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exprima par un bref à l'archevêque de Mohilow sa surprise et sa douleur; il le blâma d'avoir coopéré au triomphe de l'Anglicanisme. Ce blâme, si justement déversé sur le Prélat, était un hommage indirect rendu aux disciples de saint Ignace, qui, mieux pénétrés du véritable esprit de l'Église, avaient refusé de faire cause commune avec l'erreur. Les partisans des associations bibliques se trouvèrent offensés; ils s'imaginèrent qu'ils auraient dans les Jésuites d'infatigables adversaires, que leur succès serait entravé à chaque instant, et, sous l'inspiration du ministre des cultes, ils se liguèrent contre la Compagnie. Elle venait de résister à un désir de Galitzin, Galitzin appelle les colères de l'Université au secours de ses espérances. On attendit le moment propice pour faire éclater la conjuration.

La propagande anglicane s'organisait sous le couvert des ministres russes comme sous celui des Prélats du rite romain et du rite grec. Les Jésuites songèrent à la contre-miner. Ils composèrent un catéchisme dans l'idiome du pays pour les enfants nés de parents catholiques; mais Galitzin n'en autorisa pas l'impression. Les choses étaient dans cet état, lorsque de nouveaux événements ravivèrent des blessures encore saignantes au cœur du ministre. La faveur dont jouissait le collége des Jésuites de Saint-Pétersbourg allait toujours croissant ; à Polotsk, ils comptaient sur leurs bancs un grand nombre de jeunes gens des premières familles de l'Empire. Placés entre un désir bien naturel de prosélytisme et le devoir tacite de respecter la conscience de leurs élèves, devoir qu'ils s'étaient imposé à eux-mêmes, les Jésuites n'avaient jamais donné le moindre sujet de plainte sur un point aussi scabreux. Catholiques jusqu'au fond des entrailles, ils formaient à l'honnêteté ainsi qu'aux belles-lettres des enfants appartenant à toute espèce de culte, même au rite grec; et, dans l'espace de plus de quarante années, leur circonspection n'avait jamais été mise en défaut. Jamais on n'avait pu les accuser de trahir la confiance des parents au profit de la foi romaine. Cependant le nombre des Catholiques augmentait chaque année.

Ces retours vers l'Unité étaient dus à l'action des familles françaises émigrées, à la lecture des ouvrages religieux et surtout au zèle plein de prudence des Jésuites. Le Czar avait fermé

les yeux sur un état de choses n'ayant rien d'alarmant pour la sécurité du pays. Les nouveaux Catholiques se distinguaient dans le monde et à la cour par de nouvelles vertus. Alexandre ne voulut pas les faire repentir d'avoir cédé au cri de leur conscience. Prince qui comprenait admirablement la liberté de la pensée, il n'osa pas la parquer dans les limites de l'arbitraire légal. Il cherchait la vérité, il ne trouva pas mauvais que les Russes suivissent son exemple. Les conversions étaient assez rares néamoins, parce que les Pères ne les accueillaient, ne les sanctionnaient qu'après de longues épreuves. Ces conversions restaient inaperçues, lorsque, vers le milieu du mois de décembre 1814, le jeune prince Galitzin, neveu du ministre des cultes, embrassa publiquement le Catholicisme. Voici en quels termes le Père Billy, dans sa correspondance inédite avec ses confrères de France, rend compte de cette conversion : « Notre Père de Clorivière, écrit-il de Saint-Pétersbourg, le 1er mars 1815, est à la tête d'un nombreux noviciat à Paris, rue des Postes. Il y aura en France une Compagnie de Jésus de fait avant qu'elle y existe de droit. Quant à notre existence ici, à Pétersbourg, elle est très-utile sans doute, mais très-précaire et bien tracassée, surtout depuis l'absence de l'Empereur. La jalousie des Popes et des Évêques russes en est la principale cause. Le ministre des cultes, prince Alexandre Galitzin, jeune homme encore, qui se laisse mener par ses Popes, ne nous laisse pas en repos dans toutes les occasions qu'il trouve ou qu'il imagine propres à satisfaire leur animosité et la sienne. Depuis un ou deux mois, il s'en est présenté une qui a fait le plus grand éclat et qui aura des suites. Un jeune prince, Alexandre Galitzin, neveu du ministre des cultes, élève depuis deux ans de notre Institut, âgé d'environ quinze années, excellent sujet sous tous les rapports, piété, diligence, succès dans les études, politesse, docilité, attaché singulièrement jusqu'alors à la Religion gréco-russe, voulant y attirer ceux de ses amis, même les Jésuites, par zèle pour leur salut, prenant pour cela, deux ou trois fois la semaine, des leçons d'un docteur en théologie russe, s'est tout à coup trouvé changé au point de sc déclarer catholique aux dernières fêtes de Noël. Quel étonnement pour tout le monde, et surtout pour ceux qui l'avaient

