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INTRODUCTION

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AU SIXIÈME ET DERNIER VOLUME

DE L'HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

En achevant le cinquième volume de l'Histoire de la Compagnie de Jésus, je m'avouais que mon œuvre ne serait complète qu'après avoir réuni dans un dernier tableau les vicissitudes que les Jésuites ont eues à subir depuis qu'en 1814 Pie VII rétablit leur Institut sur ses anciennes bases. Mais la difficulté de parler des vivants, comme en parlera l'histoire, sans colère et sans flatterie, les obstacles qui devaient entraver la marche du récit, l'impossibilité de se procurer les matériaux nécessaires, impossibilité naissant de la prudente réserve des uns, de la forfanterie machiavélique des autres, tout semblait me condamner à un silence que je déplorais, mais dont cependant j'acceptais les conséquences. Je m'y serais résigné et j'aurais attendu des jours plus tranquilles. Néanmoins à l'instant où chacun vient, armé de romans obscènes, de calomnies philosophiques et d'impostures parlementaires, jeter le défi à l'Ordre de Jésus, ne se défendant que par la prière, par d'utiles ou d'éloquents travaux et par l'exercice de la charité, j'ai pensé qu'au milieu de ce débordement d'outrages, il était digne de l'histoire de faire entendre une voix plus calme.

Il ne s'agira plus dans ce dernier volume de distribuer la vérité à ceux qui nous précédèrent dans la vie; c'est de nos contemporains qu'il faut s'occuper. Nous n'aurons plus besoin de remonter le cours des siècles et d'interroger de poudreuses archives. La narration que je reconstruis s'est passée sous nos yeux. Les hommes que je vais avoir à peindre par leurs actes, par leurs discours, par leurs ouvrages," existent encore. Les uns sont tombés du pouvoir, les autres y ont été portés par une révolution; tous agissent sous l'inspiration de leur conscience mal éclairée ou sous la torture morale d'une frayeur qui semble ridicule aux hommes raisonnables. Cette frayeur que l'on cherche à imposer aux masses, en grandissant outre mesure les forces de l'influence de la Compagnie de Jésus, n'a jamais troublé mon intelligence. J'ai vu de très-près les Jésuites; je les ai étudiés dans leur vie privée ou publique, dans leurs correspondances les plus intimes, dans leurs Missions au delà des mers, dans leurs relations avec les peuples et avec les princes. Jusqu'à l'époque de leur rétablissement, j'ai raconté cette existence si pleine de dangers ignorés, de sacrifices quotidiens, de pénibles devoirs et de travaux non interrompus. Dans un temps où la vérité dite sans acrimonie, mais aussi sans pusillanimité, attire trop souvent sur l'écrivain indépendant d'injustes colères et des accusations qui n'ont jamais besoin de faire leurs preuves pour commander les croyances, cet ouvrage a joui d'un de ces rares bonheurs auquel l'Histoire de la Vendée militaire m'avait déjà habitué.

J'ai froissé sans doute beaucoup de préjugés, démasqué plus d'une imposture,

rompu en visière à beaucoup d'erreurs. Pour arriver à ce résultat, j'avais eu tout ce qu'un auteur peut ambitionner. De précieux matériaux, puisés aux sources les plus sacrées, comme aux plus impures, furent mis à ma disposition; et je suis entré dans le récit des événements appuyé sur tant d'autorités venues de tous les points à la fois que personne n'a pu mettre en suspicion les documents que j'évoquais, documents qui jetaient une lumière si vive et si inattendue sur cette histoire. Je justifiais les Jésuites d'une multitude de crimes impossibles, mais que la calomnie faisait accepter par leur impossibilité même; et les adversaires les plus acharnés de la Compagnie ne m'ont pas déclaré atteint et convaincu de Jésuitisme. Lorsque la passion du vrai m'amenait à condamner les actes répréhensibles de quelques Jésuites, à blâmer des tendances, des opinions qui me semblaient contraires à l'Institut fondé par saint Ignace de Loyola, les amis les plus exaltés de cette Société n'incriminèrent point mes jugements. Les Jésuites euxmêmes furent les premiers à encourager, à respecter cette indépendance. Par une faveur tout exceptionnelle, les deux camps proclamèrent ma franchise et se turent devant les sévérités de l'histoire.

