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et il en avait donné le secret à ses compagnons. Maintenant, dès qu'ils arrivaient quelque part, leur premier soin était de chercher les gens de bonne volonté, avides d'une vie meilleure et ils les soumettaient à ce traitement méthodique qui leur avait à eux si bien réussi. Sous leur conduite, des milliers d'âmes, prêtres, religieux, laïques, cherchaient pour un temps la solitude, se mettaient dans une atmosphère de pureté, d'amour, d'austérité et elles en sortaient plus humbles, plus zélées, plus unies à Dieu. Les couvents les plus réfractaires à la réforme, au bout d'un mois, n'étaient plus reconnaissables. Dans toutes les villes il se formait un noyau de catholiques fervents avec qui maintenant il fallait compter. D'où venait le succès? Il n'était pas nécessaire d'aller bien loin : les Exercices faisaient prier.

Mais l'imagination populaire se jette sur les premiers éléments venus pour en créer des fantômes. Ces gens qui cherchaient solitude et silence, ces vocations religieuses multipliées, ces conversions du mal au bien et du bien au mieux, tout cela parut trop nouveau pour être naturel et l'on soupçonna des mystères.

Même en pays catholique, en Espagne et en Portugal, on parla d'ensorcellement, d'herbes magiques. Les Pères avaient, disait-on, la prétention de procurer des

l'exemple, tout cela avait été pratiqué par tous les siècles chrétiens. Mais ce qui donne au petit livre son caractère, son originalité, sa valeur intrinsèque, c'est, outre l'admirable concision de la forme, la mise en œuvre psychologique de tout ce qu'avait conseillé jusque là l'ascétisme chrétien de tous les siècles. Les Exercices, en effet, résument avec génie l'expérience des saints, etc. »>

extases, des métamorphoses, des visions. Ce fut bien pis en Allemagne.

« Quand nous sommes arrivés ici (à Vienne), écrivait en 1551 le Père Claude Le Jay, nous avons trouvé que des rumeurs couraient dans le pays, Sa Majesté avait fait venir certains Jésuites, hommes hypocrites et polis, qui enfermaient les gens dans une chambre, les faisaient jeûner plusieurs semaines dans l'attente du Saint-Esprit. Ils séduisaient les jeunes gens, leur faisaient faire des vœux, etc. Cette rumeur, le diable l'avait répandue je ne sais comment, probablement par le moyen de tels et tels maîtres et docteurs flamands qui avaient mal connu nos frères à Louvain (1). »

On a souvent cité cette page d'un calviniste, assez modéré en somme, qui pensant écrire une âpre satire des Exercices, en faisait, pour qui sait entendre, un assez bel éloge. « Par quelle fascination ces Jésuites font-ils tourner l'esprit à des hommes qui viennent se renfermer dans certaines cellules placées en dehors de leurs maisons et disposées de manière à former une nuit profonde au milieu du jour? C'est là que ces prêtres entretiennent ces malheureux dans une perpétuelle horreur. Malheur à qui tombe dans cette embuscade; car semblables aux infortunés qui descendaient dans l'antre de Trophonius, il peut dire adieu à la joie et au bonheur. On y entre plein de sagesse et on en sort insensé, mort à toutes les choses de la terre,

(1) Monum. hist. Soc. Jesu. Epistolæ P. Paschasii Broet, Claudii Jaji, etc. Madrid 1904, p. 378. Lettre du 16 déc. 1551.

dévoué aux pleurs et à la tristesse. Une fois renfermé dans ce lieu, le patient ne peut plus ni voir ni être vu. Cependant un de ces magiciens, deux fois par jour, vient lui apporter une sorte de charme tracé sur un papier; plus il médite, plus sa fascination augmente; il pleure, il crie, il rugit comme si les flammes de l'enfer le dévoraient; il jure de vivre à l'avenir comme s'il devait mourir chaque jour et de ne plus tenir à la terre que par un point imperceptible. Quand, enfin, il sort de cette retraite, il regarde le monde avec étonnement comme s'il y entrait pour la première fois il ne le voit plus des mêmes yeux, l'aspect en est changé et semble ne plus offrir qu'une mer en furie, sur laquelle il est aussi facile de faire naufrage que nécessaire de voyager. A chaque instant, le malheureux craint d'échouer ou de perdre sa route, et finit, dans l'espoir d'arriver sûrement au port, par se jeter dans un monastère.