vu et entendu parler en faveur de la Religion russe! Appelé par son oncle, le ministre des cultes, qui lui représente les dangers qu'il court, vu la loi qui défend en Russie d'attirer un Russe à la Religion catholique, il rend compte de sa foi avec netteté et fermeté, et dit qu'il est prêt à la signer de son sang.

» On le tire de notre Institut, et on le met au corps des pages avec son petit frère. En même temps, défense à lui et à tout Jésuite d'avoir ensemble aucune communication. Redoublement de surprise. On lui découvre une haire et une discipline. Qu'est ceci, bon Dieu? Il avait attrapé ces instruments de mortification dans la chambre d'un Jésuite qui avait quitté Pétersbourg pour aller à Polotsk. On le fait paraître devant des Évêques et des Popes qui l'interrogent et argumentent contre lui. Il répond à tout de manière à étonner tout le monde, et les met eux-mêmes ad metam non loqui. On attribue aux Jésuites sa facilité de controverse, quoique les Jésuites n'y soient pour rien. On attend le retour de l'Empereur pour savoir la décision de cette affaire. En attendant, les Jésuites ne reçoivent plus de Russes à leur Institut, mais seulement des Catholiques, afin de se soustraire aux tracasseries des Popes. Mais il y a encore d'autres sujets de rancune. Plusieurs personnes marquantes sont soupçonnées d'ètre Catholiques : des espions sont chargés de les observer. C'est une vraie persécution. Les Missionnaires jésuites de la Sibérie ont défense de rendre catholiques les Tartares idolatres; ils doivent se contenter de donner leurs soins aux Catholiques. On leur défend même de confesser et d'administrer les Grecs-Unis, qui n'ont point de prêtres de leur communion. Chose inouïe ! voilà où en est la tolérance tant prônée de ce pays sous le ministre des cultes Galitzin. La ville de Pétersbourg offre en ce moment un spectacle curieux deux princes Alexandre Galitzin, l'un oncle et l'autre neveu, le premier, persécuteur outré de la Religion catholique et des Jésuites; le second, Catholique zélé et imperturbable, défenseur de ses maîtres et ne demandant qu'à mourir pour sa Religion, vivant de manière à mériter cette grâce, si cette grâce de prédestiné pouvait se mériter. Après avoir essayé vainement l'argument de l'école pour le ramener au Schisme, on essaie

l'argument des plaisirs: on le mène à la comédie. Jusqu'ici cet argument a échoué comme les autres. >>