La plupart des journaux de France, d'Angleterre, d'Allemagne, d'Italie, d'Espagne, de Belgique, de Suisse et des États-Unis se sont occupés de cet ouvrage, qui joignait l'intérêt de la nouveauté à celui plus puissant encore de l'actualité. Tous, en se plaçant chacun à son point de vue, ont longuement discouru sur le plus ou le moins de mérite littéraire de l'œuvre; il n'est venu à la pensée de personne de mettre en doute les faits et les documents que de patientes études, que de longs voyages, que d'heureuses découvertes me fournissaient l'occasion de révéler. J'avais jugé sans prévention la Compagnie de Jésus; les feuilles politiques ou littéraires de l'Europe ont examiné mon livre avec la même impartialité. J'avais cherché à rester toujours dans les bornes de l'équité; on a voulu être juste à mon égard, et, au milieu de l'irritation des esprits, cet éloge accordé à la conscience de l'écrivain m'a profondément ému.

De nombreuses contrefaçons de l'Histoire de la Compagnie de Jésus ont été faites hors de France, de plus nombreuses traductions ont paru dans chaque langue; toutes servent à proclamer un succès auquel l'audace de la vérité a beaucoup plus contribué que le talent. Je n'aurais pas poussé plus loin mon travail, si des voix amies et qui, par la sagesse de leurs conseils, ont tout empire sur ma volonté, ne m'eussent fait une obligation de terminer l'ouvrage que l'Église et le monde catholique avaient accueilli avec quelque faveur.

Comme le poète, on me condamnait à marcher à travers le feu. On m'appelait à expliquer des choses inexplicables pour ceux qui vivent en dehors du jeu des intrigues parlementaires. On m'imposait la tâche de saper le fragile édifice de grandeur qui n'exista que dans l'imagination d'un petit nombre d'hommes dont ces mensonges popularisent le nom et accroissent la fortune; on me demandait de montrer sur pièces l'action des Jésuites depuis 1814 jusqu'à nos jours; on me faisait une loi de les suivre en Europe et sur les continents du Nouveau-Monde; on voulait savoir ce qu'il y avait de réel ou de faux dans cette omnipotence d'une Société à laquelle ont été attribués les mesures les plus néfastes de la Restauration, les actes les plus sanglants du règne de Ferdinand VII d'Espagne, l'opiniâtre résistance des Catholiques belges à la réaction protestante de Guillaume de Nassau; on m'interrogeait sur les événements qui, depuis les Révolutions de 1830, attachent inévitablement à leur suite le nom de quelques Pères de l'Institut. On les accusait sans preuves, on les défendait avec des colères éloquentes de conviction. Dans les feuilles publiques comme à la tribune, dans les conseils du SaintSiége ainsi qu'au milieu des calamités de la guerre intestine, la Société de Jésus apparaissait dominant la situation, soufflant au cœur des uns le feu des discordes civiles, inspirant aux autres un sentiment de terreur qu'ils affectent de ressentir afin de le communiquer.

Avant de me décider à retracer cette dernière phase de l'Institut, j'avais besoin de m'entourer de toutes les lumières et d'étudier sur place les conflits que l'imprudence ambitieuse de quelques agents subalternes a provoqués entre le Saint-Siége et le gouvernement français. Je désirais approfondir quelle part la cour apostolique et les Jésuites avaient prise au drame dont la Suisse a été et sera le théâtre. Je souhaitais de savoir comment, à travers tant de secousses et tant de luttes, la Compagnie avait pu se reconstituer en Europe; par quels moyens elle avait reconquis dans l'univers cette autorité morale si chaudement disputée; par quelles mystérieuses combinaisons elle est devenue, en s'échappant de ses ruines, un objet d'admiration ou d'effroi. Il m'importait d'apprécier loin de Paris des faits si contradictoires, et que la malveillance, spéculant sur la crédulité, prenait plaisir à dénaturer d'une si étrange façon.

Il me répugnait de m'en tenir à des déclarations officielles qui, à mes yeux, ne pouvaient être que des ruses de chancellerie. Je suis allé à Rome et, sans demander aux parties intéressées le secret qui ne leur appartient pas en propre, j'en ai cependant assez vu, assez appris pour rendre un compte fidèle de cet escamotage diplomatique dans lequel certains Prêtres français ont joué un rôle aussi déplorable pour le caractère dont ils sont revêtus que pour leur dignité personnelle.