:

<«< Si parmi les Jésuites, il se trouve quelque tête faible, ils la travaillent et la repétrissent jusqu'à ce qu'ils l'aient façonnée à leur gré; celui qui était làche et mou, ils le rendent ferme et dur à lui-même; celui qui repoussait l'obéissance devient soumis; le paresseux est aiguillonné, le faible soutenu (1). »

Voici plus accentué : « Les Exercices, dit un autre calviniste, c'est un recueil d'artifices mystérieux et magiques par lesquels les Jésuites, à certaines époques, se livrent à toutes sortes d'actes bizarres dans des

(1) Gabriel Lermeo, cité par Bartoli. Hist. de St Ignace, 1. I, ch. VI.

cavernes souterraines et dont ils reviennent blêmes et livides comme s'ils avaient lutté avec les esprits de ténèbres ». Un autre ajoute : « Les Jésuites s'adonnent à des pratiques étranges qu'ils nomment les Exercices. A l'offertoire, comme on nous l'assure, l'encens est une sorte de vapeur produite on ne sait comment, et dans laquelle les assistants s'imaginent voir le diable; alors ils commencent à beugler comme des bœufs, et ils sont forcés de renier le Christ pour se donner au démon » (1).

L'invention est caractéristique des âmes protestantes au XVIe siècle, hantées de magisme et de diableries, de merveilleux et d'occultisme. Du reste on la reprendra indéfiniment sous d'autres formes. Là où les ancêtres naïfs voyaient de la sorcellerie, on découvrira un système raffiné d'autosuggestion. L'un vaut l'autre.

III

Mais le moment vint, et il vint très vite, où les Jésuites fournirent matière à bien d'autres accusations. Ils convertissaient les hérétiques, ils prêchaient, confessaient, fondaient collèges et universités, répandaient des opuscules de controverse ou de piété, multipliaient les catéchismes. Le résultat fut qu'ils dérivèrent sur eux une bonne partie de la polémique protestante.

On sait à quel ton l'avait montée Luther, si capable

(1) Janssen IV, p. 406. 407.

pourtant, quand il le voulait, d'éloquence vraie et pénétrante : passion et mépris, colère et sarcasme, grossièretés allant jusqu'à l'obscène, injures poussées jusqu'à la calomnie. Et l'on entend la grande voix de Bossuet que déconcerte la plaisanterie allemande, lourde et truculente, et qui s'écrie: « Pardonnez-moi, lecteurs catholiques, si je répète ces irrévérences! Pardonnezmoi aussi, ô luthériens! et profitez au moins de votre honte... Taisons-nous; c'en est assez et tremblons sous les terribles jugements de Dieu, qui, pour punir notre orgueil, a permis que de si grossiers emportements eussent une telle efficace de séduction et d'erreur » (1).

Luther fit école. Ses disciples le copièrent de leur mieux. Seulement s'il était facile d'emprunter au maître ses injures et ses gros mots, il l'était un peu moins de lui prendre sa verve comique et sa fantaisie bouffonne. L'insulte à jet continu, violente, grossière, sans un éclair d'esprit; la calomnie invraisemblable, odieuse et folle, ce fut chez les continuateurs de Luther le ton habituel. Dès que les Jésuites parurent, ils en firent les frais, et bientôt, pour la foule luthérienne, jésuite et papiste, ce fut tout un.

Qu'on en juge par un court spécimen :

« Les scélérats qui se font appeler Jésuites, écrivait Martin Chemnitz en 1562, ne font aucun cas de la Sainte Ecriture, unique règle donnée par Jésus-Christ. Ils en font le thème de leurs frivoles plaisanteries, ils la blasphèment, l'insultent, la criblent de sarcasmes...

(1) Hist. des Variations. L. Ihc., 33.

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