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Quoi qu'il en foit, cette indigence & cette imperfe&dion des langues, qui ne permet prefque jamais d'employer l'expreffion propre à chaque chofe eft la fource d'une infinité de faux jugemens. Nous reffemblons bien plus fouvent que nous ne le croyons à cet aveugle né, qui difoit que la couleur ronge lui paroiffoit devoir tenir quelque chofe du fon de la trompette. Il eft facile, ce me femble, de trouver la raifon de ce jugement fi bizarre & fi abfurde; l'aveugle avoit entendu dire fouvent du fon de la trompette (qu'il connoiffoit) que c'étoit un fon éclatant; il avoit entendu dire auffi que la couleur rouge ( qu'il ne connoiffoit pas) étoit une couleur éclatante; ce même mot employé à exprimer deux chofes fi différentes, lui avoit fait croire qu'elles avoient enfemble de l'analogie. Voilà l'image de nos jugemens en mille occafions, & un exemple bien fenfible de l'influence des langues fur les opinions des hommes.

Un Grammairien Philofophe (c) voudroit que dans les matieres méta

(c) M. du Maríais, article Abstraction dans l'Encyclopédie.

phyfiques & driaffiques, on évitât le plus qu'il eft poffible les expreffions figurées; qu'on ne dit pas qu'une idée en renferme une autre, qu'on unit ou qu'on fepare des idées, & ainfi du refte. Il eft certain que lorsqu'on fe propofe de rendre fenfibles des idées purement intellectuelles, idées fouvent imparfaites, obfcures, fugitives, & pour ainfi dire à demi éclofes, on n'éprouve que trop combien les termes dont on eft forcé de fe fervir, font infuffifans pour rendre ces idées, & fouvent propres à en donner de fauffes; rien ne feroit donc plus raifonnable que de bannir des dif cuffions métaphyfiques les expreffions figurées, autant qu'il feroit poffible. Mais pour pouvoir les en bannir entiérement, il faudroit créer une langue exprès, dont les termes ne feroient entendus de perfonne, le plus court eft de fe fervir de la langue commune, en fe tenant fur fés gardes pour n'en pas abufer dans fes jugemens.

En général, il eft beaucoup plus fimple, & par conféquent plus utile de fe fervir dans les fciences des termes reçus, en fixant bien les idées

qu'on doit y attacher, que d'y fubftituer des termes nouveaux, fur-tout dans les fciences qui n'ont point ou qui n'ont guere d'autre langue que la langue commune, ou dont les termes font affez généralement connus, comme la Métaphyfique, la Morale, la Logique, & la Grammaire: il en coûte moins au commun des hommes de réfor mer leurs idées que de changer leur langage. Il faut du moins, fi la néceffité oblige à créer de nouveaux termes, n'en hazarder qu'un très-petit nombre à la fois, pour ne pas rebuter par une langue trop nouvelle ceux qu'on fe propose d'inftruire. On doit en ufer pour changer la langue des fciences, comme pour notre Ortographe, qui quoique trèsvicieufe & pleine d'inconféquences & de contradictions, ne pourra cependant être réformée que peu à peu, & comme par degrés infenfibles; les changemens trop confidérables, & trop nombreux qu'on voudroit y faire tout-à-coup, ne ferviroient qu'à perpétuer le mal au lieu d'y remédier. Hatez-vous lentement, doit être, ce me femble, la devife de prefque tous les réformateurs.

S. III.

Eclairciffement fur ce qui a été dit à la page 35 & 36, concernant les vérités appellés principes.

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en

Ous avons dit que les vérités que dans chaque fcience on appelle principes, & qu'on regarde comme la base des vérités de détail, ne font peut-être elles-mêmes que des conféquences fort éloignées d'autres principes plus généraux que leur fublimité dérobe à nos regards. En effet tous les principes de nos connoiffances, Phyfique, par exemple, font les propriétés les plus fenfibles que l'obfervation nous découvre dans la matiere: propriétés qui tiennent elles-mêmes à l'effence, & fi je puis m'exprimer ainfi, à la conftitution intime de la matiere que nous ne connoiffons nullement, & que nous ne parviendrons jamais à connoître. Les principes de By

nos connoiffances, en Métaphyfique, font auffi des obfervations fur la maniere dont notre amé conçoit ou dont elle eft affectée; obfervations qui tiennent de même à la nature encore plus ignorée, s'il eft poffible, de ce qui penfe & de ce qui fent en nous. Enfin les principes de la Morale, principes uniquement faits pour les hommes & non pour les animaux, tiennent à une différence entre l'homme & la brute, que nous connoiffons bien par le fait, mais dont le principe philofophique nous eft inconnu. Nous ne favons, fi je puis m'exprimer de la forte, ni le pourquoi ni le comment de rien; c'eft néanmoins à ce comment, ce pourquoi, que nos connoiffances devroient remonter pour s'élever jufqu'aux vrais principes de toutes les vérités, foit pratiques, foit fpéculatives. Pourquoi y a-t-il quelque chofe ? demandoit un Roi des Indes à un Miffionnaire Danois, qui dut fentir par cette queflion combien ce Prince étoit loin encore des vérités que le Miffionnaire lui prêchoit. Pourquoi y a-t-il quelque chofe? Terrible queftion, &

à

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