Les relations du Saint-Siége avec les puissances ont toujours eu quelque chose de mystérieux. La cour pontificale s'entoure de réserve comme d'un vêtement. Elle comprend qu'en dehors des intérêts humains qui cherchent à s'étayer de son approbation tacite ou patente, elle a une force divine dont elle doit sauvegarder le prestige tout en le dérobant aux regards. Elle agit peu, lorsque la Foi ou la conscience des peuples ne sont pas menacées; mais, de 1814 à 1845, elle a donné assez de gages de sa prudente fermeté pour espérer qu'elle aura toujours le courage de ses justices comme elle n'a cessé d'avoir le courage de ses vertus. Dans les circonstances difficiles où la Compagnie de Jésus s'est trouvée et se trouve encore placée, le Saint-Siége ne lui fit jamais défaut, car il sentait que les imprécations contre les Jésuites n'étaient en Allemagne et en France, en Suisse et en Espagne qu'un cri de guerre, un signal de ralliement donné par les moqueuses hy. pocrisies de l'impiété révolutionnaire, se liguant avec tous les fanatismes. Il fallait un mot de passe à ces indignations de commande qui, après avoir renversé les trônes, aspirent à briser la pierre sur laquelle Dieu a bâti son Eglise. Pour triompher plus sûrement, elles avaient formé le complot d'associer la papauté à un plan dont elles ne cachaient ni les ramifications ni le but. On essaya d'entraîner le Saint-Siége dans la voie fatale des concessions. Il vit le piége et ne dut pas consentir à s'y laisser prendre. On démantelait la Compagnie de Jésus afin d'arriver presque sans coup férir au cœur de la Catholicité. Le Père commun a résisté à des obsessions inouïes dans les fastes de la diplomatie, à des menaces irréalisa bles, à de fallacieuses promesses, à des engagements imposteurs. Il a mieux aimé écouter le cri de sa conscience que de prêter l'oreille aux mensonges dorés. La cour de Rome a suivi l'exemple de son chef.

C'est donc une histoire prise de vivo que j'écris aujourd'hui. Il faut montrer quelle est la puissance de certains mots sur des imaginations en travail de crédulité ou sur des natures malfaisantes mettant de stupides préjugés au service de leurs intérêts égoïstes et de leurs calculs irréligieux. L'Histoire de la Compagnie de Jésus a été commencée quand l'orage menaçait les Jésuites, je l'achève au moment où la tempête éclate sur eux. Les guerres civiles faites en l'honneur d'un principe politique ou au détriment des rois et de la liberté des peuples ne sont plus possibles. Il ne reste au cœur de l'Europe qu'une agitation fébrile. Cette agitation emporte les esprits vers les idées religieuses. Les uns veulent à toute force maintenir l'intégrité de leur Foi, les autres aspirent à passer le niveau des innovations et de l'incrédulité sur les cultes vivaces. Le monde est en

core devenu au dix-neuvième siècle un vaste champ-clos théologique. Ce mouvement, qui se traduit de tant de manières différentes, mais qui domine la France, l'Angleterre, l'Allemagne, la Russie polonaise, les provinces rhénanes, la Prusse, la Belgique, la Saxe, l'Espagne, l'Italie et la Suisse, n'est pas de ceux qui s'arrêtent à un premier choe ou qui se laissent comprimer par les caprices d'un Souverain.

L'origine de cette conflagration remonte au désenchantement politique, à des espérances déçues et au besoin de tenir l'univers attentif au bruit qu'aspirent à faire des intrigants que le hasard hissa un jour au pouvoir. Ces intrigants usèrent tous les ressorts terrestres. Sans autre Dieu que leur intérêt, sans autre mobile que des calculs individuels, ils ont essayé de soulever des passions qu'ils croyaient éteintes. Ces passions se dressent devant leur scepticisme moqueur avec toute la vivacité des croyances anciennes ou d'un prosélytisme nou

veau.

L'Europe tend à une dissolution chrétienne ou à une reconstitution catholique. Tout sera bientôt mûr pour ce suprême effort de la pensée humaine. Chacun le prépare avec les moyens qui lui sont propres. Quand le jour sera venu, chacun marchera sous le drapeau de ses convictions ou de ses rêves ambitieux; chacun se dévouera pour sa Foi menacée ou combattra pour l'athéisme légal. Déjà on inaugure son règne en appelant l'exil ou la mort sur la tête des Jé

suites.

Je ne veux ni défendre les proscrits ni attaquer les proscripteurs. Ce double rôle que remplit la presse militante ne convient pas aux allures de l'histoire. Elle n'a jamais été sous ma plume un panégyrique ou un pamphlet; je tiens à lui laisser la dignité de son indépendance. Il est nécessaire que toutes les positions soient nettement tranchées, que tout soit révélé, car ce n'est pas seulement l'Institut de Loyola qui est mis en péril, mais la Catholicité tout entière. Nous ne faisons appel ni aux passions, ni aux espérances, ni aux terreurs; nous ne marchons appuyé que sur la vérité. Si elle se trouve souvent en opposition avec des erreurs habilement accréditées ou avec des exagérations convenues, si elle froisse des amours-propres mal engagés, si elle dévoile de cauteleuses intrigues, si elle brise le masque de quelques hypocrisies diplomatiques, parlementaires ou sacerdotales, ce sera beaucoup moins à l'écrivain qu'aux actes et aux pièces officielles qu'il faudra s'en prendre. L'écrivain aura rempli son devoir jusqu'au bout, ne se préoccupant jamais des conséquences que pouvait entraîner une démonstration logique, et marchant sans crainte comme sans forfanterie provocatrice au milieu des événements que, pour le besoin de sa cause, chacun a essayé

de dénaturer.

