l'autorité de la parole, qui les dominaient par l'éloquence, qui popularisaient le repentir et la vertu. C'était une révolution au profit des idées de travail et d'amélioration sociale. L'Église remplaçait le club; les cantiques pieux succédaient aux chants lubriques ou sanguinaires; la foule se pressait dans les temples; elle accueillait avec joie ce retour vers le Christianisme. On dénatura le principe qui produisait d'aussi merveilleux résultats. Il importait d'opposer la force brutale à des démonstrations pacifiques; ce fut à Brest que l'on tenta la première résistance. Le 21 octobre 1819, le Courrier français annonça: «La Mission qui devait avoir lieu à Brest a avorté ; les habitants préfèrent les inductions morales aux inductions jésuitiques. »> Afin d'échauffer les esprits, on prétend que le Curé de la ville ne veut pas recevoir les enfants de Loyola. Des menaces sont proférées, des plans sont dressés pour faire échouer la Mission. Le Curé dément le refus qu'on lui attribue. On a dit que l'Évêque de Quimper est hostile aux Jésuites; le Prélat accourt: il bénit leurs premiers travaux, et, le 24 octobre, les églises de Saint-Louis et de Notre-Dame-de-Recouvrance s'ouvrent à la multitude qui se presse autour de la chaire. Cette affluence devenait inquiétante; les Constitutionnels se mettent en campagne pour expliquer de quelle manière ils entendent la liberté. Le Clergé ne cède pas aux injonctions du parti; on le confond dans l'anathème qui frappe les Jésuites. L'autorité municipale est méconnue et outragée jusqu'au moment où elle passe à l'émeute; alors on l'enivre de louanges.

C'était une tourbe de jeunes gens ou d'hommes étrangers au pays, qui dictaient la loi ; leur nombre pouvait se constater à chaque heure ; mais, sachant qu'ils seraient toujours forts contre la faiblesse, hardis contre l'indécision et la pusillanimité, ils poussèrent à la résistance. Le 25, l'Évêque de Quimper mande au Sous-Préfet : « Il est permis d'être surpris que, sous le gouvernement du Roi qui a donné une Charte pour

assurer la liberté des cultes et qui a proclamé la Religion catholique la Religion de l'État, cette Religion ne puisse jouir à Brest de cette liberté. Je ne réclame que la protection de la loi et non sa sévérité. Ce n'est pas à moi de tracer aux autorités la manière de la faire respecter. » Le 27, il s'adresse au Maire pour déplorer cet attentat. L'émeute parcourt la ville en criant: Mort aux Jésuites! A bas le Christ et la Religion!

Les magistrats municipaux et les administrateurs civils avaient encouragé ces manifestations. La presse libérale les avait prédites d'avance; le ministère ne sut pas les réprimer. Les honnêtes gens de tous les partis se résignaient déjà à ce rôle passif, qui rend si audacieux les esprits turbulents. On baissait la tête devant l'insurrection; on en déplorait les résultats, et personne ne se levait pour agir contre elle. Cette inertie lui révéla sa puissance. Au nom d'une population qui souffrait en silence une pareille tyrannie, la révolte prononça que la France entière ne voulait pas de Missionnaires et qu'il fallait les expulser de Brest. Son vœu fut un ordre. Le 28 les Jésuites s'éloignèrent. Le Libéralisme avait tenté un grand coup; la victoire lui restait; il comprit qu'il importait de lui donner tout le retentissement possible. Il ameuta les révolutionnaires de Morlaix, qui, avec des chants obscènes entremêlés de cris de: Vive la Charte ! accueillirent les Jésuites à leur passage.

