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Ton eau silencieuse en son paisible cours
Présente à mon esprit l'image de la vie :
Elle semble immobile et s'écoule toujours.

Cette continuation, ce progrès de littérature et de poésie n'a pas cessé de nos jours, comme bien l'on pense. L'émancipation du pays de Vaud et sa nationalité constituée ont assuré aux générations actuelles des études plus fortes et plus d'élan. Le mouvement romantique y a eu son action, et on s'en dégage maintenant après s'en être fortifié. Sans parler des poésies publiées et connues, comme le recueil des Deux Voix (1), il y a bien de jeunes espérances, et qui ne se gâtent pas jusqu'ici de fausses ambitions. Les étudiants de Lausanne aiment à marier de beaux airs allemands à des chants poétiques souvent composés par quelqu'un d'entre eux. Voici les premiers vers que j'ai retenus d'un de ces chants de tout à l'heure :

Quel est ce roi sublime et tendre

Qui vers nos déserts attiédis,

Les yeux en pleurs, paraît descendre
Les bleus coteaux du paradis?

C'est le pauvre fils de Marie,

C'est l'époux de la terre en deuil,

Qui pose la lampe de vie

Dans le mystère du cercueil!...

Dans une pièce de vers qui obtint, il y a peu d'années, le prix à l'académie de Lausanne, je trouve ces beaux traits de nature; il s'agit d'un voyageur :

(1) Lausanne, 1835.

Il voit de là les monts neigeux
Et les hauts vallons nuageux:
Puis il entend les cornemuses
Des chevriers libres et fiers,
Perdus dans la pâleur des airs
Par-dessus les plaines confuses;

et cette autre gracieuse peinture des ébats auxquels se plaisent les nains et les sylphes de la montagne :

Sur les bords de l'eau claire, à l'ombre des mélèzes,
Leurs doigts avaient cueilli le rosage et les fraises;
Et, cadençant leur vol aux divines chansons,
Dans leur danse indécise ils rasaient les gazons.
Sur la brise réglant leur suave harmonie,
Ils chantaient du bleu ciel la douceur infinie,
Et sous leurs pas légers le gazon incliné
Remplissait de senteurs le val abandonné (1).

(1) Tous ces vers étaient d'un très-jeune homme, M. Frédéric Monneron il est mort depuis à la fleur de l'âge. J'ai appris à mieux apprécier encore les promesses de son talent pendant mon séjour en Suisse. Voici une pièce inédite adressée par lui à une personne amie : il était alors en Allemagne, où il mourut.

A VOUS.

Quand sur les champs du soir la brume étend ses voiles;

Lorsque, pour mieux rêver, la Nuit, au vol errant,

Sur le pâle horizon détache en soupirant

Une ceinture d'or de sa robe d'étoiles;

Lorsque le Crépuscule entr'ouvre aux bords lointains
Du musical Éther les portes nuageuses,

Alors, avec les vents, les âmes voyageuses

Vont chercher d'autres cieux dans leurs vols incertains.

La mienne s'en retourne auprès de vous, fidèle ;
Mais bientôt un remords la surprend en chemin;

Mais jusqu'ici j'ai dit plutôt en quoi la littérature du pays de Vaud suivait et reflétait la nôtre; je n'ai pas assez fait sentir ce qui lui est propre, original, ce qui la marque un peu plus elle-même en la laissant fr: nçaise. Benjamin Constant, le plus illustre nom d'écrivain qui s'y rattache, est un Français de Paris et sans réserve (1). Et cependant ce pays a produit des

Et, jeune mendiante, implorant votre main,

Elle vous tend la sienne... en se voilant d'une aile !

Car c'est le repentir d'avoir aimé trop peu
Qui, de l'exil, vers vous la rappelle angoissée,
Comme une ombre sortant de sa tombe glacée,
Surprise par la mort sans avoir fait d'adieu.

Non, je n'ai pu comprendre et votre âme et la terro
Que de loin, quand les ans sont venus tout finir;
Et mon cœur n'a fleuri qu'autour d'un souvenir,
Comme autour des tombeaux l'églantier solitaire!

