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fondement; et, pour rester légitime, elle doit se tenir rigoureusement dans ces limites (1).

Maintenant qu'eût répondu le Père Garnet à qui l'eût consulté?

Il eût noté d'abord avec soin que ces réserves mentales ne peuvent être employées que pour des causes graves. Il est des cas où elles seraient coupables, par exemple quand l'autorité légitime pose des questions, qu'elle a le droit de poser pour le bien commun; et encore quand il s'agit de confesser sa foi et ses principes. Et aussi dans le cours ordinaire de la vie et dans les transactions sociales de tous les jours que deviendraient les relations si l'équivoque était toujours permise? La cause supprimée qui permettait de refuser la vérité, il n'y a plus restriction mentale, il y a mensonge. Mensonge encore, quand la restriction est telle qu'il serait impossible absolument de soupçonner quelle est la partie de la pensée totale que les mots n'expriment pas et ne peuvent exprimer, quand rien, dans les alentours, ne vient suppléer à l'insuffisance de la parole articulée (2).

(1) Voir n'importe quel théologien moraliste moderne. Les anciens ne posaient peut-être pas exactement la question dans les mêmes termes. Mais il faut tenir compte du progrès des exposés doctrinaux. Les chicanes protestantes et jansénistes ont eu du moins ce bon résultat qu'elles ont forcé les casuistes à préciser leur pensée.

(2) C'est ici que les théologiens distinguent entre la restriction stricle mentalis, qui n'est qu'un mensonge plus hypocrite que le gros mensonge ordinaire, et la restriction late mentalis. On a, au Palais-Bourbon, traduit cette dernière expression par « Restriction largement mentale »; ce qui est une ânerie. Il fallait dire « mentale au sens large », c'est-à-dire une restriction mentale qui n'en est pas une. A

Lui-même, dans le cas présent, interrogé sur une question de doctrine, mis en demeure d'exposer les théories de ses confrères sur cette délicate question, pouvait-il s'en tirer par des équivoques? Evidemment non; et, nettement, sachant bien à l'avance l'abus qu'on fera de sa franchise, il dit à ses juges le fond de sa pensée.

cette question : « Votre ami est-il caché ici », je réponds « non » en sous entendant: « Il n'est pas dans ma poche ». C'est une restriction mentale au sens strict car qui peut deviner ma pensée? Si je réponds simplement << non »>, sous entendant : « Ce n'est pas à moi de vous le dire », c'est une restriction mentale au sens large; car l'indiscret doit savoir à l'avance que je ne lui livrerai pas mon ami. Dans le premier cas, n'y a pas de contexte à ma réponse; dans le second, il y en a un. D'un procédé à l'autre il y a des nuances. En certain cas, il sera peut-être difficile de distinguer de quelle restriction l'on use.

Ajoutons que parfois les casuistes n'ont pas été très adroits dans leur exposé de la doctrine; ils ont prêté le flanc aux interprétations malveillantes. Il suffisait de les lire dans leur ensemble, avec le plein contexte de leur discussion, pour voir le fond de leur pensée et la justifier. Il n'y fallait qu'un peu de bienveillance intellectuelle, cette forme exquise de la justice.

C'est ce que n'a pas fait Pascal à l'égard du Père Sanchez (9° Provinciale). Au moyen de lambeaux de phrase, pris de tous côtés dans un exposé assez long, il ne lui a pas été difficile de parodier l'enseignement du casuiste, en lui donnant une simplicité enfantine (Maynard, t. I, p. 424). Et nous dirons de lui avec M. Molinier (Provinciales, I, p. LXXXVI), que « Pascal, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, est parti en guerre un peu à l'aventure », et que, « si les Jésuites ont eu un tort, ce fut de donner en cette matière des règles un peu trop précises. Du reste, personne ne niera que, entre certaines mains, l'instrument de défense personnelle dont il s'agit ne puisse devenir dangereux, qu'on ne puisse être tenté d'en jouer hors de propos, ni même que tous les casuistes en aient parlé avec la réserve nécessaire ». Si Pascal avait lu avec un peu d'attention le passage qu'il incrimine, il aurait trouvé trois textes, classiques en la matière, deux de l'Evangile et un du livre de Tobie, qui l'eussent averti de parler avec un peu plus de réserve des équivoques et restrictions mentales.

Oui, il y a des cas où cette restriction est permise et même commandée. Celui qui passe les bornes de son autorité pour poser des questions injustes, doit bien savoir qu'on ne se jettera pas les yeux fermés sur le piège, pas plus qu'on ne se livre à un voleur ou à un meurtrier. Et Garnet supposait le cas, où les complots contre Elisabeth ayant réussi, la reine se fût réfugiée chez un de ses sujets. Qu'eût répondu le fidèle Anglais aux conspirateurs qui seraient venus fouiller sa maison?