Nous avons été en position de pénétrer le secret d'un grand nombre d'injustices calculées. De quelque côté qu'elles viennent, qu'elles naissent de la lâcheté ou de la trahison, de l'impéritie ou de la méchanceté, il importe de les mettre à nu. Tout en respectant les personnes et les convictions, nous ne pouvons pas néanmoins transiger avec les devoirs de l'historien. Dans un temps où l'on se permet tout, il faut tout dire.

Portici, 4 septembre 1845.

J. CRÉTINEAU-JOLY.

DE LA

COMPAGNIE DE JESUS.

CHAPITRE PREMIER.

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Les

Expulsion des Jésuites de Russie. Leur situation dans l'Empire. - Jalousie des Popes et des Universités. Alexandre charge les Pères des Missions de Sibérie et d'Odessa. Le duc de Richelieu et l'abbé Nicolle. Bzrozowski, Général des Jésuites, et le comte Joseph de Maistre. Leur plan pour émanciper l'éducation. - Exigences des Universités. Bzrozowski s'adresse au comte Rasoumoffski. Les étrangers dans le corps enseignant. Les Jésuites demandent que le Collége de Polotsk soit érigé en Université. - Alexandre hésite. Le comte de Maistre prend parti pour les Pères. - Portrait de Joseph de Maistre. Ses lettres au ministre de l'instruction publique. Le Czar ordonne que le Collége des Jésuites devienne Université. - Projet des Jésuites de passer en Espagne pour y rétablir l'Institut en 1812. La Société biblique et le prince Galitzin, ministre des cultes. - Caractère d'Alexandre Ier. — II adopte l'idée des Sociétés bibliques. - Les Évêques du rite romain encouragés par le prince Galitzin entrent dans la Société biblique. Les Jésuites refusent d'en faire partie. Ils la combattent. - Accroissement des Catholiques. Causes de cet accroissement. - Alexandre Galitzin embrasse le Catholicisme. Colère de son oncle.- Lettre du Père Billy. Les Sociétés bibliques préparent la chute de la Compagnie. Moyens employés pour y parvenir. idées de la Sainte-Alliance exploitées contre les Jésuites par les Protestants et les Schismatiques grecs. Ukase qui exile les Jésuites de Saint-Pétersbourg. -Alexandre base sur des motifs religieux son décret de proscription. L'Invalide russe et le Père Rozaven. - Causes secrètes des ménagements de l'Empereur à l'égard des Jésuites. Saisie de leurs papiers. -Bzrozowski écrit à Alexandre. Il demande à partir pour Rome. L'empire de Russie devient simple province de l'Ordre. Les Jésuites expulsés de Russie. — Rapport du prince Galitzin. - Accusations qu'il contient. Les Jésuites missionnaires. Leurs travaux. Le Père Grivel au Volga. - Le Père Coince à Riga. Ses œuvres de charité et d'éducation populaire. - Ses institutions. - Le marquis Pallucci et le Jésuite. Le Père Gilles Henri au Caucase. - Les colonies de Mozdok. La correspondance du Missionnaire. Le gouvernement russe propose aux Jésuites de ne pas sortir de leurs Missions. Les Jésuites refusent d'adhérer. Dispersion des Pères. - La Compagnie de Jésus à Rome. - - Travail intérieur de ses membres. -Situation de l'Institut. Ses premiers Colléges. Le Noviciat de saint André. -Charles-Emmanuel, roi de Sardaigne, se fait Jésuite. - Il meurt au Noviciat. Mort de Bzrozowski, Général de l'Ordre. Le Père Pétrucci, désigné Vicaire, fixe la Congrégation générale. -Le Cardinal della Genga et son opposition. -Pétrucci ordonne aux Profès députés de suspendre leur voyage. Le Père Rozaven leur écrit de passer outre. Nouvelles exigences du Cardinal della Genga pour entraver l'élection. Soupçons des Jésuites. - Ils s'adressent au Pape. Le Cardinal Consalvi les rassure. Plan de l'intrigue ourdie pour modifier les Constitutions. -La Congrégation s'assemble. - Pétrucci cherche à se débarrasser des Pères qui se défient de lui. — La Congrégation frappe de déchéance le Vicaire-général. Louis Fortis est nommé chef de l'Ordre de Jésus. Condamnation de ceux qui ont voulu porter la discorde dans l'Institut. -Commissaires nommés pour la révision du Ralio studiorum.

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