Au dire du Moniteur, rien ne devait justifier ces tumultes : les paroles mêmes des Missionnaires ne pouvaient y servir de prétexte; mais ces hypocrites lamentations offraient aux Libéraux la mesure de l'impéritie ou des connivences secrètes du gouvernement. Ce premier succès enhardit leur témérité. Les villes de Bourges, de Nevers, Saint-Malo, Autun, Châlons-surMarne, Lisieux, Dôle, Châlons-sur-Saône, Seurre, Mende, Coulommiers, Craon, Seez, Alençon, Chinon, Beaugé, Laigle, Orléans, Amiens, Le Puy, Avranches, Niort, Le Mans, Avignon, Aix, Bordeaux, Alby, Metz, Rennes, Cosne, La Charité, Issengeaux, Montauban, Clérac, Saumur, Besançon, Doué, Périgueux, Angers, Paimbœuf, Gaillac et Langres devinrent tour à tour le théâtre sur lequel les Jésuites firent éclater leur zèle. Parmi les Pères qui se vouaient ainsi à l'accomplissement d'une grande tâche, il y avait d'habiles orateurs,

des hommes qui savaient remuer les multitudes et les enchaîner au pied de l'autel. On remarquait dans leurs rangs Antoine Thomas, ancien docteur de Sorbonne et pendant vingt ans supérieur de Laval; Charles Gloriot, dont la vaste science et la riche imagination faisaient oublier les écarts de style. L'éloquence de Gloriot débordait avec tant d'impétuosité qu'il subjuguait ou terrassait ses auditeurs. Auprès de lui apparaissaient Caillat, plus doux, plus fleuri; Louis Bouet, à la parole incisive; Louis Sellier, que l'originalité de son talent fait passer du sublime au trivial, et qui, plus admirable qu'imitable dans sa vie, électrise les populations; Nicolas Petit, l'homme qui éclaire par le raisonnement; Claude Besnoin, à l'esprit caustique; Charles Balandret, toujours onctueux et instructif; Joseph Barelle et Maxime de Bussy, pleins de cet art de bien dire qui entraîne par la force unie à l'adresse et au sentiment; les deux Chanon, auxquels le zèle donne des forces; Maxime de Causans, écrivain et prédicateur sur qui l'élégance exerce peut-être trop d'empire; Etienne Mollet, Clément Boulanger et Pierre Chaignon. Chacun de ces Missionnaires avait un cachet individuel, un talent à part. Le Père Claude Guyon les absorba tous dans sa puissante individualité. Doué des avantages qui constituent l'orateur véritablement populaire, beau et passionné, ardent et sensible, il faisait tour à tour frémir et pleurer; on se pressait avec transport autour de sa chaire et de son confessionnal, car sa parole dominait les masses et provoquait le repentir dans les âmes.

Les fruits recueillis étaient abondants et incontestables; on en fit un crime aux Jésuites. A Vincennes, le père Guyon avait évangélisé les troupes en garnison dans la forteresse; il leur avait parlé de Dieu et de leurs devoirs avec cette énergie qui convainc. A Bicêtre, d'autres Jésuites venaient le 24 juin 1824, conduits par l'Archevêque de Paris, faire descendre les consolations évangéliques sur la tête des infirmes, des vieillards et des coupables que la société retranche de son sein. Ils réveillaient les sentiments de Foi; ils répandaient sur la France entière les germes de Christianisme que la Révolution croyait avoir étouffés. Il y avait des villes où l'on assiégeait pendant la nuit les portes des églises, où l'on se précipitait sur les pas des

Missionnaires, où l'on pleurait à leur départ, après avoir souvent maudit leur arrivée. Sans doute, dans ces transitions subites, il se rencontrait autant d'entraînement passager que de remords durables. Plusieurs oubliaient les engagements pris au pied de la croix; mais, dans le cœur de ces multitudes vaincues par l'ascendant des Missionnaires, il survivait aux fêtes et aux enthousiasmes de la ferveur un principe de religion, dont le Clergé pouvait évoquer partout les traces et le souvenir. Le Missionnaire semait dans les exagérations calculées de son éloquence, c'était au Pasteur à moissonner.