Il en vient ensuite au point délicat. Que faire devant le tribunal? Et il répond : dans les procès criminels, il est inhumain de forcer les prévenus à s'accuser euxmêmes. C'est au ministère public à faire la preuve. Personne ne s'étonnera que l'accusé nie la charge portée contre lui, et même la nie avec serment. Personne n'est dupe de ces réponses, et les plus solennelles dénégations n'induisent personne en une erreur nécessaire. Il n'y a pas là mensonge, il n'y a qu'équivoque; et pas un tribunal à moins qu'il ne s'agisse d'un papiste et d'un Jésuite ne s'y trompe et ne prend cela pour mensonge frauduleux.

Ici Garnet devançait son siècle. On sait qu'aujourd'hui dans les procès criminels, en Angleterre, «< on ne soumet jamais l'accusé à ces questions insidieuses qui rappellent à certains égards les tortures physiques de l'ancien régime. Le juge se préoccupe moins de trouver un coupable que de fournir à un innocent les moyens de se disculper. L'accusé n'a point à prouver qu'il est innocent c'est à l'accusation d'établir qu'il est coupable... Pendant le procès (l'accusé) n'est nullement obligé

de répondre aux questions qui lui sont adressées; il peut même, sur l'observation bienveillante du juge rétracter les déclarations qui le compromettent » (1).

Qu'on prenne le contrepied de ces procédés humains et respectueux, on aura la procédure criminelle anglaise telle qu'elle se pratiquait, il y a trois cents ans, contre les papistes; et lorsque Garnet lançait sa retentissante déclaration de principes sur le droit de l'accusé à ne pas se dénoncer lui-même, il ne faisait qu'en appeler à l'avenir, et l'avenir lui a donné raison.

S'agit-il de déposer contre un autre? Garnet distingue encore deux cas. S'il s'agit d'un véritable crime de droit commun, il n'y a pas de doute, l'équivoque n'est pas permise et il faut parler. Mais, et c'était le cas de tous les jours avec l'abominable législation anglaise, si le délit est de ceux qui ne sont constitués tels que par l'injustice même de la loi; si je suis criminel aux yeux de Lord Cécil, parce que la loi anglaise interdit sous peine de mort de dire la messe, ou tient pour traître quiconque a hébergé un prêtre catholique, l'équivoque ou restriction mentale, chez le témoin, est permise et commandée je n'ai pas le droit de livrer un innocent à la mort.

Telle était la doctrine de Garnet, telle celle de ses frères. La condamne qui voudra. Mais la condamneraiton si Garnet avait été un huguenot cité à la barre de de l'Inquisition, et avait jeté à la face des juges, en soutane blanche ou noire, ses fières déclarations de prin

(1) Le Play, La Constitution de l'Angleterre. Tours, 1875, t. II, p. 92.

cipes? Malheureusement Garnet était un Jésuite et l'on se scandalisa fort de son exposé. « A vous entendre, disait Salisbury, nos cheveux se dressaient sur notre tête, et notre coeur était blessé. » << Effroyable et damnable blasphème », déclarait l'attorney Sir Edouard Coke. D'autres tournèrent la chose en plaisanterie : <«< Garnet louvoie, hésite, équivoque, mais on va le pendre sans équivoque ». Le mot est d'un diplomate; et Shakespeare dans son Macbeth, transformant un instant le portier du château en portier de l'enfer, lui fait dire son petit mot plaisant sur l'événement du jour : « Pan, pan! qui est là, de par le diable? Tiens! un faiseur d'équivoques! Il savait jurer dans les deux plateaux de la balance, contre l'un ou l'autre plateau; il a commis assez de trahisons pour l'amour de Dieu, et pourtant, avec ses équivoques, il n'a pas su entrer au ciel. Entrez faiseur d'équivoques » (1).

Aujourd'hui encore il se trouve des historiens pour condamner le Jésuite. « C'en était assez, déclare M. Gardiner, pour perdre un homme. Rien ne pouvait faire croire à son innocence que ses affirmations, mais le poids de ces affirmations était réduit à rien par sa théorie et sa pratique. » Lingard, un catholique, est exactement du même avis: « Garnet ne pouvait se plaindre si le roi refusait de croire à ses protestations d'innocence et laissait agir les lois » (2).

Peut-être; car, après tout, devant des juges aussi pré

(1) Acte II, sc. 2.

(2) Gardiner, Hist. of. England, t. I, p. 281 (1883). Lingard, livre V, t. IX, p. 94.

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