Dans l'intimité de leur correspondance, les Jésuites déclinent toute participation à la conversion du fervent Néophyte. Ils ne s'en glorifient pas, ils ne s'en accusent point. Le jeune Galitzin a pris de lui-même ce parti. Le Père Billy raconte avec naïveté les diverses phases de ce retour à la Foi romaine, et il s'arrête là. Le prince Alexandre déclare qu'aucun disciple de l'Institut ne l'a engagé à changer de culte, il soutient même qu'il n'a pas pu en trouver un pour recevoir son abjuration. La lettre du Père Billy corrobore pleinement ces faits. La vérité ne servait pas assez activement l'amour-propre froissé du Ministre et la colère des Popes: ils organisent une conspiration dans laquelle ils font entrer tous les intérêts de secte, toutes les vanités universitaires, tous les préjugés de nation. Il importait de disposer les esprits à une levée de boucliers contre les Jésuites: on s'applique à dénaturer leurs actes les plus indifférents; on altère le sens de leurs paroles, on les épie dans la chaire, on les suit jusqu'au pied des confessionnaux et de l'autel. Le Père Balandret jouit à Saint-Pétersbourg d'une confiance méritée; il est Français ce fut sur lui qu'on dirigea les plus minutieuses perquisitions. On interroge les élèves des Colléges de l'Institut, on presse ceux qui en étaient sortis depuis deux ou trois années de révéler les obsessions auxquelles ils ont dû être soumis pour embrasser le Catholicisme. Ces jeunes gens répondent que les Jésuites ne les entretinrent jamais de la différence des Religions, et qu'ils les laissèrent pratiquer la leur en toute liberté.

Galitzin et la Société Biblique minaient le terrain sous les pieds des Pères, le métropolite Ambroise et les Universités les secondent avec une rare adresse. Il faut prévenir l'Empereur et l'Impératrice qui, à leur retour après la campagne de 1815 et le traité de Paris, doivent porter le dernier coup à la Compagnie. Tout est arrangé dans ce sens. Les conversions ne se multipliaient pas plus que par le passé; mais les autorités les environnent d'un éclat inquiétant. Jusqu'alors on a tenu secrets ces imperceptibles retours à l'Unité, on en fait tant de bruit que, dans chaque famille, on put croire à l'action déterminante d'un Jésuite. Les grands intérêts qui se débattaient

dans le monde, Napoléon vaincu, l'Europe triomphant à Wa terloo de la France épuisée, les Bourbons rétablis sur le trône, la Sainte-Alliance promulguée, tous ces événements disparaissaient à Saint-Pétersbourg devant l'attitude silencieuse de quelques Pères de l'Ordre de Jésus. Le Czar jetait son glaive dans la balance des affaires européennes, et ce glaive la faisait pencher au gré des diplomates moscovites. Alexandre avait imposé la loi au congrès de Vienne; il avait inspiré à Louis XVIII une Charte constitutionnelle; les Rois légitimes le saluaient comme le libérateur des Monarchies. Toutes ces gloires venues à la fois, et qui devaient enivrer d'orgueil ses sujets, s'effaçaient au contact de quelques obscures prédications dans une église catholique. La Russie se plaçait à la tête des nations, et ses Ministres ainsi que ses Évêques affectaient de pâlir d'effroi parce qu'un petit nombre de dames de la cour renonçaient aux plaisirs trop bruyants pour écouter dans la solitude la voix de Dieu parlant à leurs âmes.

Cette situation, que les Jésuites n'avaient point provoquée, les exposait à un double péril. On les accusait de faire des prosélytes qu'ils n'avaient jamais connus; il s'en présenta à leur tribunal quelques-uns dont il devenait impossible à un Prêtre de repousser le vœu. La persécution appelait la Foi, elle en-gendrait des Néophytes. Sur ces entrefaites, l'empereur Alexandre arrive dans sa capitale. Les grandes crises auxquelles il présida, l'abaissement des uns, l'élévation des autres, les inconcevables changements dont l'Europe retentit encore, ont donné à ses pensées un cours plus mélancolique. Il a vu de si près les hommes et les choses, qu'un immense dégoût s'est emparé de son âme maladivement impressionnable. Pour en remplir le vide, il se jette à cœur perdu dans le nouveau monde d'idées mystiques que la baronne de Krüdener ouvre à son intelligence rassasiée des voluptés, de l'ambition et de la gloire. Alexandre s'était donné des croyances individuelles ne reposant sur aucun principe certain: il aspirait à les imposer comme des convictions; mais il n'avait pas assez de vigueur dans l'esprit et de persévérance dans la tête pour atteindre ce but. On le berçait de la pensée qu'il pouvait apparaître chef visible de l'ancienne Chrétienté régénérée par lui; ce fut cette pensée

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