Les soins de l'apostolat et de l'éducation, les travaux littéraires ou théologiques auxquels les Jésuites se livraient dans l'intérieur de leurs maisons, les outrages qui passaient au-dessus de leurs têtes sans les atteindre pour aller saisir d'une béate stupéfaction les esprits forts de l'estaminet, n'empêchaient pas les pères d'étudier la marche des idées, de s'appliquer à en seconder ou à en suspendre le progrès, selon qu'elles leur paraissaient utiles ou dangereuses. A peine née, la Compagnie de Jésus était, comme aux premiers jours de sa fondation, devenue un centre où le prêtre, le philosophe et le savant accouraient chercher la lumière. Les Jésuites la répandaient sur les uns, ils la recevaient des autres. Ils s'associaient au mouvement que la science imprimait à toutes les études, et ce fut alors qu'ils se virent engagés avec l'abbé de La Mennais dans une de ces discussions qu'il importe de juger sur pièces.

Dans ce temps-là, Félicité de La Mennais était un vigoureux génie attaquant les ennemis du Chatholicisme avec l'arme de l'éloquence et de la raison. Esprit lucide et passionné, cœur plein d'amour et de colère, l'écrivain breton cachait un caractère de fer sous une maladive enveloppe. Son opiniâtre dialectique, son ironie étincelante de verve, son style puissant lui avaient en quelques années conquis une célébrité dont l'humble candeur du prêtre faisait hommage à l'Église. L'abbé de La Mennais défendait les Jésuites, parce que leur cause était juste; il les aimait, parce qu'il lui avait été donné de les voir de près. Lorsque le système philosophique présenté par lui dans le deuxième volume de l'Indifférence en matière de Religion eut engendré la discorde parmi les théologiens, quelques

nuages ne tardèrent point à altérer la bonne harmonie existant entre les disciples de saint Ignace et le Tertullien du dix-neuvième siècle. Les questions qu'il soulevait lui attirèrent des panégyristes et des censeurs. Les uns le saluèrent comme un dernier Père de l'Église, les autres le critiquèrent avec des paroles dont la fraternité sacerdotale et le respect dû à un immense talent auraient pu modérer l'acrimonie. Dans ce combat, qui prépara si tristement la chute de La Mennais, il y eut de graves torts à reprocher aux deux partis. L'écrivain se portait le défenseur le plus absolu de l'autorité. Avec un ton impérieusement dogmatique, avec une hauteur dédaigneuse, il citait à son tribunal, il jugeait sans recours les écoles anciennes et modernes. Il substituait sa propre raison individuelle au sentiment presque universel de l'Église.

Ce système comptait de nombreux partisans; il en fit surgir même autour des Jésuites. Dans leurs maisons, dans les Séminaires et même dans le monde, on retrograda tout d'un coup vers ces époques où la scolastique tenait les esprits attentifs et surexcitait les intelligences. Une pareille situation offrait plus d'un danger. Le Père Richardot, provincial de France, prit des mesures pour les conjurer: il interdit les controverses publiques sur ces matières, et le 12 octobre 1821, le Père Rozaven lui écrivait de Rome :

« Vous avez parfaitement fait de supprimer les thèses où l'on combattait le système de M. de La Mennais. Outre qu'il ne nous convient en aucune manière de nous déclarer contre un homme justement célèbre, et à qui la Religion a des obligations, c'est un fort mauvais moyen pour faire triompher la vérité. Les disputes ne font que piquer et aigrir les esprits. Des discussions pacifiques où l'on ménage l'amour-propre et la délicatesse sont des moyens plus sûrs. Il faut réserver toute sa chaleur pour combattre les ennemis de la Religion et de l'Église.

Vous me demandez ce que je pense de la défense de l'Essai; je vous avoue, entre nous, que je n'en suis pas satisfait. 11 me paraît que tout porte sur un principe faux. M. de La Mennais se plaint qu'on ne l'a pas compris, et il a raison jusqu'à un certain po`nt; il est certain qu'on lui attribue des sentiments qu'il n'a pas, ce qui lui donne lieu de se défendre avec

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