Ces jours où ma jeunesse a fait souffrir les cœurs,
Je n'en pourrai gémir que seul avec moi-même...
Que lorsqu'il n'est plus temps de dire à ceux qu'on aime :
A genoux! me voici!... pardonnez-moi vos pleurs ! »

:

Ainsi c'est le passé ! c'est la fuite des choses,
Le souvenir des maux qu'on ne peut réparer,
Qui m'évoquent chez vous quand la Nuit vient errer
Sur le large horizon parmi l'or ou les roses :

Je confie cette admirable et profonde plainte aux cœurs poétiques ils la rediront souvent. Elle devrait suffire à faire vivre le nom de Frédéric Monneron, à l'empêcher de tout à fait mourir. Un seul mot qui pourrait déplaire dans cette pièce sans tache est celui d'angoissée, mais je dois dire qu'il est d'usage habituel dans le canton de Vaud; la lecture de la Bible en langue vulgaire maintient en circulation beaucoup de ces mots un peu étranges ou vieillis.

(1) Sauf deux ou trois formes de locutions peut-être, et qu'en

esprits qui, à un certain tour d'idées particulier, ont uni une certaine manière d'expression, et qui offrent un mélange, à eux, de fermeté, de finesse et de prudence, un mérite solide et fin, un peu en dedans, peu tourné à l'éclat, bien qu'avec du trait, et dont Mme Necker, dans les manuscrits qu'on a publiés d'elle, ne donnerait qu'un échantillon insuffisant. On ne saurait mieux étudier ces qualités de près et au complet que chez un écrivain de nos jours, âgé d'un peu plus de quarante ans, le plus distingué, sans contredit, et le plus original des prosateurs du pays de Vaud passés et présents, chez M, Vinet.

M. Vinet est à la fois un écrivain très-français et un écrivain tout à fait de la Suisse française. Lorsque, dans ses écrits littéraires, imprimés à Bâle, destinés en partie à la jeunesse allemande et dédiés à des membres du gouvernement de son pays, il dit du siècle de Louis XIV notre littérature, on est un peu surpris au premier abord, et l'on est bientôt plus surpris que la littérature française, en retour, ne l'ait pas déjà revendiqué et n'ait pas dit de lui nôtre. Ses livres ne sont pas connus chez nous; son nom modeste l'est à peine. On se rappelle au plus son Mémoire sur la liberté des cultes, couronné en 1826 par la Société de la morale chrétienne. A part les fidèles du Semeur, quels lecteurs de journaux savent le nom et les titres de M. Vinet, critique littéraire des plus éminents, mora liste des plus profonds?

core bien peu de Français aujourd'hui sont à même de relever dans son style.

Il est élève de l'académie de Lausanne. Sorti du village de Crassier ou Crassy (1), qui avait été déjà le lieu de naissance de Mme Necker, il fit tout le cours de ses études à cette académie, dont la discipline était alors fort désorganisée par suite des événements publics. Les étudiants étudiaient peu; M. Alexandre Vinet se distingua de bonne heure, et par son application, et par des qualités plus en dehors, plus hardies ou plus gaies qu'il semble n'appartenir à son caractère habituel; mais toute jeunesse a sa pointe qui dépasse à émousser. On cite de lui un poëme héroï-comique, où il y a, dit-. on, de la gaieté de collége, la Guétiade, imitation du Lutrin, et qui célèbre sans doute quelque démêlé avec le guet; il rima encore quelques autres riens du même genre. A l'enterrement d'un professeur fort aimé, on vit s'avancer au bord de la tombe un jeune homme (c'était M. Vinet) qui fit l'oraison funèbre du défunt; cette action ne laissa pas d'étonner un peu les mœurs extrêmement timides du pays et, on peut le dire, celles de l'orateur lui-même. En 1815, époque bien critique pour le pays de Vaud, que Berne devait chercher à reprendre, mais que M. Frédéric-César La Harpe, ancien précepteur de l'empereur Alexandre et noble citoyen, protégea heureusement, M. Vinet, simple étudiant encore, ne fut pas sans quelque influence; et cette poésie légère d'université, il l'employa à quelques

(1) Alexandre-Rodolphe Vinet, de Crassier, naquit à Ouchi près de Lausanne, le 17 juin 1797. Son père avait été placé à Ouchi pendant quelques mois dans les péages. (Voir la Revue suisse d'octobre 1847.)

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